Une nouvelle enquête de Global Witness suggère que le négociant international en matières premières Traxys achète du coltan extrait en zone de conflit puis introduit clandestinement de la République démocratique du Congo (RDC) au Rwanda
Notre enquête révèle que cette société multimilliardaire, dont le siège est basé au Luxembourg, a acheté 280 tonnes de coltan au Rwanda en 2024, selon les documents douaniers consultés par Global Witness.
Une analyse des données commerciales de deux négociants de coltan laisse penser qu’une grande partie du coltan acquis par Traxys au Rwanda provient de zones affectées par la guerre en cours dans l’est de la RDC.

Mines dans la zone de Rubaya, en RDC, dont de grandes quantités sont passées en contrebande vers le Rwanda. Global Witness
Le tantale, un métal dérivé du coltan, entre dans la composition d’équipements électroniques comme les téléphones portables, les PC et les pièces automobiles, notamment pour les véhicules électriques — et s’inscrit donc dans les démarches de transition énergétique. En moyenne, un smartphone contient 40mg de tantale.
En février dernier, le M23, groupe armé soutenu par le Rwanda, a poursuivi sa campagne militaire en prenant le contrôle de Bukavu, capitale de la province du Sud-Kivu et foyer de plus d’un million d’habitants. Cette offensive est survenue quelques semaines seulement après la chute de Goma, la principale ville de l’est du pays.
Le M23 tire une grande partie de ses revenus de l’exploitation du coltan dans la zone de Rubaya, dont d’énormes quantités sont passées frauduleusement vers le Rwanda. Comme nous l’expliquons plus loin, Traxys dément que le coltan qu’il exporte du Rwanda provienne de Rubaya.
Nos constatations
- Traxys est quasiment le seul acheteur de coltan commercialisé par l’exportateur de minerais rwandais African Panther Resources Limited, d’après des informations douanières consultées par Global Witness.
- Deux négociants faisant passer illégalement du coltan de Rubaya (RDC) à la frontière rwandaise ont déclaré à Global Witness qu’African Panther achetait du coltan de contrebande extrait à Rubaya. Un négociant a également déclaré que le M23 imposait une taxe de 15 % sur le prix de vente.
- En 2024, les exportations de coltan d’African Panther ont atteint des volumes inédits dépassant le total cumulé des volumes d’exportation enregistrés au cours des quatre années précédentes. Cette hausse des exportations coïncide avec l’escalade de la guerre au Nord-Kivu et l’augmentation de la contrebande de coltan de conflit en provenance de Rubaya — ce qui semble d’autant plus indiquer qu’une large part des exportations d’African Panther en 2024 provient de la contrebande des zones de conflit en RDC.
- Depuis 2023, Traxys a multiplié ses achats de coltan au Rwanda, au point d’en devenir l’un des principaux acheteurs en 2024. Fin 2023, il était déjà clair que le coltan des mines de Rubaya, issu du conflit, était régulièrement introduit clandestinement dans le pays et blanchi dans les chaînes d’approvisionnement, selon les experts de l’ONU.

Le tantale, un métal dérivé du coltan, est utilisé dans la fabrication de produits électroniques. Phil Moore / Global Witness
Du coltan extrait en zone de conflit
Le M23 tire profit du coltan de Rubaya depuis début 2024 grâce au contrôle d’une voie de transport importante. Depuis fin avril 2024, il a également pris le contrôle total des mines de la zone, source d’environ 15 % du tantale mondial. Ce commerce de minerais permet au M23 de générer des revenus estimés à 800 000 dollars par mois.
Fin 2023, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a mené des discussions sur les matières premières critiques avec le président rwandais, Paul Kagame, qui ont conduit à la signature d’un partenariat stratégique sur les matières premières en février 2024.
Celui-ci est censé permettre à l’UE d’accéder plus facilement aux matières premières du Rwanda, y compris au tantale dérivé du coltan, que l’UE définit comme une matière première critique. Néanmoins, la présente enquête de Global Witness indique que l’UE n’a pas mis en place de garanties suffisantes pour empêcher les minerais de conflit d’entrer sur son territoire.
