Une nouvelle enquête, menée conjointement par Global Witness et la Plateforme de Protection des Lanceurs d'Alerte en Afrique (PPLAAF), dévoile des preuves indiquant que le magnat controversé du secteur minier Dan Gertler aurait utilisé un réseau international de blanchiment d'argent pour tenter de se soustraire aux sanctions américaines et continuer à mener des affaires en RDC.
2 juillet 2020, Londres & Paris - Le sulfureux milliardaire Dan Gertler semble avoir utilisé un réseau de blanchiment d'argent, s'étendant de la République Démocratique du Congo (RDC) jusqu'à l'Europe et Israël, pour échapper aux sanctions américaines contre lui, faire transiter des millions de dollars vers l'étranger et acquérir de nouveaux actifs miniers en RDC, révèlent aujourd'hui Global Witness et PPLAAF dans leur enquête conjointe, "Des sanctions, mine de rien".
Les nouvelles preuves que l'enquête a permis de rassembler mettent en évidence les rouages de l'empire commercial complexe de Gertler et révèlent un système apparemment conçu pour dissimuler des versements et dépôts pouvant aller jusqu’à plusieurs millions de dollars. Ce système aurait permis à Gertler de continuer à tirer d'énormes profits de ses activités commerciales en RDC, malgré les sanctions à son encontre imposées par les États-Unis en décembre 2017 suite à ses "contrats miniers et pétroliers opaques et entachés de corruption".
Les sanctions contre Gertler, ami personnel et proche de Joseph Kabila, longtemps président de la RDC, lui interdisent de faire des affaires avec des citoyens, banques ou entreprises américaines. PPLAAF et Global Witness révèlent aujourd'hui des preuves indiquant que Gertler aurait trouvé le moyen de continuer à utiliser la devise américaine dans ses activités, de consolider sa fortune et même d'acquérir de nouveaux actifs en RDC.
"Cette enquête offre un aperçu sans précédent sur les méandres d’un montage international de grande envergure apparemment destiné à contourner les sanctions américaines et blanchir des fonds", a déclaré Margot Mollat, responsable de campagne chez Global Witness.
Ces révélations mettent en évidence des lacunes et des défaillances critiques dans les mécanismes d'application des sanctions financières et de la lutte contre le blanchiment d'argent, ainsi que le rôle joué par des avocats, le secret des affaires, et des règlementations bancaires laxistes.
"L'analyse de PPLAAF et de Global Witness, basée sur des documents fournis par des lanceurs d'alerte malgré de grands risques pour leur sécurité personnelle, révèle un réseau complexe de sociétés écrans, de comptes bancaires secrets et de mandataires apparemment mis en place pour aider Gertler et ses complices", a déclaré Gabriel Bourdon-Fattal, chargé de projet à PPLAAF.
L'enquête révèle comment Gertler aurait sans doute exploiter les failles du système financier international pour se soustraire aux sanctions.
"Notre enquête semble montrer comment les mécanismes de l'économie mondiale peuvent être exploités par des acteurs malveillants à des fins d'enrichissement personnel, au détriment de la population congolaise, dont plus de 73% vit avec moins de 2 dollars par jour", a déclaré Mollat.
Le rapport montre également comment deux grandes sociétés minières internationales opérant en RDC, Sicomines et ERG, auraient effectué des paiements à des agences douanières et logistiques apparemment contrôlées par Gertler ou ses associés, alors que Gertler était déjà sous le coup des sanctions américaines. Le géant multinational des matières premières Glencore, dont les liens avec Gertler remontent à 2007, a également continué à lui verser des royalties très controversées, malgré les sanctions américaines.
Les conclusions du rapport suggèrent que Gertler, avec l'aide de mandataires, a relocalisé en RDC ses sociétés qui étaient basées dans des paradis fiscaux opaques. Gertler et son réseau de mandataires ont ensuite ouvert des comptes bancaires dans les succursales congolaises d'Afriland First Bank, basée au Cameroun. De nouveaux noms ont progressivement fait leur apparition sur des registres des sociétés et comptes bancaires connectés à Gertler de manière subtile et diverse. L’un de ces noms était notamment celui d'un individu impliqué dans une fraude à la TVA sur la taxe carbone qui a coûté 5 milliards d'euros à l'Union Européenne.
Au total, entre juin 2018 et mai 2019, au moins 100 millions de dollars ont transité par des comptes bancaires associés à ce réseau. Une grande partie des montants en question était libellée en dollars américains, malgré les sanctions américaines, et près de 70% des fonds ont été déposés en liquide sur des comptes apparemment liés à Gertler ou ses associés.
