Briefing | 1 Février 2019

Nul et non avenu ? Les aspirations pétrolières de la CoMiCo en RDC

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Le parc national de la Salonga en République démocratique du Congo risque de faire l’objet d’une exploration pétrolière, due à un contrat douteux, qui pourrait être nul et non avenu selon le droit congolais

Un contrat pétrolier opaque qui menace le parc national de la Salonga en République démocratique du Congo (RDC), obtenu par une société détenue à Guernesey, serait nul et non avenu au regard de la législation pétrolière congolaise, déclare Global Witness suivant son analyse juridique.

En 2007, la Compagnie Minière Congolaise (CoMiCo), détenue à Guernesey, a signé un contrat pour trois blocs pétroliers en RDC, à une époque antérieure à 2015, date de la nouvelle loi portant régime général des hydrocarbures, actuellement en vigueur. L'un des blocs empiète sur le parc national de la Salonga, la plus grande forêt tropicale humide protégée d'Afrique, également classée patrimoine mondial de l'UNESCO.

En février 2018, le contrat de CoMiCo fut approuvé par ordonnance présidentielle, semblant donner à l’entreprise le feu vert tant attendu pour entamer la prospection pétrolière – ce qui pourrait potentiellement engendrer d’énormes risques pour l'écosystème fragile de la Salonga et les espèces menacées qu'elle abrite, telles que les bonobos.

Cependant, notre analyse du contrat au regard du droit congolais montre qu'au lieu de donner le feu vert à la CoMiCo, l'ordonnance présidentielle aurait rendu le contrat nul et non avenu.

En janvier, Felix Tshisekedi a été déclaré vainqueur d'une élection présidentielle contestée en RDC. Tshisekedi succédera au président sortant Joseph Kabila, qui était au pouvoir depuis janvier 2001. Il est important que le Président Tshisekedi et son administration s'efforcent d'améliorer le bilan du gouvernement Kabila en faisant respecter strictement la loi congolaise en matière d'exploitation des ressources naturelles, en particulier concernant la transparence des contrats et des bénéficiaires réels des sociétés de ressources naturelles.

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Le contrat de la CoMiCo a été publié sur le site internet de l'Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives. Cependant, à la date de publication, le contrat de la CoMiCo ne figurait toujours pas sur le site internet du ministère des Hydrocarbures, contrairement à ce qu'exige la loi.

Un contrat douteux

Tant en droit congolais que suivant les stipulations du contrat lui-même, celui-ci serait entré officiellement en vigueur au moment de son approbation par le président en février 2018. Cependant, le contrat contient des clauses non conformes avec le code pétrolier de 2015, or la loi précise que tout contrat « régulièrement acquis » après cette date ne peut contrevenir au code de 2015 « sous peine de nullité ».

Selon notre analyse, l'approbation de 2018 aurait entériné des clauses du contrat incompatibles avec le code pétrolier actuel et, ce faisant, l'aurait rendu invalide.

Plus précisément, le contrat de la CoMiCo n'est pas conforme aux dispositions de la loi 2015 pour ce qui concerne les taxes superficiaires, les taux de royalty, le profit oil et le renouvellement des permis d'exploration. Sur la plupart des points essentiels où le contrat de partage de production s'écarte de la loi actuelle, la différence est à l'avantage de la CoMiCo, potentiellement au détriment des fonds publics de la RDC.

L'avocat de la CoMiCo conteste cette interprétation selon lui « clairement erronée » des termes du contrat et du cadre juridique de la RDC. En réponse aux interrogations de Global Witness, l'avocat a fait valoir que « la loi de 2015 sur les hydrocarbures, par ses propres dispositions, ne s'appliquait pas au contrat, sauf pour ce qui concerne l'environnement, la sécurité et l'hygiène ».

La transaction elle-même n'est pas seule source de préoccupation ; l'entreprise qui l'a pilotée soulève aussi des inquiétudes. La liste complète des propriétaires passés et présents de la CoMiCo est tenue secrète. Lors de sa création, le 17 avril 2006, la CoMiCo avait été liée à Montfort Konzi, un individu connecté au monde politique et membre du Mouvement de Libération du Congo, et à Idalécio de Castro Rodrigues Oliveira, un homme d'affaires plus tard condamné pour corruption dans le scandale Petrobras au Brésil, pour la vente d'un bloc pétrolier.

Les avocats de la CoMiCo ont déclaré qu' Idalécio de Oliveira n’est pas un actionnaire bénéficiaire direct ou indirect de la CoMiCo. Aujourd'hui, l'actionnariat principal de l'entreprise est caché derrière une société mandataire.

Le parc national de la Salonga menacé

Outre la formulation douteuse du contrat et l'opacité qui entoure les propriétaires de la CoMiCo, ces droits pétroliers sont particulièrement controversés car l'un des trois blocs attribués empiète sur le parc national de la Salonga, comme nous l'avons révélé dans notre précédent rapport. Ce parc constitue la plus grande forêt tropicale humide protégée d'Afrique et abrite 40 % de la population de bonobos restante dans le monde, ainsi que plusieurs autres espèces rares et menacées. De par sa taille, il joue un rôle fondamental en tant que puits de carbone, dans l'atténuation du changement climatique. Toute activité pétrolière dans la région pourrait avoir des conséquences environnementales potentiellement dévastatrices.

