- Les initiatives mises en œuvre par le gouvernement de la RDC en 2022 pour tenter d'assainir le secteur de l'exploitation forestière du pays ont été contrées en l'espace d'à peine trois mois à la suite d'un recours en justice déposé par une société d'exploitation forestière
- Global Witness a identifié plusieurs cas indiquant la construction de routes forestières dans certaines régions au cours de ces trois mois, malgré la suspension de toute activité forestière ordonnée par le gouvernement
Pays d'Afrique le plus diversifié sur le plan biologique, la République démocratique du Congo (RDC) abrite environ 60 % de la forêt tropicale du bassin du Congo, souvent surnommée « le deuxième poumon vert de la planète ». Mais le pays se distingue également par l'un des taux de déforestation les plus élevés dans le monde, avec une perte de plus d'un million d'hectares de couvert végétal pour la seule année 2023.
Depuis des décennies, le pays est en proie à la corruption et à des problèmes de gouvernance qui ont entravé les tentatives de lutte contre la déforestation.
Suite à un rapport initial publié par Global Witness en octobre 2023, une enquête plus approfondie a révélé que les tentatives du gouvernement de la RDC en 2022 pour assainir le secteur de l'exploitation forestière du pays ont été contrées en l'espace d'à peine trois mois à la suite d'un recours en justice déposé par une société d'exploitation forestière. Au cours de cette pause de trois mois, la construction de routes forestières s'est poursuivie dans certaines zones de la forêt tropicale.
Ce constat illustre clairement les difficultés auxquelles les gouvernements sont confrontés lorsqu'ils tentent de protéger leurs forêts contre les intérêts commerciaux internationaux.
Une tentative de nettoyage
Il est extrêmement difficile de lutter contre l'exploitation forestière illégale en RDC : en effet, selon un rapport de 2014 publié par Chatham House, un think tank britannique, 90 % de l'exploitation forestière dans le pays est illégale.
Une étude du gouvernement de la RDC publiée au début du mois d'avril 2022 indique que de nombreuses zones d'exploitation forestière, connues sous le nom de concessions, ont été attribuées en violation des lois du pays.
Suite à cette étude, le 5 avril 2022, le ministre de l'Environnement de la RDC a suspendu 12 concessions exploitées par cinq sociétés d'exploitation forestière.
Cinq de ces concessions étaient détenues par l'une des sociétés d'exploitation forestière les plus controversées en RDC, la Congo King Baisheng Forestry Development (CKBFD), qui appartient à la société chinoise Wan Peng International. Selon le gouvernement, certaines de ces concessions forestières avaient été initialement attribuées à CKBFD par le biais d'un « trafic d'influence ».
Eve Bazaiba, ministre de l'Environnement de la RDC, a indiqué que la décision de suspendre les permis d'exploitation avait été prise afin de « préserver les forêts du Congo dans l'intérêt des communautés », et selon un article du New York Times, son ministère avait « entamé un effort de lutte contre la corruption qui comprend la suspension des permis d'exploitation forestière accordés illégalement ».
Des décennies d'exploitation forestière et une interdiction de trois mois
Cependant, les efforts de la RDC pour protéger la forêt semblent avoir été voués à l'échec.
Global Witness a publié un rapport en octobre 2023 affirmant que la suspension d'avril 2022 n'a pas été respectée par CKBFD. Le rapport indique également que des exportations de bois illégalement exploité d'une valeur supérieure à 5 millions de dollars US ont été effectuées par CKBFD vers la Chine entre juin et décembre 2022.
Mais Global Witness a par la suite retiré son rapport lorsque de nouvelles preuves ont fait surface.
CKBFD n'avait répondu à aucune des demandes de commentaires de la part de Global Witness avant la publication du rapport 2023. Cependant, un mois après sa publication, CKBFD a donné une conférence de presse pendant laquelle la société a vigoureusement nié les affirmations de Global Witness, citant une décision de justice de juin 2022 ayant annulé la suspension de ses concessions.
Lors de cette conférence de presse et dans les déclarations publiques ultérieures de la société, Global Witness a découvert que les concessions n'étaient suspendues, et la forêt protégée, que pour une période de trois mois entre avril et juin 2022, après quoi l'exploitation forestière pouvait légalement reprendre.
Global Witness ne formule aucune allégation d'illégalité ou de corruption en rapport avec l'attribution des concessions de CKBFD ou de toute autre société. Toutefois, la reprise de leur activité après la suspension de trois mois a eu pour conséquence de remettre deux millions d'hectares de forêt tropicale entre les mains des exploitants forestiers, y compris les cinq concessions de CKBFD.
