Blog | 21 Juillet 2020

Pourquoi le régime de sanctions de l'UE doit s'attaquer à la corruption

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L'Union européenne est souvent perçue comme un défenseur des droits humains et l'un des marchés financiers les plus régulés du monde. Pourtant, mon enquête Des sanctions, mine de rien sur le magnat des mines Dan Gertler révèle que faute d'un régime de sanctions robuste, l'UE pourrait devenir le refuge de ceux qui chercher à se soustraire aux sanctions amériainces.

Le problème du régime de sanctions proposé par l'UE

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Depuis quelques années, l'Union européenne envisage de créer un régime international de sanctions ciblant les individus étrangers impliqués dans des violations graves des droits humains. Dans le sillage des États-Unis et du Canada, ou des engagements du Royaume Uni, ce dispositif permettrait à l'UE de geler les avoirs et d'interdire l'entrée sur son territoire aux individus ayant commis des actes répréhensibles. Mais contrairement aux mécanismes élaborés en Amérique du nord ou en Grande-Bretagne, le régime de sanctions proposé par l'UE comporte une omission flagrante : il ne tient pas compte des individus impliqués dans des faits de corruption.

Cette lacune ouvre la porte de l'UE à l'argent sale, nuit aux autres régimes de sanctions et fait abstraction de la manière dont la corruption conduit à la privation durable de droits humains fondamentaux.

L'UE doit donc élargir la portée de ces sanctions internationales afin d'y inclure la corruption comme motif de sanction. L'enquête commune menée avec la Plateforme de protection des lanceurs d'alerte en Afrique (PPLAAF) sur un possible réseau de blanchiment d’argent utilisé par Dan Gertler pour échapper aux sanctions illustre parfaitement cet impératif.

Le magnat des mines Dan Gertler aurait-il jeté son dévolu sur l'UE afin de contourner les sanctions américaines ?

Au cours de l'année écoulée, nos collègues de PPLAAF et nous-mêmes avons épluché des milliers de pages de comptes bancaires, de registres de sociétés et autres documents rendus publics afin de déterminer et de révéler si le sulfureux homme d'affaires Dan Gertler essayait d'échapper aux sanctions américaines dont il fait l'objet.

Dan Gertler a été sanctionné en 2017 en vertu du régime américain de sanctions dit « Global Magnitsky »  en raison de plusieurs années de « contrats miniers et pétroliers corrompus » en République démocratique du Congo (RDC). Suite à ces sanctions, Gertler n'a plus le droit d'entrer sur le territoire américain, tandis que les personnes, sociétés et banques américaines ont interdiction de faire affaire avec lui. De fait, Gertler n'a donc plus accès au dollar américain. Voilà pourquoi des éléments suggèrent qu’il se serait rabattu sur sa deuxième meilleure option : l'euro.

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Notre enquête Des sanctions, mine de rien dévoile la façon dont Gertler aurait utilisé un complexe réseau international composé de sociétés écrans, de comptes bancaires secrets et d'hommes de paille afin d'échapper aux sanctions américaines et de blanchir ses capitaux. Grâce à une banque congolaise ayant des banques correspondantes au sein de l'Union européenne, puis à travers une série de virements bancaires, il semblerait que les présumés associés de Gertler soient parvenus à convertir des millions d'euros en dollars, dont une partie aurait servi à racheter en toute discrétion des permis miniers en RDC.

La banque congolaise en question héberge également un compte en euros pour une société sanctionnée et contrôlée par Gertler, qui reçoit des paiements réguliers du géant du négoce Glencore. Entre juin et juillet 2018, Glencore a versé plus de 18 millions d'euros à Gertler – en dépit des sanctions américaines. Dans le cadre des sanctions américaines, les paiements effectués par Glencore pourraient être considérés comme une aide matérielle ou un soutien financier à Gertler, qui pourrait donc risquer d'être sanctionnés à l'avenir. Une partie de cette somme versée sur le compte d'une entreprise congolaise liée à Gertler a été redirigée vers Israël pour le paiement de divers services et organisations religieuses.

