Blog | 19 Février 2018

Géants miniers forcés à revoir leurs contrats miniers suite aux sanctions américaines

Lire ce contenu en:

English

En décembre 2017, le Trésor américain a décrété des sanctions à l’encontre du milliardaire israélien Dan Gertler et de 19 de ses sociétés en vertu de la loi Magnitsky de 2016 sur la responsabilité en matière de droits de l’homme (Global Magnitsky Human Rights Accountability Act). Bien que les transactions controversées de Gertler en République démocratique du Congo fassent l’objet de dénonciations depuis des années, c’est la première fois qu’une institution gouvernementale l’accuse directement de participation à des affaires de corruption à haut niveau.

Global Witness écrit au sujet des affaires suspectes de Gertler au Congo depuis 2011. Pendant des années, Gertler a agi en tant que gardien de l’accès aux richesses minérales du Congo et il aurait versé des millions de dollars en pots-de-vin à des responsables congolais. Il est important de réclamer des comptes à Gertler pour ses opérations au Congo, mais l’impact réel dépendra du plein respect des sanctions par les entreprises et de la capacité des autorités américaines à contrôler et assurer leur mise en œuvre.

L’annonce de décembre a déclenché une tempête médiatique, faisant la une du Financial Times, du Guardian, de Bloomberg, du Times, du New York Times, et de nombreux autres médias. Il s’agit de sanctions sans précédent, d’une portée énorme. Gertler est aujourd’hui dans l’impossibilité de se rendre aux États-Unis, d’avoir accès aux avoirs qu’il détient dans une juridiction américaine, ou encore d’effectuer des transactions (échange d’argent, de biens ou de services) avec une entité américaine. Toute entreprise détenue à 50% ou plus par lui ou ses entreprises est automatiquement visée par ces sanctions – qu’elle figure ou non sur la liste. Les autorités américaines peuvent également choisir de sanctionner une entreprise détenue à moins de 50% par Gertler, si elles déterminent qu’il en exerce le contrôle.

Toute personne ou entreprise, même à l’extérieur des États-Unis, qui fait des affaires avec Gertler risque de se voir infliger une amende ou même des sanctions par le Bureau américain du contrôle des avoirs étrangers (Office of Foreign Assets Control ou OFAC). Dans les cas extrêmes, ces personnes ou entreprises peuvent faire l’objet d’une enquête pénale ouverte par le Département américain de la Justice, sans parler du risque d’entacher leur réputation en faisant des affaires avec un individu visé par des sanctions.

Bon nombre de banques, d’investisseurs et d’autres institutions financières se servent de la liste de sanctions de l’OFAC dans le cadre de leurs procédures de conformité et de devoir de diligence. Ce qui signifie que même si les sanctions de l’OFAC ne s’appliquent immédiatement qu’à des personnes morales et physiques américaines et au système financier américain, leur portée est en réalité beaucoup plus large.

Les enjeux sont particulièrement importants pour deux entreprises qui entretiennent actuellement des relations avec Gertler : le géant suisse du commerce des matières premières Glencore et la société aurifère Randgold Resources, basée au Royaume-Uni.

L’entreprise Glencore a entretenu un partenariat controversé de dix ans avec Gertler au Congo et, au moins jusqu’en décembre, elle lui a versé des redevances dans le cadre de deux projets. Elle a déclaré à Global Witness qu’elle « réfléchissait encore à la position à adopter par rapport aux obligations contractuelles préexistantes qu’elle a envers des sociétés appartenant à M. Gertler ». Elle a écrit qu’elle « n’a effectué aucun versement à des entités appartenant à M. Gertler depuis que [son nom] figure sur la liste » de l’OFAC et qu’elle « respecte et adhère à toutes les sanctions applicables »

Alors que Glencore réfléchit à sa position, des questions fondamentales demeurent. Par exemple : les contrats seront-ils suspendus, résiliés ou annulés ? Les redevances s’accumuleront-elles, avec intérêts, sur un compte séquestre, Gertler pouvant alors les récupérer si son nom est retiré de la liste ? Seront-elles redirigées par l’intermédiaire d’une banque non américaine dans une devise autre que le dollar ? Ou peut-être seront-elles réacheminées vers une société anonyme basée dans une juridiction secrète non américaine, dont les propriétaires réels sont pratiquement impossibles à identifier. Tous ces scénarios sont possibles et les investisseurs de Glencore devraient exiger que la clarté soit faite sur ce qui se passe exactement.

Randgold, cotée sur le marché boursier américain du NASDAQ, a conclu un accord pour financer et mener une exploration dans le cadre du projet aurifère de Moku-Beverendi contrôlé par Gertler, en vertu duquel elle pourrait gagner une participation de 51% dans le projet Moku si elle trouve des réserves prometteuses. Bien que ni Moku-Beverendi ni son actionnaire majoritaire Moku Goldmines ne figurent sur la liste de sanctions, ces deux sociétés tombent automatiquement sous le coup de la loi américaine en vertu de la règle des 50% de parts ou de contrôle mise en place par l’OFAC.

Randgold n’a pas réagi à la demande de Global Witness sollicitant ses commentaires. Néanmoins, le PDG de Randgold, Mark Bristow, a déclaré à Bloomberg que sa société avait « invoqué la force majeure […] nous ne pouvons pas envisager de transactions [avec Moku] sous quelque forme que ce soit. Nous sommes une entreprise internationale et nous n’allons tout simplement pas compromettre cela ». Randgold « attend une réponse » des sociétés de Gertler.

Les représentants de Gertler au sein du cabinet de relations publiques Powerscourt, basé à Londres, ont déclaré que leur client n’avait aucun commentaire à émettre à propos des sanctions. Gertler a toujours nié avoir commis un quelconque acte préjudiciable dans le cadre de ses transactions commerciales au Congo. 

Poursuivre des relations commerciales avec Gertler exposerait Glencore, Randgold et leurs actionnaires à d’énormes risques sur le plan financier et juridique, ainsi que pour leur réputation.

Randgold semble prendre des mesures pour mettre un terme à ses relations, mais Glencore lui emboîtera-t-elle le pas ?

Tant Glencore que Randgold doivent pleinement respecter les sanctions et expliquer à l’OFAC, à leurs investisseurs et au grand public ce qu’elles ont prévu de faire pour mettre un terme définitif à leurs relations commerciales avec Gertler.

Les investisseurs doivent déterminer et évaluer si les sociétés dans lesquelles elles investissent sont pleinement en conformité et renoncent à tout investissement en lien avec les personnes visées par des sanctions.

Le véritable impact des sanctions de décembre dépendra de la façon dont les sociétés et les investisseurs choisissent de s’y conformer, ainsi que de la capacité des autorités américaines à contrôler et à assurer leur mise en œuvre. L’intégrité du système financier mondial repose sur ces deux éléments, mais elle sera au final tributaire de son maillon le plus faible.

C’est article est une traduction de la version originale qui a été publié en anglais le 18 février 2018 sur le site de la publication américaine, « The Hill ».

Auteur

  • Natasha White

    Journalist

Cela pourrait aussi vous intéresser :

  • Rapport

    Glencore and the Gatekeeper

    Glencore, the world’s largest commodities trader, enriched a friend of the Democratic Republic of Congo’s president by tens of millions of dollars and protected his interests as it gained control of one of Africa’s biggest copper miners.
    Glencore and the Gatekeeper Report Cover
  • Secret Sales Publications

    Global Witness has been investigating how two major international mining companies – Glencore and ENRC – are linked to the controversial secret sales of prize mining assets in the Democratic Republic of Congo.
    gw-fallback.png