Une enquête menée par Global Witness publiée aujourd’hui révèle qu’un champ de gaz sibérien, détenu conjointement par le géant du pétrole français TotalEnergies, a fourni du pétrole à une raffinerie alimentant les avions de guerre russes, tout au long de l’invasion de l’Ukraine.
L’enquête publiée par Global Witness et le journal Le Monde montre que le condensat de gaz provenant du champ de Termokarstovoye de Total a été transporté à travers la Russie pour être raffiné, avant d’être expédié sous forme de carburéacteur aux bases de l’armée de l’air russe près de l’Ukraine.
Il s’agit notamment des bases des chasseurs-bombardiers Sukhoi Su-34. Des experts internationaux et le gouvernement ukrainien ont accusé les pilotes de ces avions de guerre de bombardements aveugles de zones civiles, notamment lors d’une frappe effectuée le 3 mars sur Tchernihiv, près de Kiev, entraînant 47 victimes civiles.
Ces découvertes renforcent la pression sur Total qui ne s’est pas engagé à se retirer de ses coentreprises en Russie, contrairement à ses concurrents. Total a déjà déclaré que ses activités « n’ont absolument aucun lien avec la conduite d’opérations militaires russes en Ukraine ».
Louis Goddard, conseiller principal en enquêtes sur les données au sein de Global Witness, a déclaré :
« Total est accusé depuis longtemps de contribuer au financement de la guerre par le biais de son commerce de combustibles fossiles russes, mais nous savons désormais que le géant du pétrole alimentait également les attaques militaires russes contre les civils ukrainiens via ces champs de gaz sibériens détenus conjointement. »
« L’entreprise affirme que sa production n’avait aucun rapport avec les opérations militaires russes, mais cet argument ne tient plus. Total doit jouer franc jeu et rendre des comptes sur ses connaissances du lien entre ces champs de gaz et les avions de guerre russes. »
Total détient 49 % de TerNefteGaz, une entreprise créée pour exploiter le champ de Termokarstovoye, et Novatek en détient les 51 % restants. Total détient également 19,4 % de Novatek, ce qui donne à l’entreprise française un intérêt économique majoritaire dans la coentreprise.
Présenté avec les données de la chaîne d'approvisionnement par Le Monde, Total a confirmé que tous les condensats de gaz produits par TerNefteGaz sont vendus à Novatek, représentant 7% des volumes commercialisés de la société, mais a déclaré qu'il n'avait aucune information sur les ventes ultérieures de Novatek et n'a pas contrôle sur les activités opérationnelles de Novatek, qui est une société entièrement distincte.
En mars, Global Witness a révélé que, quelques heures seulement après que le PDG de Total, Patrick Pouyanné, a déclaré au monde que ses « négociants n’achètent plus de pétrole de Russie depuis le début de la crise », la filiale commerciale de Total a expédié 1,4 million de barils de pétrole brut provenant de l’Oural, d’Ust Luga à Rotterdam dans la nuit du 8 au 9 mars. Après avoir pris connaissance de ces constatations, Total a annoncé qu’il se retirerait du commerce du pétrole russe d’ici à fin 2022.
Principales conclusions de l’enquête:
Le champ de Termokarstovoye dans l’extrême nord de la Russie, détenu par Total et la compagnie pétrolière russe Novatek, produit plus de 60 000 barils de condensat de gaz (un liquide similaire au pétrole brut) chaque mois.
Après être passé par l’usine de traitement voisine de Purovsky, le condensat est expédié par train vers une raffinerie à Omsk, près de la frontière du Kazakhstan, où il est raffiné et transformé en pétrole, diesel, et en carburéacteur. D’après les données de la chaîne d’approvisionnement fournies par Refinitiv, les expéditions de condensat de gaz de Novatek ont représenté plus de huit pour cent du produit de départ (la matière première pour le raffinage) réceptionné à Omsk depuis l’invasion.
Global Witness a identifié des centaines d’expéditions de carburéacteur de la raffinerie d’Omsk vers des bases de l’armée de l’air russe près de l’Ukraine, tant pendant la période précédant l’invasion totale le 24 février qu’au cours de l’occupation continue de l’est du pays par la Russie. Les données de la chaîne d’approvisionnement sont étayées par des images satellite à haute résolution.
Global Witness a mené une analyse des données de la chaîne d’approvisionnement fournies par Refinitiv. Celle-ci révèle que 40 000 tonnes de carburéacteur ont été expédiées d’Omsk aux bases de Su-34 à Morozovsk et Voronezh de février à juillet. Le premier envoi a eu lieu le 13 février, dix jours avant le début de l’invasion. Aucune des deux bases n’avait reçu de carburant de la raffinerie depuis 2017.
Amnesty International et Human Rights Watch ont toutes deux demandé que les attaques du 3 mars contre Tchernihiv fassent l’objet d’une enquête de la Cour internationale de Justice et des Nations Unies car ces attaques aveugles contre des zones civiles violent le droit international humanitaire.
Mise à jour suite aux communiqués publiés par TotalEnergies les 24 et 26 août 2022
Le 24 août, TotalEnergies a publié sa réponse aux questions de Le Monde, basée sur le reportage de Global Witness d'un lien entre TerNefteGaz, Novatek et l'armée russe. Dans leur déclaration, Total a déclaré ne pas produire de kérosène pour l'armée russe. Au cours de cette réponse, Total a déclaré que tous les hydrocarbures fournis à l'usine Purovsky de Novatek par TerNefteGaz "sont entrés dans le flux d'entrée général de Novatek et sont traités et vendus avec ses autres sorties de pétrole et de condensats".
Le 26 août, Total a publié une nouvelle déclaration, niant à nouveau produire du carburant pour l'armée russe et rapportant des informations reçues de Novatek. Selon les mots d'un porte-parole de Novatek, "l'intégralité du condensat stable produit à l'usine de Purovsky à partir des matières premières provenant des filiales et sociétés affiliées de NOVATEK, y compris Terneftegas, est livrée au complexe de traitement d'Ust-Luga... [qui] fabrique une série de produits dont le kérosène qui est exclusivement exporté hors de Russie et ce carburéacteur ne dispose pas des certificats nécessaires pour être vendu sur le marché russe.