En février dernier, le Parlement européen a dénoncé l’insuffisance des mesures prises pour résoudre la crise dans l’est de la RDC. La commissaire Kallas, plus haute diplomate de l’UE, a depuis promis une révision de l’accord sur les minerais.
Le 17 mars, la Commission européenne a également sanctionné les dirigeants du M23, des officiers de l’armée rwandaise et une entreprise liée à des violations des droits humains en RDC. Le Luxembourg, où se trouve le siège de Traxys, aurait bloqué de telles sanctions par le passé.
Selon Alex Kopp, Conseiller De Campagne Superieur pour Global Witness,
« Nos investigations indiquent fortement que du coltan de conflit extrait en RDC et passé en contrebande au Rwanda est entré dans l’Union européenne. Il apparaît que l’UE n’a pas été capable d’ériger de garde-fous efficaces, et elle devrait immédiatement rompre son partenariat sur les matières premières avec le Rwanda.
En tant que bailleurs de fonds importants, l’UE et ses États membres disposent d’un moyen de pression réel sur le Rwanda. Les valeurs et principes de l’UE lui imposent de suspendre son aide au développement à destination du Rwanda jusqu’à ce que ce dernier retire ses troupes de RDC et mette fin à son soutien au M23. »
Contamination de la chaine d’approvisionnement
Selon des experts des Nations Unies, entre mai et octobre 2024, au moins 120 tonnes de coltan mensuelles ont été exportées clandestinement de la RDC vers le Rwanda, ce qui a entraîné la « plus grande contamination des chaînes d’approvisionnement en minerais » dans la région des Grands Lacs africains enregistrée au cours de la dernière décennie.
Les chiffres officiels rwandais montrent que les exportations de coltan ont doublé, passant d’environ 1 000 tonnes en 2021 à 2 000 tonnes en 2023. Les exportations ont encore augmenté en 2024 — un niveau record ayant été atteint au premier trimestre avec un total de plus de 630 tonnes.
L’ONU et diverses ONG font valoir que les chiffres des exportations de minerais du Rwanda ne correspondent pas à la production réelle du pays, ni aujourd’hui, ni avant la dernière augmentation des exportations. Le pays est accusé d’exporter du coltan pillé et introduit illégalement depuis la RDC depuis plus de vingt ans.
Entre 7 000 et 12 000 soldats rwandais combattent aux côtés du M23 au Nord et au Sud-Kivu, dont les combats ont déplacé des centaines de milliers de personnes. L’UE et ses États membres font partie des principaux donateurs du Rwanda, mais d’après les experts, l’aide publique au développement (APD) risque d’être réorientée pour financer la guerre.
Réponse des entreprises
En réponse à nos investigations, Traxys se défend d’acheter du coltan provenant de Rubaya et participant à financer le M23, et affirme que sa société est « fermement engagée à ne travailler qu’avec des chaînes d’approvisionnement responsables lorsqu’elle s’approvisionne en minerais dans des zones de conflit et à haut risque ».
L’entreprise a également fourni des informations sur ses mesures de diligence raisonnable, qui comprennent des visites de mines, des contrôles de plausibilité, une communication régulière avec African Panther et la connaissance des fournisseurs d’African Panther.
Global Witness note que certaines des entreprises citées par Traxys comme étant des fournisseurs d’African Panther ont un passé controversé en matière d’approvisionnement en minerais de la région.
L’une d’elles a été citée dans un rapport d’experts de l’ONU en 2012 pour avoir vendu des minerais censés provenir d’une mine où aucune activité n’était réellement en cours ; une autre a été signalée en 2008 comme achetant des minerais de conflit en RDC.