Suite à l'ordonnance présidentielle de février 2018, le gouvernement de la RDC a annoncé la création d'une commission interministérielle chargée d'examiner la possibilité de « déclasser » des portions des parcs nationaux de la Salonga et des Virunga pour permettre l'exploration pétrolière. Le déclassement envisagé impliquerait de modifier les limites des parcs de sorte que les zones concernées par les licences pétrolières  se retrouvent en dehors du périmètre des parcs, ce qui leur ferait perdre les protections normalement accordées aux parcs nationaux et aux sites patrimoine mondial de l'UNESCO.

Bonobo in Salonga National Park - Alamy

En voie de disparition, les bonobos ne vivent qu'en RDC. © Alamy

Global Witness a demandé à la CoMiCo de faire une déclaration publique dans laquelle elle s'engagerait à ne pas prospecter dans les limites actuelles du parc national de la Salonga, quelles que soient les évolutions futures. 

L'avocat de la CoMiCo a répondu : « La position de mon client sur le parc national de la Salongo [sic] est la même que celle qu'il a déjà énoncée : il n'a pas l'intention de forer dans le périmètre du parc national. » Étant donné le risque que le gouvernement de la RDC choisisse de redessiner les limites du parc national de la Salonga pour faciliter le forage pétrolier, le commentaire de la CoMiCo est loin de constituer un engagement ferme et contraignant à rester en dehors du territoire actuel de la Salonga.

L'attribution de ce bloc à la CoMiCo et la mise en place d'une commission de déclassement jettent un doute sur la fermeté de l'engagement du gouvernement congolais à protéger l'environnement, et sonnent l'alarme sur l'avenir des cinq sites nationaux classés au patrimoine mondial de l'UNESCO, qui couvrent à eux seuls près de sept millions d'hectares. Il est particulièrement préoccupant que le parc national de la Salonga soit mis en péril par un contrat pétrolier douteux aux mains d'une entreprise largement opaque qui, jusqu'ici, refuse de s'engager significativement à protéger la réserve. Il est vital que l'administration de Felix Tshisekedi proclame avec force la détermination de la RDC à protéger l'environnement.

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© Global Witness

Dans l'intérêt de qui ?

Le gouvernement précédent semble avoir bafoué sa propre loi sur les hydrocarbures, conçue notamment pour s'assurer que la RDC tire profit de ses richesses en ressources naturelles. Ce faisant, il met en péril un site patrimoine mondial de l'UNESCO et approuve un contrat à des conditions fiscales apparemment moins favorables que celles prévues dans son code pétrolier de 2015. Cela met en doute la capacité et la volonté de l’ancien gouvernement de la RDC d'agir dans le meilleur intérêt du peuple congolais concernant la gestion des ressources naturelles du pays.

Le nouveau président congolais Felix Tshisekedi et son administration doivent d'urgence revoir le contrat de la CoMiCo ainsi que les autres contrats conclus sous le régime de Kabila, pour s'assurer qu'ils sont conformes à la loi congolaise et que le peuple congolais touche les bénéfices du secteur pétrolier du pays.

Si la CoMiCo venait à lancer sa prospection pétrolière, le gouvernement aurait créé un dangereux précédent, en bafouant ses propres lois pour accorder des  contrats potentiellement avantageux au détriment de l'environnement et des finances publiques.

Nos principales recommandations

Au vu de notre analyse, nous appelons les acteurs concernés à prendre les mesures clés suivantes :

  • Le nouveau gouvernement congolais devrait revoir le contrat de la CoMiCo à la lumière des questions soulevées par notre analyse.
  • Le nouveau gouvernement congolais devrait démanteler la commission interministérielle chargée d'examiner les projets de déclassement du parc national de la Salonga et renouveler immédiatement son engagement international à protéger les sites classés patrimoine mondial en annulant tous les blocs pétroliers ou concessions de ressources naturelles qui affectent ces sites ou leurs zones tampon et s'engager à ne plus octroyer de nouveaux blocs à l'avenir dans ces zones.
  • Le nouveau gouvernement congolais devrait faire appliquer les clauses de transparence qui figurent dans le code pétrolier de la RDC, notamment en publiant les contrats sur le site internet du ministère des Hydrocarbures.
  • Toutes les entreprises extractives en RDC, notamment la CoMiCo, devraient rendre publics la composition complète et détaillée de leur actionnariat, afin que les habitants de la RDC sachent exactement qui prend le contrôle de leurs ressources naturelles.
  • La CoMiCo devrait rejoindre le groupement RDC de l'Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) et publier toutes les informations sur ses versements au gouvernement et aux actionnaires conformément aux normes de l'ITIE et aux meilleures pratiques internationales.

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