Le gouvernement de la RDC a pris des engagements ambitieux afin de parvenir à une gouvernance forestière durable, mais le chemin pour y parvenir est entravé par la corruption, l’impunité, et des faiblesses en matière d’application des lois. 

Pour un pays qui se positionne sur la scène mondiale en tant que « pays de solutions » en matière de lutte contre le changement climatique, la gouvernance forestière constitue pour la République démocratique du Congo (RDC) un enjeu crucial, aussi bien pour le pays en lui-même que pour le climat à l’échelle mondiale.    

Le pays abrite environ 60 % de la forêt tropicale du bassin du Congo, soit la deuxième plus grande forêt tropicale au monde. Cette forêt tropicale absorbe environ 1,5 milliard de tonnes de CO2 chaque année et on estime qu’elle stocke la quantité impressionnante de 30 milliards de tonnes de carbone. Sa protection est donc essentielle pour lutter contre la crise climatique mondiale.  chaque année et on estime qu’elle stocke la quantité impressionnante de 30 milliards de tonnes de carbone. Sa protection est donc essentielle pour lutter contre la crise climatique mondiale.  

Mais la RDC est également connue pour avoir l’un des taux de déforestation les plus élevés au monde, et a perdu plus d’un million d’hectares de couvert végétal sur la seule année 2023. Ce problème s’avère plus que complexe à résoudre.  

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Aerial view of the Congo Basin, where a meandering river winds through tropical rainforest, DRC. guenterguni / Getty

Depuis plus de deux ans, Actions for the Promotion and Protection of Threatened Peoples and Species (APEM) et ses alliés issus de la société civile en RDC ont entrepris des efforts pour réformer le secteur de l’exploitation forestière, menés par la ministre d’État et ministre de l’Environnement et du Développement durable. 

Des promesses ont été faites et la RDC s’est engagée à rédiger une nouvelle politique et une nouvelle loi forestière. Parmi les éléments majeurs de ce processus, on peut citer l’élaboration participative et transparente d’une politique forestière, l’encouragement du développement d’une gestion forestière durable par les communautés et les autorités locales et la garantie d’une gestion appropriée des grandes concessions forestières dans le respect des lois forestières congolaises.  

Néanmoins, la RDC peine à traduire ses paroles en actions concrètes, et cela, depuis plusieurs dizaines d’années. La RDC peut-elle véritablement parvenir à une gouvernance forestière durable, et à quels défis doit-elle faire face?    

Un moratoire jamais appliqué 

Le bois est une ressource majeure pour la RDC. Par conséquent, tout effort visant à réformer la gouvernance forestière doit s’attaquer au problème de l’exploitation forestière industrielle.  

Depuis plus de 20 ans, un moratoire interdisant les nouvelles concessions d’exploitation forestière est en vigueur, dans l’objectif de réformer le secteur de l’exploitation forestière et de protéger les forêts en RDC. Cette mesure a été renforcée en 2005 par un décret du Président de la République et est encore en vigueur aujourd’hui. 

Cependant, la réalité sur le terrain est tout autre.  

L’exploitation forestière illégale prospère malgré cette prétendue interdiction, et les irrégularités courantes compromettent son application.   

Une commission nationale chargée d’évaluer les permis d’exploitation forestière a publié son dernier rapport en janvier 2024. Le rapport a porté sur 82 permis de concession forestière, ce qui a donné lieu à 23 résiliations et 6 recommandations de mise en demeure de permis. 53 permis uniquement ont reçu une approbation conditionnelle. 

Le manque de surveillance appliqué au secteur du bois reste une menace, malgré le moratoire instauré il y a plus de 20 ans. 

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Unidentified men measure trees destined for export in the harbour in Kinshasa, Congo, DRC. Per-Anders Pettersson / Getty Images

Qui paie le prix de cette impunité ?  

L’exploitation forestière industrielle en RDC contribue très peu à l’économie nationale, mais impose un lourd tribut aux forêts et communautés du pays. Les principaux bénéficiaires de ce secteur se trouvent d’ailleurs généralement à l’étranger.  

Certaines des plus grandes opérations d’exploitation forestière en cours en RDC, dirigées par les sociétés chinoises Booming Green et Wan Peng, apparemment sous leur filiale Congo King Baisheng Forestry Development, sont actuellement gangrenées par des illégalités systématiques, selon une enquête secrète publiée par l’Environmental Investigation Agency US en octobre de cette année.  

Malgré leur signalement par le gouvernement congolais pour l’obtention de concessions grâce au trafic d’influence et la violation des lois nationales, ces entreprises continuent d’exporter du bois vers la Chine, ignorant ostensiblement les quotas fixés par le Code forestier.

En accord avec d’autres pays disposant de vastes étendues forestières dans cette sous-région, la RDC insiste sur cette disposition du Code forestier de 2002 pour promouvoir la transformation du bois en RDC et créer de la valeur sur le sol congolais.   

Il apparait pourtant qu’il existe un décalage flagrant entre promesses et réalité : ces entreprises semblent enfreindre ouvertement le Code forestier, et les autorités congolaises ferment les yeux, autorisant des cargaisons de bois entières à quitter le pays en direction la Chine.

Comment des entreprises au palmarès aussi fâcheux et ayant déjà été signalées par le gouvernement peuvent-elles toujours être autorisées à opérer ? 

