Aujourd’hui à Paris, le directeur général de Global Witness, Gillian Caldwell, s’adressera à plus de 1 000 mineurs, négociants en matières premières, investisseurs, fabricants, représentants gouvernementaux et membres d’organisations de la société civile, dans le cadre de ce qui est probablement le plus grand forum mondial sur les changements à apporter aux modes d’approvisionnement en métaux et en pierres précieuses.
Le Forum OCDE sur les chaînes d'approvisionnement en minerais responsables peut paraître réservé à un public austère. Il s’agit pourtant des personnes, des entreprises et des législateurs impliqués dans la production, le commerce et la réglementation des ressources dont dépendent nos économies et nos vies – depuis les voitures que nous conduisons jusqu’aux maisons dans lesquelles nous vivons, en passant par les aliments que nous mangeons.
Ces ressources sont commercialisées et font l’objet de spéculations sur les marchés des changes à travers le monde, tandis que les investissements mondiaux dans les activités minières, forestières et agroalimentaires rapportent des milliards chaque année.
À Global Witness, nous pensons que ce commerce mondial des ressources naturelles devrait se faire dans le respect des populations et de notre planète.
Toutefois, des décennies de recherches menées par mon organisation ont montré que les entreprises font immanquablement passer le profit avant les populations et la planète. Alors que les actionnaires sont souvent protégés par la loi, les droits humains et l’environnement ne le sont pas.
Comment les chaînes d’approvisionnement alimentent les violations des droits humains
Nos recherches ont révélé que la production et la commercialisation mondialisées des ressources étaient invariablement liées à des actes de corruption, des comportements abusifs et des activités destructrices de l’environnement.
Nous avons mis en lumière la façon dont le géant du commerce des matières premières Glencore et son ancien partenaire Dan Gertler avaient acquis du cuivre et du cobalt en République démocratique du Congo (RDC). Depuis lors, Gertler est visé par des sanctions américaines pour corruption, mais ses transactions auraient privé le peuple congolais d’1,4 milliard $ de recettes.
Le cobalt et le cuivre provenant de ces mines est pourtant négocié sur les marchés internationaux. (Glencore est une société de droit suisse cotée à la Bourse de Londres).
Les informations que nous avons rassemblées en 2017 ont révélé que 201 défenseurs de l’environnement avaient perdu la vie à travers le monde alors qu’ils résistaient à des adversaires locaux et des firmes locales – y compris dans de grands projets miniers et agricoles – et qu’ils tentaient de protéger leurs forêts et leurs terres. Les entreprises et investisseurs internationaux sont liés à ces morts via leurs chaînes d’approvisionnement et leurs investissements.
Nous avons révélé que du talc provenant de mines d’Afghanistan et ayant financé l’État islamique avait été vendu aux consommateurs occidentaux, que de l'or négocié à Dubaï avait été troqué contre des fusils dans la chaîne d’approvisionnement en RDC, et que du bois ayant financé la guerre civile sanglante en République centrafricaine était entré dans des ports européens.
Il est clair qu’en raison de notre modèle économique actuel, la violence, la souffrance humaine et la dégradation de l’environnement dans une partie du monde sont le prix à payer pour la prospérité (et pour répondre à la demande du marché) dans une autre partie du globe. Cela doit changer.
Une norme mondiale relative à la responsabilité des entreprises
Le Forum OCDE sur les chaînes d'approvisionnement en minerais responsables pourrait être un moment crucial pour changer les choses, si nous saisissons cette chance. Le forum s’est révélé être un incubateur pour les premiers textes de loi adoptés dans le monde – aux États-Unis, au Rwanda, en République démocratique du Congo et en Europe – sur les droits humains dans les chaînes d’approvisionnement en métaux.
Ces lois font œuvre de pionnier, exigeant que les entreprises qui utilisent et commercialisent quatre métaux – l’étain, le tantale, le tungstène et l’or – contrôlent leurs chaînes d’approvisionnement et rendent compte de leurs constatations. Bien que ces lois aient créé des précédents, leur mise en œuvre par les entreprises et les gouvernements fait défaut.
Nous devons tirer les enseignements et faire fond de ces lois, même si leur portée, leur rayon d’action mondial et les sanctions qu’elles prévoient sont limités.
Il faut une législation mondiale ambitieuse sur la responsabilité des entreprises, qui soumettrait aux mêmes normes toutes les entreprises engagées dans l’extraction, la production et la commercialisation des ressources naturelles. Toutes les firmes devraient avoir pour obligation légale de s’assurer que leurs chaînes d’approvisionnement sont responsables, transparentes et ne contribuent pas à causer des préjudices sociaux et environnementaux.
Les directeurs d’entreprises devraient être tenus responsables individuellement des impacts causés par leur firme, mais également de ceux de leurs filiales et joint-ventures, y compris des chaînes d’approvisionnement physiques de toutes ces sociétés. À cet égard, la législation anti-corruption établit un précédent.
Les entreprises et les investisseurs doivent rendre compte publiquement de l’ensemble complet des risques non financiers rencontrés dans l’exercice de leur devoir de diligence – des violations des droits humains aux actes de corruption, en passant par les risques environnementaux, et ceci tout au long de leurs chaînes d’approvisionnement, et ils doivent être sanctionnés lorsque leurs rapports sont insuffisants ou brillent par leur absence.
Enfin, même si les entreprises doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour atténuer et remédier aux risques, nous devons également veiller à ce que soit mis en place un mécanisme mondial chargé de fournir un recours aux victimes lorsque les entreprises ont un impact négatif.
Une loi française de 2017 sur le devoir de vigilance, adoptée à la suite de la catastrophe du Rana Plaza au Bangladesh en 2013, instaure la responsabilité pour des dommages causés par les entreprises par négligence. Elle fournit un cadre utile, bien qu’imparfait, qui peut servir de base pour que justice soit rendue aux victimes de crimes commis par les entreprises.
Un approvisionnement responsable : la nouvelle normalité
Aujourd’hui, le monde est confronté au dérèglement climatique. Les chaînes d’approvisionnement y contribuent et exacerbent les atteintes aux droits humains, la violence et la corruption. Alors que s’intensifie la concurrence pour s’approprier les ressources naturelles (notamment dans le cadre de la nouvelle ruée vers les « technologies vertes »), le besoin de réformer le monde des entreprises, y compris tout au long des chaînes d’approvisionnement, est pressant.
Alors que les personnes les plus puissantes du secteur des métaux, des matières premières et des pierres précieuses se réunissent cette semaine à Paris, changeons les termes du débat !
Nous ne devrions tout simplement pas commercer avec ou investir dans des entreprises qui portent préjudice aux populations et à la planète. Les pratiques commerciales responsables et transparentes devraient être la norme et non l’exception. L’heure est venue d’inverser la vapeur et de réclamer des comptes aux entreprises qui font encore primer les investisseurs et les profits quel qu’en soit le prix.