En mai 2024, Global Witness n'a pu trouver aucune déclaration publique sur l'arrêt de la suspension sur les sites Internet du gouvernement de la RDC. Seules les personnes ayant assisté à la conférence de presse de CKBFD l'année dernière ont pu obtenir des copies de l'ordonnance du tribunal de juin 2022.
Global Witness a contacté le gouvernement de la RDC à plusieurs reprises pour obtenir des commentaires, mais n'a pas reçu de réponse.
Les opérations d'exploitation forestière continuent
Au cours de sa conférence de presse, CKBFD a nié avoir exploité du bois à tout moment pendant la période de suspension de trois mois et a affirmé que seul le bois exploité avant cette suspension avait été exporté au cours de cette période.
Mais des images satellite examinées par Global Witness suggèrent que l'activité d'exploitation forestière s'est poursuivie au sein des concessions de la société pendant la période de protection de trois mois entre avril et juin 2022, période durant laquelle toute exploitation dans les zones de concession était illégale.
Dans une zone de concession, des images satellite prises entre le 5 avril et le 13 juin 2022 montrent l'expansion des routes dans la concession de l'entreprise. Global Witness a consulté quatre experts indépendants, qui ont tous affirmé que le tracé des routes indique qu'elles ont probablement été élargies pour mener des activités d'exploitation forestière dans la région.
Il est clair que ces routes sont destinées à l'exploitation forestière, car elles ne relient pas des zones habitées, mais pénètrent et s'étendent au cœur de forêts tropicales intactes. De plus, les signes d'une exploitation forestière récente sont évidents et relient la construction de la route à une utilisation des terres à des fins d'extraction forestière. - Matthew Hansen, expert en télédétection à l'Université du Maryland
D'autres images satellite d'une autre zone de concession, prises entre le 8 avril et le 11 juin 2022 indiquent une expansion similaire des routes forestières.
Global Witness a fait part de ces allégations à CKBFD, mais n'a pas reçu de réponse malgré de multiples tentatives pour contacter l'entreprise par différents moyens.
Concernant d'autres zones de concession, Actions pour la Promotion et Protection des Peuples et Espèces Menacés (APEM), une organisation de défense des droits basée à Kinshasa a déclaré publiquement en octobre : « De nombreux éléments ont été observés sur le terrain, notamment la coupe de bois qui dépasse la limite d'abattement annuelle. Cette activité a dépassé les limites autorisées. La société a même exploité des espèces qui ne figurent pas dans leur permis d'exploitation. À ceci s'ajoutent tous les problèmes sociaux concernant les travailleurs. Par exemple, l'absence de contrats de travail et de dispositions en matière de logement. »
Selon un rapport de 2023 publié par Rainforest Foundation UK, les activités d'exploitation forestière au sein des zones de concession favorisent des taux plus élevés de déforestation à long terme, parce que les routes forestières permettent l'accès à de nouvelles zones d'exploitation.
Perspectives d'avenir
Bien que la RDC affiche des niveaux de déforestation parmi les plus élevés au monde, le gouvernement de la RDC a indiqué qu'il pourrait donner le feu vert à de nouvelles concessions à l'avenir, ouvrant potentiellement de vastes étendues de forêts jusqu'alors protégées à l'exploitation forestière.
Cela démontre que les conditions d'une gestion équitable et durable des forêts de la RDC ne sont pas réunies à l'heure actuelle et que la perspective d'ouvrir des dizaines de millions d'hectares de concessions forestières supplémentaires représente un risque important pour les forêts et les communautés qui y vivent. - Joe Eisen, Directeur exécutif de Rainforest Foundation UK, a déclaré à Global Witness
La demande internationale pour le bois de construction congolais joue un rôle majeur dans l'exploitation forestière en RDC. En 2022, la Chine a importé plus de bois provenant de la RDC que tout autre pays, bien que l'ampleur de l'illégalité et du commerce transfrontalier rende difficile le calcul de la quantité totale de bois exporté.
Pour protéger les « forêts vitales pour le climat », M. Eisen a déclaré que les communautés locales et les agences publiques de la RDC devraient être habilitées à appliquer les lois déjà en place.
« En fin de compte, nous pensons qu'elle devrait dès maintenant renoncer à l'exploitation forestière industrielle inadaptée et adopter des modèles qui placent les communautés locales au cœur des efforts de gestion et de protection des forêts, notamment par la mise en œuvre de la loi novatrice du pays sur les forêts communautaires. »
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