Parmi les transactions révélées aujourd'hui, au moins 21 millions de dollars ont été envoyés sur des comptes inconnus détenus en dehors de la RDC et 25 millions de dollars ont été versés à la Gécamines, la compagnie minière publique controversée de la RDC. Gertler a apparemment utilisé des mandataires pour effectuer ces paiements à la Gécamines, en échange de nouveaux permis d'exploitation minière, et ce juste avant les élections de 2018. Cela rappelle les accords que Gertler avait passés avec la compagnie minière publique avant les élections de 2011, opération qui avait contribué à l'imposition de sanctions pour "corruption" à son encontre.
Alors qu'on aurait pu s'attendre à ce que l'élection du nouveau président Félix Tshisekedi, en 2018, mette un terme à la longue et lucrative alliance entre Kabila et Gertler, les élections en RDC ont été entachées d'irrégularités et de rumeurs d'un accord avec l'ancien président. Kabila semble avoir conservé une partie de son pouvoir politique et de son influence sur de nombreuses institutions du pays, ce qui aurait pu aider son vieil ami Gertler à continuer à opérer librement en RDC, malgré les sanctions.
"Sous le nouveau président Félix Tshisekedi, le gouvernement congolais s'est engagé à donner la priorité à la lutte contre la corruption. Si l'engagement de l'administration en ce sens est sérieux, elle doit commencer par geler les avoirs de Dan Gertler et réaliser un audit de toutes ses transactions avec des entreprises publiques", a déclaré Bourdon-Fattal.
Gertler, ainsi que d'autres individus et entreprises au sujet desquels Global Witness et PPLAAF ont trouvé des preuves indiquant des efforts concertés pour contourner les sanctions américaines, ont tous vigoureusement nié toute tentative en ce sens. Ils affirment tous avoir exercé leurs propres activités commerciales légitimes et ne pas avoir agi au nom de Gertler. Il n'y a pas eu, affirment-ils, de tentative ou de conspiration pour échapper aux sanctions. Glencore, Sicomines et ERG nient également avoir commis le moindre acte répréhensible, y compris le fait d'avoir fait des affaires avec Gertler en violation des sanctions américaines. Des réponses plus détaillées fournies dans le cadre de l'enquête de PPLAAF et Global Witness peuvent être consultées ici.
Les autorités compétentes concernées, y compris aux États-Unis, en Suisse, en Israël et en RDC, doivent enquêter sur les individus et les sociétés cités dans ce rapport afin de déterminer s'ils étaient complices de l’évasion des sanctions de Dan Gertler et, le cas échéant, les presser à rendre des comptes.
Global Witness et PPLAAF appellent également l'UE à s'assurer que son projet de "régime de sanctions Magnitsky" comporte des dispositions visant à imposer des sanctions en cas de corruption au même titre que les violations des droits humains, afin de garantir que l'Europe ne devienne pas un refuge pour l'argent sale.
Exclusion de responsabilité : la version française est une traduction du document original en anglais. Cette traduction ne peut être utilisée qu’à titre de référence. En cas de divergence entre la version française et la version originale anglaise, la version anglaise fait foi. Global Witness décline toute responsabilité en cas de dommage ou préjudice causé par des erreurs, des imprécisions ou des incompréhensions de traduction.
Crédit image: Simon Dawson/Bloomberg via Getty Images
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Infos pour les journalistes:
- Le 21 décembre 2017, le Bureau du contrôle des avoirs étrangers (OFAC) du département du Trésor américain a sanctionné Dan Gertler, un ami proche de l'ancien président de la RDC, Joseph Kabila, ainsi que son associé de longue date, sa fondation familiale et 18 de ses entreprises. L'OFAC estimait que Gertler "s'était servi de son amitié étroite avec le président congolais Joseph Kabila afin de s'imposer comme intermédiaire dans la vente d'actifs miniers en RDC, obligeant certaines multinationales à passer par Gertler pour faire des affaires avec l'État congolais". Le 15 juin 2018, l'OFAC a sanctionné 14 autres entités affiliées à Gertler. Une de ces sociétés a été retirées de la liste des sanctions en mars 2020.
