- Une nouvelle enquête de Global Witness apporte des preuves selon lesquelles TotalEnergies a pris part à du pression et des intimidations à l’encontre de populations concernées par le projet controversé d’EACOP en Ouganda et en Tanzanie. Par ailleurs, des membres de la population disent avoir été soumis à des pressions pour accepter des indemnités au titre de l’expropriation de leurs terres.
- Dans plusieurs cas, l'enquête a également révélé des preuves qui suggèrent que TotalEnergies était en communication avec les autorités de l'État ougandais avant les menaces et les détentions de militants anti-pétrole.
- TotalEnergies est également accusé de minimiser les abus et de manipuler les défenseurs pour les faire douter.
- Global Witness demande l'ouverture d'une enquête indépendante sur le rôle de TotalEnergies dans cette répression menée sur les défenseurs des droits fonciers et de l’environnement
Lundi 4 décembre 2023, Londres - Le rôle du géant pétrolier français TotalEnergies dans l’intimidation et les représailles à l’encontre des populations affectées par un projet de combustibles fossiles d’une valeur de 5 milliards de dollars US en Ouganda et en Tanzanie a été mis en cause lors d’une nouvelle enquête effectuée par Global Witness.
L’oléoduc de pétrole brut d’Afrique de l’Est (EACOP) soutenu par TotalEnergies et par les compagnies pétrolières d’État a d’ores et déjà provoqué de nombreuses perturbations aux habitants qui vivent en bordure du projet d’oléoduc de 1440 km. Ce projet risque d’avoir des conséquences environnementales désastreuses, avec des émissions estimées à pratiquement 380 millions de tonnes de CO2 au cours de ses 25 années d’existence (plus que les émissions totales du Royaume-Uni en 2022).
L’enquête publiée aujourd’hui, a découvert que TotalEnergies et ses prestataires ont pris part à la pression et à l’intimidation de populations concernées par le projet EACOP, même lorsque ceux-ci étaient menés par les autorités de l’État. Elle documente de nombreuses allégations de la part d’habitants qui disent avoir subi des pressions pour accepter des indemnités d’expropriation de leurs terres bien en dessous de leur juste valeur. Certains habitants affirment avoir été forcés de signer des contrats sur-le-champ. D’autres déclarent n’avoir pas eu suffisamment de temps pour comprendre les documents qu’ils devaient signer.
En plus de cela, l’enquête révèle que plusieurs militants ont reçu des menaces et fait l’objet de détentions par les autorités après qu’ils se sont opposés à la construction de l’oléoduc. Dans certains cas, il semble que les autorités ont été en communication avec TotalEnergies, avant que des représailles n’aient été perpétrées.
Depuis septembre 2020, au moins 40 militants d’Ouganda ont été mis en détention pour avoir critiqué le pétrole ou l’oléoduc, certains disant même avoir subi des sévices corporels durant leur incarcération.
Le rapport souligne que s’il s’avère dans une enquête plus approfondie que TotalEnergies a partagé des informations en sachant que des représailles à l’encontre des militants pourraient suivre, cela pourrait engager la responsabilité potentielle de l’entreprise qui contrôle deux tiers des parts d’EACOP.
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Hanna Hindstrom, enquêtrice principale à Global Witness pour la campagne de défense des droits fonciers et de l’environnement déclare : « Les représailles subies par les militants dans ces États autoritaires ont refroidi les populations impactées par l’oléoduc tout comme la société civile à la fois en Tanzanie et en Ouganda. De nombreuses personnes se disent trop effrayées pour oser parler. Sachant que TotalEnergies est un actionnaire majeur d’EACOP, il est essentiel que toute complicité de l’entreprise dans les arrestations, les attaques et les représailles perpétrées sur les personnes affectées par le projet fasse l’objet d’une enquête plus poussée. »
L’enquête a également reçu des rapports selon lesquels les prestataires de TotalEnergies ont menacé les défenseurs qui se battaient pour obtenir des indemnités. L’un des fervents défenseurs, dont le récit est corroboré par un témoin, a déclaré qu’un prestataire a menacé de l’arrêter pour « sabotage des programmes du gouvernement » s’il n’acceptait pas son indemnité. Dans un autre cas, un prestataire semble avoir intimidé un agriculteur ougandais pris en otage dans un conflit avec l’entreprise en construisant une clôture autour de sa maison – bien que TotalEnergies nie ce fait et insiste que la clôture a été érigée avec son consentement pour sa « sécurité ». Certaines personnes impliquées dans des litiges disent avoir été forcées de se cacher.
L’enquête souligne le manque d’information disponible concernant les représailles et les arrestations des activistes en Tanzanie en raison du manque d’espace civique dans le pays. Le rapport note que tout militantisme perçu comme étant « antigouvernemental » fait actuellement l’objet d’une « interdiction » de fait, utilisée pour réduire au silence les militants.
