Global Witness expose aujourd’hui des preuves solides de corruption à haut-niveau en rapport avec quatre permis pétroliers du géant italien Eni en République du Congo. Ces informations tombent alors qu’Eni fait l’objet d’une enquête officielle pour corruption sur ses activités dans plusieurs pays, et quelques semaines après les révélations que le PDG d’Eni et sa femme font l’objet des enquêtes liées aux activités de l’entreprise au Congo.
Dans un conflit d’intérêt criant, un représentant du président congolais Denis Sassou Nguesso a dirigé un comité ayant attribué des parts importantes dans quatre permis pétroliers d’Eni à une entreprise qu’il a fondé et qu’il dirigerait lui-même – selon le Journal Officiel congolais et les derniers rapports aux actionnaires d’Eni. Cette entreprise, Africa Oil and Gas Corporation (AOGC) présente des antécédents publics de fraudes, de versements à des entreprises détenues par le fils du président et des relations avec au moins trois personnes politiquement exposées. Cet arrangement a suscité une grave controverse interne chez Eni, qui a contribué à la démission d’un des membres du conseil d’administration de l’entreprise.
Ces révélations font surface quelques mois à peine après que le président Sassou Nguesso a décerné l’Ordre du Mérite à trois hauts dirigeants d’Eni, dont son PDG Claudio Descalzi, Global Witness expose également.
Notre enquête présente les faits les plus détaillés à ce jour sur les accords au cœur d’une enquête pour corruption menée par le parquet de Milan sur les affaires d’Eni et le choix de ses partenaires locaux au Congo. Les principaux protagonistes de ces affaires sont tous sous le coup de l’enquête.
En septembre 2019, Eni a annoncé que son PDG était également sous le coup d’une enquête pour un conflit d’intérêts lié aux activités de l’entreprise au Congo. Sa femme a également été citée comme dernière cible de l’enquête pour corruption au Congo, selon les médias. Ces deux enquêtes sont distinctes mais néanmoins liées, une personne proche des enquêtes nous a confirmé.
La République du Congo est le troisième plus gros État producteur de pétrole en Afrique subsaharienne, mais aussi une des sociétés les plus inégales du monde, selon le Fonds monétaire international. Le pays a souffert de corruption endémique et d’une mauvaise gestion de ses recettes pétrolières. La famille présidentielle a été au cœur de plusieurs scandales et d’enquêtes officielles de corruption. Cette année, nous avons révélé comment le fils et la fille du Président Sassou Nguesso auraient détourné près de $70 millions de fonds publics.
« Cette affaire expose un conflit d’intérêt criant aux plus hauts échelons du pouvoir congolais et soulève de sérieuses questions sur le rôle d’Eni dans ces accords douteux, » commente Natasha White de Global Witness. « Cela jette de sérieux doutes sur les systèmes de devoir de diligence d’Eni qui semblent être ignorés, ou tout simplement inadaptés. Les accords que nous relatons méritent de faire l’objet d’une enquête complète et méticuleuse par les autorités en Italie, au Congo et dans toutes les autres juridictions compétentes. »
Eni s’est associée à AOGC dans le cadre du renouvellement de ses permis pétroliers Djambala, Foukanda, Kitina et Mwafi qui arrivaient à échéance. Le fondateur et contrôleur présumé d’AOGC Denis Gokana était conseiller du président sur les questions pétrolières et directeur de la compagnie nationale pétrolière à l’époque. Il présidait le comité responsable de l’attribution des parts dans les permis d’Eni à AOGC – et à AOGC uniquement.
Nous révélons qu’Eni a signé des accords avec AOGC en 2013, soit jusqu’à un an plus tôt que déjà rapporté, et à peine quelques mois après qu’AOGC a négocié un accord dans un autre bloc pétrolier pour World Natural Resources (WNR) – une société écran inconnue, dont les trois représentants de l’époque entretiennent des relations étroites avec Eni ou ses hauts dirigeants.
La curieuse corrélation du calendrier et des parties prenantes de ces accords pourrait être une coïncidence, mais cela semble improbable. Cette situation présente davantage les signes d’un quid pro quo : Eni ou ses hauts dirigeants auraient-t-ils approuvé la participation d’AOGC dans ces quatre permis pétroliers – malgré la dilution des parts d’Eni et le risque de corruption majeur associé avec AOGC – en échange de l’accord que l’AOGC avait négocié pour WNR, société écran possible pour des hauts dirigeants d’Eni ou des membres de leur famille ?
« Les faits évoqués mettent la lumière sur les pratiques des Supermajors et montrent jusqu’où elles sont capables d’aller pour sécuriser leur accès à des ressources étrangères », dit White. « Ce récit dresse un portrait cinglant de l’ingérence dans la gestion des ressources pétrolières congolaises, qui, en cinquante ans, n’ont pas contribué à la prospérité de la population ».
« Ces problèmes sont répandus et persistants au Congo. Rien que cette année, nous avons exposé de la corruption dans le secteur pétrolier, des dettes cachées et du blanchiment d’argent présumé de la part des membres de la famille présidentielle », ajoute White. « Nos exposés ont contribué à un ensemble de preuves grandissant qui montre comment les hauts fonctionnaires congolais acquièrent, blanchissent et dépensent de l’argent public, et ont mis en évidence le rôle central d’entreprises et d’hommes d’affaires internationaux à cet égard. »
Eni affirme qu’elle a agi de façon « correcte » et « réaffirme fermement » la solidité de ses systèmes de gouvernance. AOGC déclare que ces accords ont été mené en toute transparence, conformément à la loi, et que toute allégation de corruption serait « totalement infondée ». WNR et Gokana n’ont pas fourni de commentaires à Global Witness.
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