Une compagnie nouvellement créée en République démocratique du Congo (RDC) semble être une joint-venture mise en place entre le responsable de la région Afrique de l’Est de Frontier Services Group (FSG, qui appartient à Erik Prince), et un homme d'affaire qui aurait par le passé été l’un des intermédiaires de l’ancien président congolais, et un trafiquant d’or présumé. Il s’agit là d’un regroupement extraordinaire d’intérêts puissants au sein d’une compagnie unique, à l’heure même où la RDC doit composer avec sa première transition pacifique du pouvoir depuis 60 ans.
La compagnie en question est la Congo Gold Raffinerie (CGR). D’après un juriste associé au projet, CGR compte lancer une raffinerie à Bukavu, ville située dans l’est de la RDC, à la frontière avec le Rwanda et non loin du Burundi. Bukavu est depuis longtemps un haut lieu du négoce et de la contrebande d’or.
CGR est détenue par deux sociétés, chacune faisant partie de différents réseaux. L’une de ces sociétés est Global Investment Congo (GIC), qui compte parmi ses actionnaires des entités gérées par un associé de l’ancien président congolais Joseph Kabila, Alain Wan, et un haut responsable de FSG, Liu Zhigang. FSG est une société de sécurité créée par le milliardaire américain Erik Prince, qui œuvre dans le secteur de la sécurité privée, et l’État chinois en est le principal actionnaire. Si FSG ne détient pas directement des parts dans CGR, M. Zhigang est le seul administrateur de GIC, société qui est le principal actionnaire de CGR et qui, d’après un permis minier de 2017, est domiciliée à la même adresse que la compagnie aurifère.
L’autre actionnaire de CGR est Marathon SARL, qui appartient au Belgo-Burundais Karim Somji, lequel aurait par le passé fait de la contrebande d’or, et Robert Mutesa, l’associé gérant d’une compagnie aérienne qui aurait assuré le transport d’armes pendant la Deuxième Guerre du Congo. L’un des autres propriétaires de Marathon est Joyce Otshimo Ekanga, un homme d’affaires qui détient des parts dans deux compagnies minières en RDC et est à la tête d’une chambre de commerce sino-congolaise. Il est le fils d’un puissant fonctionnaire congolais, Moïse Ekanga, un proche de Kabila qui encadre des milliards de dollars d’investissement chinois en RDC par l’intermédiaire du Bureau de Coordination et de Suivi du Programme Sino-Congolais (BCPSC), une entité gouvernementale.
« CGR est en partie détenue ou gérée par différents personnages aux antécédents qui soulèvent des questions. Cela va de personnes accusées de contrebande d’or congolais à un proche associé de l’ancien président, en passant par un cadre supérieur d’une compagnie créée par l’un des mercenaires les plus notoires au monde », a précisé Jean-Luc Blakey, Responsable senior des Campagnes à Global Witness. « L’alliance commerciale entre ces personnages devrait être examinée de près par quiconque s’intéresse à la transparence et à la répartition équitable de la richesse que la RDC tire de ses ressources naturelles », a-t-il ajouté.
Une raffinerie d’or en RDC pourrait être l’un des moyens permettant au pays de mieux contrôler le commerce de ses propres ressources, mais seulement si la compagnie qui l’exploite fait preuve de transparence en matière d’approvisionnement et d’exportations. Historiquement, la population congolaise n’a pas profité des richesses aurifères de son pays. Depuis des décennies, la majorité de sa production artisanale traverse en contrebande les frontières poreuses du pays. L’or de contrebande congolais, qui provient souvent de zones reculées touchées par le conflit, est généralement exporté par des États voisins vers des raffineries bien établies en dehors de la région africaine des Grands Lacs, où il gagne les chaînes d’approvisionnement mondiales. Ce commerce illicite de grande ampleur prive la RDC de millions de dollars de recettes fiscales dont elle aurait tant besoin, tout en soutenant des fonctionnaires corrompus et, parfois, en renforçant des unités militaires dissidentes et des groupes armés violents.
2017 a vu l’ouverture d’une raffinerie d’or de très grande ampleur en Ouganda, dirigée par la compagnie African Gold Refinery (AGR). À son inauguration, AGR a bénéficié d’exonérations fiscales considérables de la part du gouvernement ougandais. AGR a réussi à offrir des conditions plus avantageuses que les réseaux de contrebande et à fournir aux négociants congolais un prix plus élevé pour commercialiser leur or sur le marché mondial.
Il est envisageable que CGR ait été constituée pour permettre à de puissants acteurs et investisseurs de la région d’engloutir et de profiter de l’or congolais actuellement vendu à des raffineries implantées hors des frontières du pays, en se chargeant eux-mêmes du raffinage. Si tel est le cas, CGR devra démontrer qu’elle dispose de mesures de diligence solides pour s’approvisionner en or devant être traité par ses soins.
Quelles que soient les intentions de CGR, il semblerait que ses documents ne soient actuellement pas en règle. Lorsque Global Witness a contacté un agent du gouvernement congolais pour obtenir des renseignements sur la licence de traitement de CGR, publiée en ligne par le Ministère des Mines de la RDC, nous avons appris qu’elle n’était pas valide. CGR n’a répondu à aucune des questions que Global Witness lui a adressées concernant la licence ou ses activités.
