Une enquête révèle que les plus importantes tourbières tropicales du monde sont menacées par les activités de forage pétrolier d’une compagnie proche de la famille dirigeante de la République du Congo.
Un nouveau rapport de Global Witness révèle que l’un des plus importants puits de carbone au monde est menacé par l’exploration pétrolière. Des activités de forage dans les tourbières forestières de la République du Congo, qui jouent un rôle clé dans la régulation du climat, pourraient faciliter l’émission de milliards de tonnes de carbone. Les financeurs potentiels de ce projet risquent également de faire face à une corruption et de se retrouver bredouilles.
En août 2019, une compagnie contrôlée par l’un des hommes les plus riches d’Afrique, Claude Wilfrid Etoka, annonçait la découverte d’une réserve pétrolière soi-disant considérable en République du Congo. Cette réserve se trouve dans une région où, en 2014, des scientifiques ont révélé l’existence de la plus vaste zone de tourbière tropicale du monde, qui stockerait 30 milliards de tonnes de carbone – soit l’équivalent de trois années d’émissions mondiales de combustibles fossiles.
Dans un rapport publié aujourd’hui, intitulé Ce qui se cache sous terre, Global Witness révèle que, contrairement aux dires du gouvernement congolais, ce projet pétrolier menace directement ces tourbières critiques pour le climat. L’étude d’impact environnemental consacrée à cette zone remonte pratiquement dans sa totalité à l’époque où les tourbières n’avaient pas encore été découvertes, et elle ne contient aucune analyse du risque qu’un forage leur fait courir.
Cette enquête, menée en collaboration avec le réseau de journalistes European Investigative Collaboration (EIC), a également mis en évidence des éléments qui prouvent que la compagnie congolaise privée qui a annoncé la découverte pétrolière, Petroleum Exploration and Production Africa (PEPA), est dirigée par un neveu du Président Sassou-Nguesso, d’où un conflit d’intérêts manifeste. Il existe des liens étroits entre la famille du Président et Etoka, président du conseil d’administration et principal actionnaire de PEPA.
« Le projet de Ngoki se caractérise par des risques apparents de corruption, et il pourrait infliger des préjudices environnementaux irréversibles », a commenté Colin Robertson de Global Witness. « Ses liens avec le clan dirigeant du Congo et la gestion visiblement irresponsable des questions environnementales font que tout investisseur risquerait beaucoup à soutenir ce projet. »
Global Witness a pris connaissance d’éléments démontrant que les comptes bancaires de la compagnie de négoce pétrolier d’Etoka, SARPD Oil, ont été clos par BNP Paribas en raison des liens étroits qu’entretient cet homme avec la famille présidentielle. BNP Paribas semble également avoir été préoccupée par le manque de transparence entourant la manière dont il a instauré des relations hautement lucratives avec la compagnie pétrolière d’État. SARPD Oil semble avoir fait fortune en servant d’intermédiaire entre la Société Nationale des Pétroles du Congo et des négociants en pétrole internationaux.
Etoka a pris le contrôle des droits de forage du gisement encore inexploité de Ngoki en écartant un rival. Ayant acquis 30 % des parts du projet pétrolier de Ngoki en 2013, il a ensuite réduit la part de l’actionnaire majoritaire à moins de 1 % lors d’une réunion du conseil à laquelle ce principal actionnaire affirme ne pas avoir été convié. Etoka a expliqué à Global Witness que sa prise de contrôle de la compagnie avait été approuvée par le tribunal de commerce de la République du Congo.
Même si les opérations d’Etoka étaient irréprochables, le projet de Ngoki a des chances de décevoir. En effet, l’enquête de Global Witness et d’EIC révèle qu’en 2015, les compagnies Total et Shell avaient toutes les deux rejeté des opportunités d’investir dans le projet pétrolier de Ngoki au vu des résultats d’une étude sismique. D’autres experts du secteur pétrolier doutent de la crédibilité de la soi-disant découverte de pétrole d’Etoka, suggérant que les bénéfices potentiels du projet pourraient avoir été grandement surestimés.
« Les tourbières du Congo sont le dernier endroit sur terre où il faudrait envisager d’extraire des combustibles fossiles. Les grandes compagnies pétrolières, notamment Total et ENI, devraient faire savoir publiquement qu’elles n’investiront dans l’exploration pétrolière dans aucune zone de tourbière du bassin du Congo ou à proximité. Les banques devraient aussi refuser de financer toute activité de forage en ces lieux, et les donateurs devraient insister pour que toute exploration soit proscrite », a précisé Colin Robertson.
/ Fin
Contacts
Cela pourrait aussi vous intéresser :
-
Article Ce qui se cache sous terre
Une enquête révèle comment un des hommes les plus riches d’Afrique a obtenu dans des circonstances douteuses un projet pétrolier associé aux dirigeants corrompus de la République du Congo, mettant ainsi en danger des tourbières forestières reconnues comme -
Briefing Sous le feu des projecteurs
Global Witness a obtenu des preuves solides de corruption à haut-niveau en rapport avec quatre permis pétroliers du géant italien Eni en République du Congo. -
Briefing Caisse siphonnée : où est passé l'argent du pétrole congolais ?
Suite à l’analyse de documents du secteur pétrolier congolais jusqu’alors dissimulés, Global Witness révèle des signaux d’alerte flagrants de corruption et un secteur acquis à la cause des entreprises étrangères, dont Total, Chevron et Eni.