Alors que Bruno Lemaire, ministre de l'Économie, des Finances et de la Relance, s'apprête à accueillir le Climate Finance Day ce mardi 26 octobre, il serait avisé de prendre le temps de lire notre nouveau rapport Global Witness, qui indique que la plus grande banque française, BNP Paribas, aurait pu dégager, entre 2016 et 2020, plus de 32,9 millions d'euros de revenus à partir de 5 milliards d'euros de transactions conclues avec des entreprises du secteur agro-industriel liées à la déforestation et aux violations des droits humains qui en découlent.

Protéger les forêts du globe est essentiel pour faire face à la crise climatique. Si la déforestation était un pays, elle se classerait au troisième rang des émetteurs de CO2, après la Chine et les États-Unis. Les forêts sont aussi essentielles à la préservation de la biodiversité. Plus tôt ce mois-ci, le président français Emmanuel Macron a déclaré, lors de l'ouverture de la COP15, la conférence des Nations unies sur la biodiversité, que : « Il faut que l’ensemble de nos investissements, publics comme privés, soient alignés avec les objectifs du cadre post-2020, c’est-à-dire que leur impact soit ou nul ou positif pour la nature ».

Si la France n'est malheureusement pas le seul pays à compter dans ses rangs des banques qui financent des entreprises agro-industrielles destructrices, elle a néanmoins l'occasion de montrer l’exemple pour adresser cette situation sur le plan international. Alors que la loi française sur le devoir de vigilance est déjà en vigueur et que la présidence du Conseil de l'UE se profile à l'horizon 2022, il est temps pour la France d'affirmer clairement que les engagements volontaires en matière de déforestation ne suffisent plus et qu'une réglementation est nécessaire au sein de l'UE et dans le reste du monde. La COP26 est l'événement international idéal pour faire avancer cette cause et garantir que de nouvelles initiatives de financement volontaires prometteuses n'occultent pas les actions concrètes et efficaces de lutte contre la destruction des forêts.

La lecture du nouveau rapport de Global Witness sera difficile pour le gouvernement français et pour BNP Paribas, « la banque d'un monde qui change », qui déclare être soucieuse de la question climatique, mais qui est accusée d'avoir injecté plus de 5 milliards d'euros dans certaines des premières entreprises responsables de la déforestation dans le monde. La méthodologie employée pour effectuer ces calculs est disponible dans la version intégrale du rapport.

BNP Paribas a continué de financer des entreprises agro-industrielles destructrices malgré les alertes reportées sur la déforestation

Agro-industriels associés à la déforestation qui ont reçu des investissements en (/20)19
Valeurs des contrats$5.71 milliard
Revenus estimés$37.3 million
Relation la plus lucrativeCargill

Les révélations de notre rapport mettant en lumière les liens entre BNP Paribas et la déforestation des forêts tropicales sont extrêmement préoccupantes.

La relation entre BNP Paribas et le géant des matières premières Cargill a été lucrative pour la banque, qui a octroyé à Cargill des facilités de crédit et des bons de souscription d'obligation d'une valeur de près de 3,5 milliards d'euros au cours des cinq dernières années. Cependant, au cours de cette période, des alertes flagrantes déjà existantes auraient dû placer Cargill dans la catégorie « inéligible au financement », si BNP Paribas avait pris au sérieux la prévention et la gestion des risques liés à la déforestation dans le cadre de ses activités.

Selon l'analyse des données de Global Witness, les secteurs les plus impliqués dans la déforestation au sein de l'empire commercial de Cargill (essentiellement le soja et l'huile de palme) auraient pu rapporter environ 14,1 millions d'euros à la banque depuis 2016.