Réformes au point mort et des promesses vaines 

Même si des lois fortes sont essentielles, les lacunes en matière d’application constituent un autre obstacle au progrès. Le ministère de l’Environnement et Développement durable (MEDD) a prononcé un décret1 en date du 5 avril 2022 suspendant provisoirement 12 concessions illégalement accordées couvrant une superficie de plus de 1 966 630 hectares de terres.  

Cette décision, prise il y a plus de deux ans, n’est toujours pas appliquée. 

De fait, il y a quelques mois à peine, un examen des données satellite a clairement mis en évidence la présence de pistes de débardage au plus profond de la forêt et dans des concessions censées être suspendues.  

Ces pratiques sont non seulement illégales, mais elles ont également été signalées comme l’une des plus nuisibles pour les forêts à long terme. En effet, elles entraînent des « effets de déforestation en cascade » qui peuvent se produire jusqu’à 10 à 15 ans après l’ouverture des routes.  

Si elles ne sont pas appliquées de manière appropriée, les lois même les plus solides sont comme l’encre sur le papier : visibles mais vaines. Il en va de même pour les engagements à l’échelle mondiale visant à protéger le bassin du Congo, un des éléments clés de la déclaration des dirigeants de Glasgow sur les forêts et l’utilisation des terres, signée en 2021 par les grands dirigeants et promettant d’arrêter et d’inverser la déforestation d'ici à 2030. 

Pourquoi les promesses de changements échouent-elles ? 

L’application sélective et incohérente des lois, condamnée par de nombreux acteurs, dont l’APEM, est malheureusement en cause.  

Des engagements ont été pris en grande pompe, des séances et des conférences ont été organisées et des mesures ont été rédigées, mais aucune n’a été respectée par les opérateurs ni appliquée par les autorités congolaises.  

Les contrôles sont sélectifs, irréguliers et incohérents pour certaines entreprises visiblement « privilégiées », et les sanctions sont généralement inexistantes.  

Sur le terrain, notre expérience montre que l’impunité règne, que les forêts ont été détruites, que les communautés sont ignorées et que les autorités locales sont impuissantes, quand elles ne sont pas tout simplement complices.  

 Il en résulte un système au sein duquel les promesses ne sont pas tenues et l’impunité se poursuit, dans un cycle sans fin.  

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Rare wildlife shot of African forest elephants in Lango Bai in the rainforest of the Congo Basin. The species has been listed as critically endangered on the IUCN Red List. guenterguni / Getty

Renforcer sa crédibilité ; les mesures qui doivent être prises par le gouvernement de la RDC 

Alors, comment donner de la crédibilité à ce processus et comment juger de la véritable volonté  

politique du gouvernement de la RDC de développer une « nouvelle » politique ? Existe-t-il un espoir pour avoir une conversation honnête et voir une réelle volonté révolutionnaire et avant-gardiste de protéger les forêts de la RDC ? 

Pour que les réformes de gestion forestière de la RDC gagnent en crédibilité, le gouvernement doit réduire l’écart entre les paroles et les actes. 

La transparence est indispensable dans ce processus, et doit commencer par une évaluation appropriée, qui soit réalisée sans complaisance, sans conflits d’intérêts et en toute honnêteté. Les mécanismes d’application doivent être renforcés et des mesures doivent être imposées pour responsabiliser les contrevenants, notamment la Chine et ses entreprises qui adoptent un comportement répréhensible.  

C’est la condition sine qua non pour pouvoir par la suite se concentrer sur les solutions, les autres voies et l’innovation. La perspective et le courage politique sont nécessaires pour mettre fin à des modèles de gestion qui se sont avérés nuisibles pour nos forêts, et pour combattre les réseaux qui en profitent.  

Sans cela, ce processus de réforme ne constituera qu’une vaine promesse supplémentaire de construire un Congo meilleur. 

L’exploitation forestière communautaire, la voie à suivre pour un avenir meilleur ? 

Dans le sillage des négociations mondiales sur la biodiversité et le climat, nous appelons le gouvernement congolais à développer une vision innovante pour les forêts du futur.  

La RDC dispose d’une occasion unique de se positionner en tant que leader en faveur d’une gouvernance forestière durable. Le pays a démontré qu’il était capable d’expérimenter et d’explorer des pratiques de gestion des ressources durables et innovantes à l’initiative directe des communautés forestières.  

Dans les zones gérées par ces communautés, le taux de déforestation était 23 % inférieur à la moyenne nationale et 46 % inférieur au taux de déforestation des concessions d’exploitation forestière, ce qui représente une véritable alternative aux pratiques destructrices actuelles. Cette pratique devrait être au cœur de la nouvelle politique : prendre le parti d’une gestion forestière communautaire généralisée positive pour le climat et les écosystèmes, et qui contribue à réduire la pauvreté.  

Face au déclin croissant de la biodiversité à l’échelle mondiale et, avec la COP30 qui se profile à l’horizon, les enjeux liés aux forêts de la RDC sont élevés.

La voie à suivre exige non seulement de l’ambition, mais aussi la détermination de changer les promesses de mettre fin à la déforestation en actes concrets et profonds. 

Auteur

  • Blaise Mudodosi

    APEM National Coordinator