- La fondation Africa Progress Panel, présidée par l'ancien Secrétaire général de l'ONU Kofi Annan, a estimé qu'entre 2010 et 2012 seulement, la RDC avait perdu plus de 1,36 milliard de dollars de revenus en raison de la sous-évaluation des actifs miniers vendus à des sociétés offshore liées à Gertler. À cette époque, 1,36 milliard de dollars représentait le double des budgets annuels combinés que la RDC allouait à la santé et l'éducation. Plus d'information sur le sujet dans notre rapport: Hors d’Afrique
- Glencore et Gertler ont été partenaires dans des projets miniers en RDC pendant une décennie, jusqu'à ce que Glencore rachète les parts de Gertler pour un milliard de dollars en février 2017. Gertler possède des droits qui lui garantissent le paiement de royalties issues du projet minier de Mutanda. En novembre 2015, Global Witness a révélé qu'il avait secrètement acquis des droits au paiement de royalties issues de l'autre compagnie minière de Glencore, Kamoto Copper Company (KCC). Global Witness publie au sujet des accords conclus entre Glencore avec Gertler depuis 2011, qui met en cause la manière dont le géant des matières premières a enrichi Gertler et protégé ses intérêts dans les accords miniers.
- Au moins trois sociétés qui ont fait des affaires avec Gertler ont été ou sont ciblées par des enquêtes étrangères sur leur possible implication dans des affaires de corruption en RDC. En septembre 2016, le fonds spéculatif américain Och-Ziff a admis son rôle dans une conspiration de corruption en Afrique et conclu un accord de poursuite différée avec le ministère américain de la justice. Le partenaire d'Och-Ziff en RDC a été décrit dans des documents publiés par les autorités américaines comme un "homme d'affaire israélien notoire" et il est largement admis qu'il s'agit de Dan Gertler. La compagnie minière kazakhe ERG, formellement cotée à Londres et connue sous le nom d'ENRC, fait depuis 2013 l’objet d'une enquête du Serious Fraud Office (SFO) britannique pour des faits d’une possible corruption liée à ses transactions en RDC, dont plusieurs impliquaient Gertler. Le 3 juillet 2018, Glencore annonçait avoir reçu du ministère de la Justice américain l'ordre de produire des documents afférant à ses opérations en RDC, au Nigéria et au Venezuela, "dans le cadre d'une enquête sur la conformité du géant minier vis-à-vis des lois américaines sur les pratiques de corruption à l'étranger (Foreign Corrupt Practices Act) et la législation américaine en matière de blanchiment d'argent".
- La fraude à la TVA sur la taxe carbone est une escroquerie menée en Europe sur les marchés des quotas de carbone, entre 2008 et 2009. Les entreprises impliquées achetaient des crédits carbone hors taxe en dehors de l'Europe, les faisaient passer par des sociétés écrans et les revendaient ensuite, avec la TVA ajoutée. Au lieu de reverser la TVA perçue à l'autorité fiscale compétente, les sociétés écrans de la chaine fermaient soudainement boutique et disparaissaient sans laisser de trace. Les gains ainsi mal acquis étaient ensuite blanchis. La France et l'UE ont perdu respectivement 1,6 milliards et 5 milliards d'euros de recettes fiscales.
- La Gécamines a été accusée à plusieurs reprises de vendre des actifs miniers sous-évalués à Gertler et de détourner des fonds publics. Le rapport 2017 de Global Witness intitulé Distributeur Automatique de Billets estime que plus de 750 millions de dollars de revenus miniers versés par diverses entreprises à la Gécamines et à l'administration fiscale entre 2013 et 2015 ne sont jamais parvenus au Trésor public.
- L'UE négocie actuellement l'adoption d'un régime horizontal de sanctions destiné à lutter contre les violations et abus des droits de l'homme dans le monde. L'initiative a été présentée pour la première fois en décembre 2018 par les Pays-Bas. En mars 2019, les parlementaires européens ont soutenu une résolution appelant à un nouveau régime de sanctions global de l'UE en matière de droits de l'homme, actuellement en discussion au Conseil européen. La proposition actuelle se concentre sur les "violations graves des droits de l'homme" et n'inclut pas la corruption parmi les motifs de désignation.
Global Witness est une organisation non gouvernementale basée au Royaume-Uni et qui fait campagne dans le monde entier pour rompre les liens entre les ressources naturelles, la corruption et les conflits.
PPLAAF est une organisation non gouvernementale créée en 2017 pour défendre les lanceurs d'alerte, ainsi que faire du plaidoyer et engager des litiges stratégiques en leur nom lorsque leurs révélations traitent de l'intérêt général des citoyens africains.
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