Alors que les réserves pétrolières faciles à exploiter s’amenuisent considérablement dans les régions traditionnellement productrices de pétrole, un nombre croissant d’entreprises se montrent disposées à pénétrer dans des zones inexplorées et reculées. Par conséquent, lorsque le gouvernement de la République démocratique du Congo a déclaré que certaines parties de son Parc national des Virunga avaient été divisées en blocs pétroliers, la réaction des sociétés pétrolières internationales ne s’est pas fait attendre.
Deux entreprises européennes – Total, la grande firme française, ainsi que Soco International, cotée à la bourse de Londres – ont obtenu des permis d’exploration pétrolière dans des blocs qui recouvrent une partie des Virunga. Ce qui a rapidement soulevé l’indignation internationale.
La raison de ce tollé général est que le parc des Virunga est le plus ancien parc national d’Afrique qui présente aussi la plus grande biodiversité. Il comprend des savanes, des forêts tropicales, des volcans éteints et en activité et la plupart d’un des grands lacs d’Afrique. Il abrite par ailleurs environ 220 gorilles de montagne dont l’espèce est en voie de disparition – soit un quart de leur population mondiale restante. Toute cette richesse est reconnue, le parc des Virunga étant classé au Patrimoine mondial de l’UNESCO, jouissant du même niveau de protection que le Parc national de Yellowstone ou que la Grande barrière de corail. L’UNESCO affirme que les activités pétrolières dans le parc sont incompatibles avec le statut de Patrimoine mondial.
En juin 2013, Total a réagi aux appels en faveur de la protection des Virunga en promettant de s’abstenir de toute activité pétrolière au sein des frontières actuelles du parc. Soco n’a rien promis de tel.
En juin 2014, suite à une médiation menée sous l’égide de l’OCDE, Soco a publié un communiqué conjoint avec une organisation de défense de l’environnement, le Fonds Mondial pour la Nature (WWF), dans lequel la compagnie a promis de mettre un terme à ses opérations dans le parc des Virunga une fois que ses tests sismiques seraient clôturés. En dépit de cette annonce, accueillie par le WWF et d’autres comme une victoire pour le parc, les termes employés laissent à Soco une marge de manœuvre pour relancer ses opérations pétrolières dans l’éventualité où « l’UNESCO et le gouvernement de la RDC conviennent que ces activités ne sont pas incompatibles avec son statut de Patrimoine mondial ». Global Witness a déclaré à l’époque que ce communiqué avait « l’air d’une ruse. »
Le documentaire ‘Virunga’, nommé aux BAFTA et aux Oscars, a contribué à exposer au grand jour les pratiques douteuses de Soco, de ses sous-traitants et de ses représentants dans le cadre de leurs opérations dans le parc. Global Witness a utilisé des séquences de ‘Virunga’, des séquences inédites fournies par les réalisateurs, ainsi que les résultats de ses propres recherches, pour publier une liste d’accusations accablantes à l’encontre de la firme dans son rapport ‘Drillers in the Mist’.
Le rapport de Global Witness révèle que Soco et ses sous-traitants ont opéré des versements illicites, semblent avoir payé des rebelles armés et tiré parti de la peur et de la violence dans l’est du Congo tandis qu’ils demandaient l’accès au parc des Virunga pour se livrer à l’exploration pétrolière.
Des séquences de ‘Virunga’ filmées en caméra cachée, ainsi que des témoignages recueillis par Global Witness et d’autres organisations, dont des ONG congolaises et Human Rights Watch, montrent que les alliés de Soco au sein de l’armée congolaise et des autorités chargées des parcs ont offert des pots-de-vin et ont été impliqués dans des actes d’intimidation visant des militants adversaires de l’exploration pétrolière. Il existe également des preuves démontrant que Soco a payé un parlementaire local, qui à l’époque était ministre du gouvernement, pour faire campagne en son nom. Ce parlementaire a même aidé à arranger des paiements à des associations locales pour organiser une manifestation en faveur de l’exploration pétrolière dans le parc.