Au Brésil, l'expansion de la production de soja aurait entraîné la destruction de 17 000 km2 de forêts et d'autres zones sauvages dans la région du Cerrado entre 2006 et 2017. Le Cerrado est l'une des régions du Brésil les plus menacées sur le plan écologique, abritant 5 % de la biodiversité mondiale, notamment des jaguars, des tatous géants et des tapirs. En tant que plus grand négociant de soja au Brésil, Cargill semble avoir joué un rôle dans cette dévastation écologique. En 2018, Cargill a été condamnée à une amende de près d'un million de dollars américains par l'agence environnementale brésilienne Ibama pour avoir fait l'acquisition de 600 tonnes de soja cultivé dans des zones du Cerrado déboisées illégalement. L'enquête d'Ibama a révélé que l'achat anticipé de céréales avait permis de financer le défrichement illégal. Cargill a assuré à Global Witness qu'elle avait refusé de payer ces amendes et qu'elle les contestait auprès d'Ibama, déclarant : « Cargill n'a pas acheté de soja issu de régions déboisées. »

Il a également été signalé que des fournisseurs de soja de Cargill ont été impliqués dans des actions visant à occuper et empêcher la démarcation de territoires revendiqués par le peuple autochtone Munduruku à Planalto Santareno.

Les éléments selon lesquels BNP Paribas aurait tiré profit de la destruction des forêts du monde ne s'arrêtent pas là. La banque entretient également une relation de longue date avec Wilmar. Selon un rapport de 2018, Wilmar s'approvisionnerait en huile de palme auprès de 18 entreprises différentes impliquées dans la déforestation. Entre 2016 et 2020, BNP Paribas a accordé près de 265 millions d'euros de crédit à l'ensemble de l'empire Wilmar. Si l'on se penche sur la part des activités de Wilmar liées à l'huile de palme ou à d'autres matières premières menaçant les forêts, on peut constater que ces opérations auraient pu rapporter 5,3 millions d'euros à BNP Paribas.

Contacté par Global Witness, le géant de l'agro-alimentaire a déclaré qu'il avait renforcé sa politique de « non-déforestation » depuis la publication des allégations de Greenpeace, et que les fournisseurs controversés signalés par Greenpeace avaient été sanctionnés par le biais du système de résolution des plaintes de la société.

Autre source de revenus de BNP Paribas, la relation qu'elle entretient avec la société Olam International, accusée d'avoir rasé 40 000 hectares de forêt tropicale au Gabon entre 2012 et 2017 afin de créer des plantations de caoutchouc et d'huile de palme. Olam a fermement indiqué n'être pas d'accord avec le fait que ses activités de déboisement étaient irresponsables ou violaient les règles du Forest Stewardship Council (FSC), et a affirmé que ses plantations avaient été établies sur des forêts dégradées ou « secondaires », ainsi que sur des prairies. La société a promis de cesser de déboiser la forêt gabonaise en 2017 et a déclaré avoir protégé de manière permanente plus de la moitié des terres protégées de grande valeur au sein de sa concession de palmiers à huile gabonaise.

En 2020, il a été révélé que les populations locales souffraient encore de la perte de leurs droits fonciers en raison des activités d'Olam. Olam a rejeté la validité de ces rapports, les considérant comme étant « inexacts et faux », et a déclaré s'être engagée à obtenir le consentement libre, informé et préalable des communautés en ce qui concerne les nouvelles activités agricoles. Elle a en outre annoncé qu'elle investissait dans des projets visant à améliorer l'éducation, les soins de santé et l'accès à l'eau au niveau local.

Selon notre analyse, les éléments présentant un risque de déforestation au niveau des activités d'Olam auraient pu dégager plus de 6,2 millions d'euros de revenus pour BNP Paribas depuis 2016, principalement en raison de l'octroi de facilités de crédit renouvelables. 

D'autres clients de BNP sont connus pour avoir joué un rôle dans la déforestation, tels que les géants brésiliens de la viande bovine Marfrig et Minerva, dont les activités liées à des produits présentant un risque pour les forêts ont généré, d’après l'analyse de Global Witness, des recettes estimées à plus de 882 000 €.

Contactée par Global Witness, BNP Paribas a affirmé : « Nous ne pouvons que regretter et réfuter l’hypothèse (...) selon laquelle BNP Paribas tirerait profit d’activités de financement qui détruisent les forêts tropicales de la planète. »

Et la banque de poursuivre : « BNP Paribas ne fournit désormais des produits ou services financiers qu’aux [entreprises agro-industrielles] qui ont une stratégie visant l’objectif zéro déforestation dans leurs chaînes de production et d’approvisionnement à l’horizon 2025 (…). BNP Paribas demeure la seule banque à s’être sérieusement penchée sur la question de la déforestation et de la traçabilité dans les chaînes d’approvisionnement des filières soja et bœuf en définissant des critères spécifiques et définis dans le temps. »

La France doit garantir que ses banques assument leurs responsabilités

Malgré les efforts consentis par BNP Paribas pour redorer son blason écologique, y compris en rejoignant la Net Zero Banking Alliance et en publiant des déclarations sur l'importance de la protection des écosystèmes, l’argent pèse plus lourd que les mots. Compte tenu des préoccupations soulignées dans notre rapport, reposant sur des accusations d'activités de déforestation rendues publiques, BNP Paribas n'aurait pas dû faire affaire avec ces sociétés. 