À bien des égards, ce compte en banque souligne les lacunes du système financier international ; il permet en effet à un individu de sous le coup des sanctions américaines, de faire transiter des fonds via des banques européennes, et de continuer ses affaires, en raflant potentiellement les bénéfices de transactions commerciales corrompues.

Gertler, tout comme les individus liés au réseau de sociétés écrans et les banques impliquées nient tout contournement de sanctions ou implication dans la moindre activité illégitime. Ils ont déclaré qu'ils disposent de preuves irréfutables que les paiements bancaires suspects sur lesquels nous nous sommes appuyés dans le cadre de notre enquête ont été fabriqués. Gertler nie également les allégations de transactions corrompues sur lesquelles reposent les sanctions américaines.

Le coût humain de la corruption

En omettant la corruption des critères de son régime de sanctions, l'UE déroule le tapis rouge à l'argent sale dérobé aux citoyens ailleurs dans le monde.

La corruption consiste essentiellement à priver la population des recettes de son État, ce qui a pour effet de paralyser les systèmes de redevabilité et de saper les principes mêmes de la démocratie. Depuis des décennies, Global Witness expose la façon dont des régimes autoritaires (de la République du Congo au Cambodge) et  des multinationales complices tirent profit du pillage des ressources naturelles, de la corruption systémique et du népotisme. Ce processus permet de détourner des fonds destinés aux services publics comme la santé, le logement ou l'éducation, et empêche de répondre aux besoins les plus élémentaires des populations.

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En RDC par exemple, les contrats de Gertler conclus entre 2010 et 2012 auraient privé l'État de 1,4 milliard de dollars de recettes selon le Département du Trésor Américain. À cette époque, cette somme représentait le double des dépenses nationales allouées à la santé et à l'éducation, soit environ 20 % du budget national annuel.

La RDC est l'un des pays les plus pauvres au monde - classé 179 sur 189 selon l’indice de développement humain, créé par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et calculé à partir de l'espérance de vie à la naissance, le nombre d'années de scolarisation et le revenu national brut par habitant. À l'heure où le pays est confronté à la pandémie de Covid-19, à la pire épidémie de rougeole jamais connue et à une nouvelle flambée d'Ebola, les investissements dans les services publics tels que la santé sont plus cruciaux que jamais. L'accaparement des revenus de l'État par certains fonctionnaires corrompus, sociétés complices et hommes d'affaires comme Gertler est un pillage qui ne dit pas son nom.  Ces capitaux souillés ne devraient pas être autorisés à pénétrer les marchés financiers européens.

Le régime de sanctions de l'UE doit cibler les acteurs corrompus

Notre enquête sur le possible réseau de blanchiment d’argent lié à Gertler est emblématique des raisons pour lesquelles l'UE doit impérativement inclure la corruption aux critères de sa proposition de régime international de sanctions.

Par nature, ces sanctions ne seront efficaces que si elles sont multilatérales. Si les sanctions américaines peuvent être évitées en détournant des fonds via les marchés européens, les autres régimes internationaux de sanctions seront affaiblis, l'intégrité du système financier européen sera compromise, et les bénéficiaires légitimes des fonds détournés, privés de ces recettes publiques. Un seul groupe tire donc son épingle du jeu : les acteurs sanctionnés comme Dan Gertler.


Exclusion de responsabilité : la version française est une traduction du document original en anglais. Cette traduction ne peut être utilisée qu’à titre de référence. En cas de divergence entre la version française et la version originale anglaise, la version anglaise fait foi. Global Witness décline toute responsabilité en cas de dommage ou préjudice causé par des erreurs, des imprécisions ou des incompréhensions de traduction.

Auteur

  • Margot Mollat

    Campaigner

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