Le mois dernier, lors de la conférence mondiale de l’ITIE, je me suis jointe à un panel d’experts avec l’ancien Ministre des Finances du Nigeria et des représentants du Département d'État américain, du FMI, du Club de Paris et de la société civile de la République du Congo pour discuter de la façon dont la transparence peut assister à garantir une dette juste et soutenable.
Tous les panélistes se sont dits préoccupés par les dettes « cachées » des États, et il y avait un large consensus sur le fait que le marché des prêts se complexifie, en raison notamment du rôle joué par les négociants en matières premières.
J'ai concentré mon intervention sur les prêts octroyés par ces sociétés de négoce, qui ont rejoint les créanciers traditionnels tels que le FMI, les États et les banques. Elles prêtent pour s’assurer un accès au pétrole et elles empochent de jolis profits au passage. Les contrats qu'elles concluent sont structurés comme des prêts, mais il s’agit principalement de mécanismes de vente et d’achat de pétrole.
J'ai mis l’accent sur deux points essentiels :
- Ces contrats de prêts adossés au pétrole sont à haut risque – du point de vue financier, de la souveraineté et de la corruption
- La transparence peut contribuer à atténuer ces risques, et elle est cruciale pour la gestion responsable des ressources naturelles par les gouvernements chargés de cette mission par leurs concitoyens.
Les prêts adossés au pétrole et le surendettement
Sur les quatre producteurs de pétrole africains en état de surendettement en 2018, trois au moins ont été confrontés à ce type de contrats avec des négociants en matières premières : le Tchad, la République du Congo et le Soudan du Sud.
Mais souvent, nous ne prenons connaissance de ces contrats que lorsque la crise éclate, c’est-à-dire trop tard.
Il y a un débat plus large remettant en question l’existence même des prêts adossés au pétrole. En fait, mettre fin à ces contrats a souvent été une condition posée par le FMI pour accorder son soutien financier. Depuis le moment de mon intervention, ces prêts ont été suspendus au Soudan du Sud.
Et pour cause :
- Ils mettent en péril la concurrence au niveau des ventes de pétrole, car les négociants bénéficient d'un rabais en échange d'un paiement anticipé.
- Ils sont un pari sur le futur prix du pétrole car en définitive, il est impossible de savoir combien de barils de pétrole seront nécessaires pour rembourser le prêt, ce qui signifie qu'ils peuvent se transformer en passif financier à durée indéterminée pour les futurs gouvernements et générations.
- Ils se révèlent onéreux. En 2017, d’après le Ministère tchadien des Finances, les remboursements du prêt accordé au Tchad par Glencore ont presque doublé en raison des frais et intérêts.
- Ils sont accompagnés de conditions. Par exemple, le droit de Glencore de vendre la totalité du pétrole de la société pétrolière nationale tchadienne en vertu d’un contrat de commercialisation séparé faisait partie intégrante de son accord de préfinancement dans ce pays. Le pétrole et l’argent seront probablement aussi acheminés à l’étranger, en dehors de la juridiction du pays emprunteur. Au Tchad, Glencore vend d’abord le pétrole, elle déduit les frais et le service de la dette, et alors seulement elle transfère ce qui reste sur le compte offshore du gouvernement à Londres. Il se peut que le pays soit également tenu de s’engager à ne pas contracter d’autre dette garantie par le pétrole, si le contrat inclut une ‘clause de sûreté négative’. En fin de compte, ces contrats peuvent mettre en péril la souveraineté d’un pays sur ses biens publics.
- Enfin, en cas de crise, l’existence de prêts adossés au pétrole complique la restructuration de la dette. Ces prêts garantis sont traités comme étant ‘prioritaires’ par rapport à d’autres créances non garanties, rendant difficile la coordination des créanciers. Il n’existe aucun forum comme le Club de Paris pour coordonner les négociants créanciers.
Comme nous l’avons constaté lors de discussions avec le FMI au Congo et au Soudan du Sud, ces gouvernements, le FMI et, dans le cas du Congo, même ses conseillers financiers ont des difficultés à se faire une idée précise de ce qui est dû, à qui et selon quelles modalités.
Le ratio de la dette publique du Congo par rapport au PIB a bondi de plus de 50 pour cent du jour au lendemain en 2017 lorsque le FMI a pris connaissance d’une dette supplémentaire envers Glencore et Trafigura. Cela a contribué à faire chuter la cote de solvabilité du pays et interrompu son accès aux fonds des institutions et marchés financiers internationaux.
Et il ne s’agit ici que des risques sur le plan financier et de la souveraineté.
Un risque élevé de corruption
Les prêts adossés au pétrole sont difficiles à contrôler et à suivre car les flux financiers sont indépendants de la production et des remboursements en nature, et sont dès lors imprévisibles. Ils sont par ailleurs normalement hors budget – même s’ils relèvent au final de la responsabilité de l’État si une crise éclate. Tout ceci aggrave le risque de malversations ou de détournements de ces fonds.
Les prêts adossés au pétrole présentent effectivement un sérieux risque de corruption, comme le démontrent depuis deux décennies nos rapports et ceux d’autres organisations.
Au début des années 2000, la société pétrolière publique française Elf Aquitaine y a eu recours au Congo pour enrichir ses « fonds secrets » et assurer aux dirigeants en place une source de revenus considérable et opaque.
Peu après, nous avons révélé comment ces prêts avaient servi à éviter les réclamations des créanciers du Congo et comme mécanisme de corruption.
Plus récemment, l’ONG suisse Public Eye a rapporté que les contrats de préfinancement faisaient partie intégrante d’une affaire prétendument corrompue du négociant suisse Gunvor, également au Congo.
Et un récent rapport de l’ONU sur le Soudan du Sud a décrit comment une autre société de négoce suisse, Trafigura, aurait fait affaire avec un intermédiaire peu recommandable dans le cadre de ses accords de préfinancement dans ce pays.
Le rôle de la transparence
En conclusion, ces contrats sont à haut risque du point de vue financier, de la souveraineté et de la corruption. La transparence ne peut prévenir ces risques, mais elle peut dissuader les comportements et prises de décision irresponsables, et elle peut contribuer à faire rendre des comptes lorsque ce problème survient, ainsi qu’à instaurer des conditions de concurrence équitables.
* Le panel s’inscrivait dans le cadre de la Conférence mondiale 2019 de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives qui s’est tenue à Paris et était co-organisée avec le gouvernement américain. Pour d’informations, voir paris2019.eiti.org.
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C’est article est une traduction de la version originale en anglais. En cas de divergence entre les deux, la version anglaise fait foi.