Dans sa réponse à notre enquête, African Panther a démenti la présence de coltan de contrebande issu de Rubaya au sein de sa chaîne d’approvisionnement. L’entreprise déclare avoir rendu visite à 48 de ses 70 fournisseurs en 2024 pour y effectuer des inspections de mines et une évaluation des risques. En revanche, elle n’a nommé aucun de ces fournisseurs et n’a pas répondu à la question de Global Witness sur les mines auprès desquelles elle s’approvisionnait en coltan.
Pour justifier la baisse de ses exportations entre 2020 et 2023, African Panther invoque la pandémie de COVID-19 et des restrictions financières. Pourtant, Global Witness remarque que les exportations de coltan d’African Panther avant la COVID-19 étaient nettement inférieures aux niveaux de 2024.
Traxys et African Panther affirment vérifier l’origine du coltan qu’ils achètent en contrôlant les taux de tantale et de niobium, deux éléments du coltan. Elles expliquent que le coltan de Rubaya, appelé « coltan blanc », contient plus de tantale et moins de niobium que le « coltan noir » du Rwanda.
Traxys déclare que « lorsqu’elle achète à African Panther, [elle] nomme toujours des experts indépendants chargés de prélever des échantillons, d’analyser chaque lot et de prendre des photos de la couleur et de l’apparence du matériau ».
Sur ce point, Global Witness note que selon une étude universitaire, la teneur en tantale varie considérablement d’une mine artisanale de coltan à l’autre au Rwanda. Deux géologues qui ont travaillé plusieurs années sur les minerais de conflit dans la région des Grands Lacs africains ont par ailleurs déclaré à Global Witness qu’il en allait de même pour le niobium.
D’autre part, un groupe d’experts des Nations Unies a avancé des preuves en 2015 selon lesquelles, une fois au Rwanda, le « coltan blanc » de la RDC était régulièrement noirci ou mélangé avec du coltan noir produit au Rwanda afin de dissimuler l’origine des minerais de contrebande.
Ce témoignage est corroboré par les deux géologues, qui ont indiqué à Global Witness que les exportateurs pouvaient simplement mélanger des concentrés de différentes sources afin d’atteindre la teneur souhaitée dans une cargaison d’exportation.
Traxys déclare également que toutes les livraisons de coltan d’African Panther à l’entreprise sont étiquetées par des « fournisseurs de traçabilité acceptés par l’industrie ».
Toutefois, dans un rapport de 2022, Global Witness révélait que le système de traçabilité dominant au Rwanda, l’ITSCI, dont Traxys et African Panther sont membres, semblait avoir été largement utilisé pour blanchir des minerais de contrebande au Rwanda — qui représenteraient environ 90 % des exportations de tantale, d’étain et de tungstène dans ses premières années d’existence.
Recommandations
- Le Rwanda doit immédiatement retirer ses troupes de la RDC et mettre un terme à tout soutien au M23
- L’UE devrait geler son Aide Publique au Développement au Rwanda, y compris son programme d’investissement de 900 millions d’euros dans le cadre de la stratégie Global Gateway
- L’UE doit annuler son partenariat stratégique sur les matières premières avec le Rwanda et tout autre projet stratégique lié aux minerais
- L’UE et d’autres gouvernements devraient envisager de nouvelles sanctions à l’encontre des commandants du M23, des hauts dirigeants rwandais responsables d’exactions ainsi que des entreprises qui profitent des ressources issues du conflit
- L’UE devrait cesser de soutenir les opérations militaires du Rwanda au Mozambique
- L’UE devrait rendre publiques les données commerciales des entreprises pour des raisons de transparence et par principe de responsabilité
- L’UE devrait appliquer sa réglementation sur les minerais de conflit
- La RDC et le Rwanda devraient poursuivre les négociations dans le cadre des processus de paix de Luanda et de Nairobi
- Les entreprises originaires de la région des Grands Lacs africains et intervenant dans les chaînes d’approvisionnement devraient faire preuve de diligence raisonnable, conformément au Guide de l’OCDE sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque.
Télécharger le rapport: Une nouvelle enquête donne à penser que le négociant européen Traxys achète des minerais de conflit extraits en RDC
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