Il note en outre que deux militants tanzaniens ont été forcés de quitter le pays il y a quelques mois après avoir organisé une conférence de presse qui soulevait des inquiétudes par rapport à EACOP. Ils avaient ensuite reçu des menaces : à leur retour chez eux, la police les attendait, leur maison a été perquisitionnée et leur téléphone et leur ordinateur portable confisqué.
Un autre militant tanzanien, Baraka Machumu a fui le pays en 2022, craignant pour sa sécurité. Il dit avoir été suivi et harcelé à son domicile, après une visite au siège de TotalEnergies avec deux journalistes, où il a subi un interrogatoire de la part d’un agent de sécurité de TotalEnergies. Il n’existe pas de preuve directe que Machumu a été intimidé par les employés de TotalEnergies ou aux ordres de celle-ci.
Baraka Machumu, fondateur de Green Conservers en Tanzanie a déclaré : « Si vous remettez en cause un aspect quelconque de l’oléoduc en Tanzanie, on vous collera une cible dans le dos. J’ai dû fermer mon bureau et même fuir le pays pour éviter les représailles à cause de mon travail.
Nous ne pouvons pas aider les habitants qui vont perdre leurs terres et leurs moyens d’existence à cause de l’oléoduc sans que cela nous expose, tout comme eux, à la détention et l’arrestation. Nous avons besoin de débattre sur l’avenir d’EACOP, non pas de réduire au silence ceux qui sont touchés par sa construction. »
Global Witness a également été informé de représailles perpétrées à l’encontre de militants soupçonnés d’implication dans une plainte en justice. Après avoir envoyé des courriers à EACOP et à Total, des habitants ont signalé avoir reçu des appels téléphoniques d’agents municipaux leur demandant quel était leur rôle dans l’action en justice, et pour qui ils travaillaient.
Le rapport avance que TotalEnergies profite de l’espace politique autoritaire de la Tanzanie, et d’une quasi-suppression totale de la mobilisation de la société civile autour de l’oléoduc.
L’enquête soulève également des questions sur les pressions qu’aurait exercées l’entreprise pour s’assurer que la Tanzanie était choisie pour le trajet de l’oléoduc plutôt que le Kenya voisin, où la construction était au départ prévue. Il note que les terres en Tanzanie appartiennent au président du pays, ce qui facilite leur expropriation par EACOP.
Ces actes présumés impliquant TotalEnergies et ses prestataires, documentés dans l’enquête pourraient constituer une violation des normes internationales d’acquisition de terres ainsi que des principes de l’ONU.
Toutefois, lorsque Global Witness a demandé à TotalEnergies de répondre à ces accusations, celle-ci a « formellement » démenti que sa filiale Total Energies EP Uganda (TEPU) et qu’EACOP Ltd ont intimidé des membres de la population en leur faisant signer des accords d’indemnités quelconques. Elle insiste avoir respecté les normes internationales de compensation, dit qu'elle a attribué les indemnités « à la valeur de remplacement totale », en plus d’une indemnisation financière « majoration » et qu’elle a offert d’autres soutiens aux personnes déplacées. Elle ajoute que, conformément à la loi, les habitants ont reçu les services d’avocats et de traducteurs « tiers », et que 95 % des personnes concernées ont accepté les indemnités.
TotalEnergies dément également formellement avoir contourné ses responsabilités en matière d’entreprise et de droits humains ou avoir agi d’une manière quelconque pour créer un climat de peur. Elle affirme qu’EACOP Ltd et TEPU ne tolèrent aucune menace ou intimidation sur les personnes affectées par l’oléoduc, et que les allégations de ce type font l’objet d’enquête.
En réponse aux reproches d’avoir facilité les abus de l’État, TotalEnergies déclare qu’elle « ne peut pas être tenue responsable » des actions de tiers et nie toute association avec des « comportements illicites ».
Les représentants de TotalEnergies ainsi que l’équipe EACOP ont également minimisé les affirmations de représailles à l’encontre de la société civile qui travaille dans le secteur pétrolier en Ouganda lors d’une réunion avec Global Witness il y a quelques mois, affirmant que : « Chaque fois que nous sommes informés de présomptions de violations des droits humains, nous enquêtons… Cependant, rien ne prouve que ces présomptions soient correctes. »
Maxwell Atuhura, Directeur exécutif à l’institut de recherche Tasha en Ouganda, déclare : « En tant que défenseur de l’environnement opposé au développement pétrolier en Ouganda, j’ai été pénalisé, harcelé et arrêté.
En minimisant les attaques contre la liberté d’expression en Ouganda, TotalEnergies sape et manipule les militants afin qu’ils vivent dans la peur. C’est une honte. La compagnie pétrolière, tout comme le gouvernement ougandais doit être tenu de rendre des comptes. »