« Il existe un risque que CGR n’ait de ‘raffinerie’ que le nom, exploitant son titre pour légitimer des exportations d’or semi-raffiné intraçables tout en bénéficiant d’exemptions fiscales. Pour que la population de la RDC puisse bénéficier des réserves d’or de son pays, il faut des investissements transparents et une surveillance étatique, et non pas une compagnie détenue par des entités offshore opaques opérant en vertu d’une licence à la validité contestable », a commenté Blakey.
Global Witness a à maintes reprises tenté de contacter tous les administrateurs et actionnaires associés à CGR afin de mieux cerner le projet. À l’exception d’un juriste qui n’a répondu à aucune question de fond, nous n’avons reçu aucune réponse.
Global Witness demande aux administrateurs et
aux actionnaires de CGR d’expliquer où ils comptent s’approvisionner en or,
quelle est la taille prévue de la raffinerie de CGR, où ils envisagent
d’exporter l’or et de quelles exonérations fiscales CGR a bénéficié, le cas
échéant.
/ Fin
Contacts
Infos pour les journalistes:
Global Investment Congo (GIC) détenait 60 % des parts de CGR lors de sa constitution ; GIC appartenait à Yeahong Investment (Chine/Seychelles) et Allamanda Trading (Îles vierges britanniques).
Yeahong Investment a été constituée aux Seychelles et dirigée en 2019 par Liu Zhigang, responsable de la région Afrique de l’Est de Frontier Services Group (FSG). Auparavant, Liu Zhigang dirigeait la branche congolaise d’un important conglomérat chinois qui a remporté de prestigieux contrats de construction en RDC. La Société Zhengwei Technique Congo (SZTC), filiale congolaise de WIETC, aurait entrepris la réfection de l’aéroport Ndjili à Kinshasa et en 2015 terminé la construction de l’immeuble de l’hôtel du Gouvernement de la République, qui accueille huit ministères.
Allamanda Trading (BVI) a été représentée à différents moments par Alain Wan ou Jacques Meys. Wan serait un proche associé de Kabila, et il faisait partie du conseil d’administration d’une société qui a touché des millions sous la forme de paiements vraisemblablement illégaux provenant de la banque centrale de la RDC, d’après une enquête de l’OCCRP. Cet argent a ensuite « transité par la société pour atterrir dans les poches d’un petit groupe d’associés du Président Joseph Kabila ».
Marathon Sarl détient 40 % des parts de CGR. Ses propriétaires et administrateurs sont indiqués comme étant Karim Somji, Robert Mutesa, Joyce Otoshimo Ekanga et Médard Palankoy.
Karim Somji est un ressortissant belge de 59 ans, né au Burundi, qui vit actuellement en RDC. Il est mentionné dans un rapport consacré par le Enough Projet aux groupes armés impliqués dans le commerce d’or en RDC. D’après ce rapport, Karim aurait en 2011 fait passer de l’or en contrebande depuis la mine d’Omate en RDC, le faisant transiter par le Rwanda pour finir au Burundi, alors que le site était contrôlé par des groupes armés.
Robert Mutesa était l’associé gérant de Planet Air pendant la Seconde Guerre du Congo (1998-2003). Cette compagnie aérienne, détenue en 2002 par l’épouse d’un général ougandais, Salim Saleh, aurait servi à acheminer des armes depuis l’Ouganda et le Rwanda jusque dans l’est de la RDC pendant le conflit. Dans un rapport établi pour le Conseil de sécurité de l’ONU, les enquêteurs de l’ONU ont également accusé cette compagnie aérienne d’avoir facilité les activités d’un trafiquant d’armes et de diamants notoire, Victor Bout.
Joyce Otshimo Ekanga est secrétaire général adjoint de la Chambre de commerce sino-congolaise d’investissement et de développement. Il est aussi actionnaire de deux compagnies minières congolaises récemment constituées, Nek Mining et Glorhis Multi-Services. Son père, Moïse Ekanga, dirigerait le Bureau de Coordination et de Suivi du Programme Sino-Congolais (BCPSC) de la RDC, un organe opaque de l’État congolais chargé de gérer les transactions commerciales et prêts entre le gouvernement congolais et les entreprises chinoises. Le Carter Centre a découvert qu’entre 2008 et 2014, des centaines de millions de dollars de prêts chinois, supervisés par le BCPSC sous la houlette de Moïse Ekanga, n’avaient pas été dépensés dans des projets d’infrastructure, comme cela était prévu. Le BCPSC n’a pas pu rendre compte de l’utilisation de quelque 685 millions de dollars de ces prêts.
Médard Palankoy – Actionnaire de Marathon. Palankoy a été décrit dans les médias comme étant le « principal » avocat de Dan Gertler en RDC ; il détenait des actions dans une compagnie sanctionnée par le Trésor américain lorsque celui-ci a ciblé les entités permettant à Gertler « d’accéder au système financier international et de profiter de la corruption et de comportements répréhensibles ». L’adresse du bureau de Palankoy est la même que celle où sont immatriculées les sociétés CGR et Marathon.
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