Les engagements volontaires ont été un échec. La seule solution crédible est une réglementation forte s'appliquant aux entreprises du secteur financier et les obligeant à rendre compte de leur impact sur la déforestation et les violations des droits humains qui en découlent.

La loi pionnière française sur le devoir de vigilance, adoptée en mars 2017, oblige les entreprises françaises d'une certaine taille à identifier, atténuer et prévenir les violations des droits humains et les dommages pour l'environnement. Les banques françaises font partie des sociétés concernées par cette loi. Un rapport de Global Witness datant de 2020 a émis des inquiétudes quant aux efforts de BNP Paribas pour se conformer à la loi française sur le devoir de vigilance. Ce rapport vient ajouter une nouvelle pression sur la société. La loi n'a à ce jour pas encore été appliquée dans un cas de réparation ou de compensation impliquant une banque, mais des affaires types devraient bientôt voir le jour. Grâce à cette loi, la France a désormais les moyens de s'imposer comme pionnière à l'échelle mondiale en matière de lutte contre les activités financières qui alimentent la déforestation.

Toutefois, il existe aussi des opportunités à l'échelle européenne ; et il est urgent de les saisir

BNP Paribas est l'une des nombreuses banques européennes qui financent et profitent de la destruction des forêts. Notre enquête a révélé que des institutions financières basées dans l'Union européenne ont empoché 401 millions d'euros de recettes provenant d'activités de déforestation, générées à partir de 30,6 milliards d'euros de transactions conclues avec les principaux déboiseurs entre 2016 et 2020.

L'UE élabore actuellement une nouvelle législation visant à obliger les entreprises à faire preuve de diligence raisonnée en ce qui concerne les risques de déforestation au niveau de leurs chaînes d'approvisionnement. Les parlementaires ont fait pression  pour que des exigences similaires soient imposées aux institutions financières. L'UE doit y être attentive et la France doit jouer un rôle décisif dans l'aboutissement de ces initiatives.

La France débutera sa présidence du Conseil de l'UE en janvier 2022. Pour faire face à la crise climatique, il est essentiel de s'attaquer à la complicité du secteur financier et de mettre un terme au financement par les banques de la déforestation et des violations des droits humains qui y sont associées. La France doit faire pression pour inclure la finance et les droits humains dans la législation de l'UE si le président Macron veut être crédible dans sa lutte contre la déforestation et le changement climatique. Pour reprendre les mots du président : « C’est une question de cohérence et de responsabilité ».


Exclusion de responsabilité : la version française est une traduction du document original en anglais. Cette traduction ne peut être utilisée qu’à titre de référence. En cas de divergence entre la version française et la version originale anglaise, la version anglaise fait foi.

Remarque sur la méthodologie : Les estimations des recettes tirées des transactions ont toutes été ajustées à la baisse pour tenir compte de la proportion de chaque entreprise agro-industrielle qui aurait été directement impliquée dans la création d'un produit présentant un risque pour les forêts. Il convient de noter que les banques et les gestionnaires d'actifs détiennent souvent des obligations et des actions pour le compte d'investisseurs tiers, ainsi qu'en leur nom propre. La banque ou le gestionnaire d'actifs tirent normalement profit de la transaction en cours, puisqu'ils perçoivent un pourcentage de la valeur investie ou une commission. Toutefois, la banque ne conserve pas la totalité des revenus. Pour obtenir plus d'informations sur la méthodologie, veuillez consulter le rapport dans sa version intégrale.

Toutes les banques et entreprises citées dans notre rapport ont eu l’opportunité de commenter. Veuillez trouver leurs éléments de réponse ici

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