Lors d’une visite à Londres en décembre 2014, un militant congolais adversaire de l’exploration pétrolière a déclaré aux parlementaires britanniques que « le spectre de la mort plane chaque jour ». En avril 2014, le directeur du parc des Virunga a été blessé par balles par des hommes armés non identifiés après avoir déposé un dossier sur les activités de Soco auprès du procureur de la République dans la capitale provinciale, alors que parallèlement, des défenseurs de l’environnement recevaient des menaces de mort anonymes par SMS et par téléphone.
Soco a nié toute implication dans ces actes effroyables et a déclaré qu’elle « n’approuve aucun acte de corruption et aucune activité illégale, n’y prend pas part et ne les tolère pas ».
Des représentants de Soco ont été filmés par les réalisateurs avec une caméra cachée alors qu’ils parlaient avec dédain du parc et du besoin de protéger les gorilles, un agent de sécurité s’exclamant, « Qu’est-ce qu’on en a à foutre d’un putain de singe ! » Les mêmes représentants laissent également entendre que des sous-traitants de Soco pourraient avoir versé de l’argent à des groupes rebelles armés dans le parc des Virunga pour avoir accès à la zone.
Depuis que ces preuves ont été révélées, certains actionnaires de Soco ont exprimé leur inquiétude quant au comportement de la société, de ses sous-traitants et de ses représentants au parc des Virunga. En février 2015, l’Église d’Angleterre, qui détient une participation de 3 millions de livres sterling dans Soco, a publié une déclaration ferme appelant à une enquête indépendante sur les opérations de Soco dans le parc des Virunga. Elle a également réclamé que la firme s’engage à mettre définitivement fin à ses opérations dans le parc des Virunga, à l’intérieur des frontières existantes du parc.
Les recherches réalisées par Global Witness sur les précédentes opérations pétrolières de Soco en Afrique centrale sont tout aussi alarmantes. En 2005, Soco a été impliquée dans une polémique dans le pays voisin de la République démocratique du Congo, le Congo-Brazzaville, lorsqu’elle détenait une participation majoritaire dans un bloc pétrolier off-shore. Une autre société privée s’est vu attribuer une participation de 10% dans le bloc, mais un tribunal britannique a établi que ladite firme appartenait à un conseiller présidentiel qui était aussi directeur de la compagnie pétrolière nationale et, par voie de conséquence, en charge de la procédure d’appel d’offres pour le bloc pétrolier.
Une autre société off-shore, la Quantic Ltd enregistrée aux Îles Vierges britanniques, a reçu une participation de 15% dans l’opération de Soco au Congo et perçoit des honoraires de consultation de 50 000$ par mois, apparemment en contrepartie pour l’assistance fournie par Quantic pour obtenir les droits pétroliers. Les rapports annuels de Soco ont révélé que l’un des propriétaires est Rui de Sousa : le président de Soco. La nature de l’assistance fournie par Quantic n’est pas claire, pas plus que l’identité des autres propriétaires de Quantic, ce qui constitue un sérieux signal d’alerte quant au risque de de corruption.
Étant donné le passé de Soco au Congo-Brazzaville et l’attitude éhontée affichée par ses représentants sur le terrain dans le film ‘Virunga’, Global Witness appelle la firme à ouvrir une enquête complète et indépendante sur ses activités dans le parc des Virunga. Soco devrait suivre l’exemple de Total et promettre de ne jamais travailler à l’intérieur du parc, de respecter les frontières actuelles du parc et de ne pas vendre ses droits pétroliers à une autre entreprise.
Global Witness appelle également les autorités compétentes au Royaume-Uni et aux États-Unis à ouvrir des enquêtes sur les accusations de pots-de-vin et d’actes d’intimidation, afin de déterminer si la compagnie a agi dans l’illégalité.
Exclusion de responsabilité : la version française est une traduction du document original en anglais. Cette traduction ne peut être utilisée qu’à titre de référence. En cas de divergence entre la version française et la version originale anglaise, la version anglaise fait foi. Global Witness décline toute responsabilité en cas de dommage ou préjudice causé par des erreurs, des imprécisions ou des incompréhensions de traduction.