Une entreprise minière opérant dans l’est de la République démocratique du Congo cède un tiers de sa production aurifère au fils d’un officier supérieur de l’armée, révèle aujourd’hui Global Witness. Le dossier a été soumis à un tribunal local, qui ne semble avoir rien fait pour empêcher cet arrangement, et ce, alors que le droit congolais interdit aux officiers de l’armée de s’impliquer directement dans le secteur minier.
Le général de brigade Étienne Mbunsu Bindu semble s’être servi de son fils comme mandataire (2) pour contourner la loi qui interdit aux militaires de s’impliquer dans le secteur minier et obtenir une partie de la production d’or, d’une valeur qui pourrait atteindre des dizaines de milliers de dollars par an. Le tribunal n’est pas intervenu pour empêcher cette démarche. Entre-temps, 77 % des Congolais vivent avec moins de $1,90 par jour.
Cette affaire survient alors que le Code minier congolais s’apprête à être révisé et risque d’être privé de sa disposition cruciale pour empêcher les conflits d’intérêt. Elle fait aussi suite à des allégations de l’ONU selon lesquelles le général major Gabriel Amisi Kumba, l’une des personnalités les plus puissantes du pays, visé par des sanctions de l’Union européenne et des États-Unis, profite du secteur aurifère dans l’est du Congo.
« Ces révélations apparaissent dans le contexte d’un phénomène plus large qui voit des officiers supérieurs de l’armée congolaise abuser de leur position pour s’enrichir, et d’un climat d’impunité généralisé qui leur permet de ne pas être inquiétés », a commentée Natasha White, chargée de campagne à Global Witness. « Dans cette affaire, le tribunal semble permettre au général de brigade de se servir de son fils comme mandataire pour contourner la loi congolaise qui interdit aux militaires de bénéficier financièrement de l’activité minière. La disposition relative aux conflits d’intérêt contenue dans le Code minier doit être maintenue, renforcée et pleinement mise en application pour empêcher que ce genre d’abus ne se produise à l’avenir. »
Des documents consultés par Global Witness montrent qu’un différend vieux de cinq ans entre l’entreprise minière GEMINACO et le fils du général de brigade Bindu, Ada Shebindu, a été résolu suite à la signature d’un « acte de compromis ». Cet acte stipule que les Bindu renonceront à porter plainte contre la GEMINACO à condition que celle-ci cède près de la moitié de sa production d’or – 30 % à Ada Shebindu et 10 % aux chefs coutumiers.
Le différend est survenu après un accord conclu en février 2012 qui aurait prévu qu’Ada Shebindu accepte de céder sa « laverie » à la mine d’Omate à Walikale, au Nord Kivu, à la GEMINACO en échange de 15 % de la production aurifère. En janvier 2017, Ada Shebindu – représenté par son père – a poursuivi la GEMINACO devant les tribunaux en faisant valoir que celle-ci n’avait pas tenu ses engagements au titre de cet accord.
Le général de brigade Bindu est depuis longtemps impliqué dans le secteur minier à Walikale, et ses intérêts dans le site d’Omate remontent au moins à 2010, année où il a conclu avec le général major Amisi un accord similaire avec la GEMINACO.
Le général de brigade Bindu n’a pas donné suite aux demandes de commentaires que Global Witness lui a adressées. Un actionnaire de la GEMINACO a confirmé l’existence de cet accord de partage de l’or, mais un second actionnaire basé à Kinshasa a fait valoir que cet accord était nul et non avenu, indiquant qu’il n’avait jamais vu cet « acte de compromis ».
La démarche de Bindu et d’Amisi s’inscrit dans une tendance plus généralisée : l’implication illégale d’officiers de l’armée de tous rangs dans le secteur minier congolais est bien documentée depuis des décennies. D’une manière plus générale, des hauts fonctionnaires congolais de tous bords sont accusés d’avoir abusé de leurs fonctions à des fins d’enrichissement personnel – souvent en coopération avec ou avec le soutien d’entreprises et de juridictions étrangères. Des rapports publiés par le Groupe d’Etude sur le Congo et Bloomberg montrent que le Président Kabila et sa famille détiennent des parts dans plus de 80 entreprises d’une valeur représentant plusieurs dizaines de millions de dollars. Global Witness a récemment révélé que $750 millions versés par des entreprises minières à des organes étatiques congolais ces quelques dernières années avaient « disparu », n’ayant jamais atterri dans les caisses du Trésor national.
La disposition du Code minier relative aux conflits d’intérêt doit être maintenue, pleinement mise en application et, d’après Global Witness, renforcée. L’implication et les intérêts du général de brigade Bindu dans le secteur minier du Nord Kivu, et les opérations de la GEMINACO à Omate, devraient faire l’objet d’enquêtes plus poussées et, si des irrégularités sont identifiées, ils devraient être tenus de rendre compte de leurs actes conformément au droit congolais.
Alors que le Congo est en proie à une crise, et que les élites politiques sont largement accusées d’abuser de leurs pouvoirs à des fins d’enrichissement personnel, ces mesures sont plus importantes que jamais pour s’assurer que la population perçoive les bénéfices de la grande richesse minière de son pays.
/ Fin
Contacts
Infos pour les journalistes:
- L’article
27 de la loi N° 007/2002 du 11 juillet 2002 portant Code minier de la
République démocratique du Congo interdit aux membres des forces armées de « détenir un intérêt direct ou indirect dans
des entreprises minières et leurs sous-traitants, ou solliciter et obtenir les
droits miniers et/ou de carrières, les cartes d’exploitant artisanal, de
négociants ainsi que l’agrément au titre de comptoir d’achat et de vente des
substances minérales d’exploitation artisanale ». L’article 20
de la loi n° 13/005 du 15 janvier 2003 portant statut du militaire des
Forces armées de la République démocratique du Congo interdit également aux
officiers de l’armée de faire des affaires, que ce soit de manière directe ou
indirecte.
- Par
l’intermédiaire de son fils, le général de brigade Bindu est capable de
maintenir un certain contrôle sur des intérêts se rapportant au secteur aurifère
congolais. Cette démarche serait techniquement légale si son fils n’avait pas
atteint sa majorité, mais Global Witness a appris par deux sources que cela
n’est pas le cas. Le tribunal aurait dû enquêter sur le bien-fondé de l’accord
et, si nécessaire, rejeter le dossier, mais il semble avoir fait abstraction de
ce point crucial.
- Pour de plus amples renseignements sur les recommandations de Global
Witness concernant les propositions de révisions du Code minier congolais,
veuillez consulter : https://www.globalwitness.org/en/press-releases/la-republique-democratique-du-congo-envisage-daffaiblir-les-reglementations-destinees-eliminer-la-corruption-miniere/
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