Après plus d’un an de négociations, le FMI a annoncé le 9 mai avoir conclu un accord de principe relatif à un plan de sauvetage avec la République du Congo (Congo-Brazzaville). De retour de sa dernière mission, l’équipe du FMI saluait les engagements de ce pays en faveur de la transparence, alors que la société civile continue de critiquer son opacité. Au vu des promesses passées non tenues, le Conseil d’administration du FMI ne doit pas signer un accord tant que toutes les mesures de transparence ne sont pas prises et soutenues.
Le Congo, troisième producteur de pétrole d’Afrique subsaharienne, a des difficultés financières. Sa dette publique représente environ 90 % de son PIB – une amélioration par rapport à 2017 mais encore loin d’être durable. Alors que le pays passe d’une crise financière à une autre, les citoyens se retrouvent pendant plusieurs mois sans salaires ni retraites.
Le problème réside en partie dans l’habitude qu’a le Congo d’emprunter des milliards à des entreprises privées en s’engageant à les rembourser en pétrole, autrement dit des « prêts adossés au pétrole ». Ces prêts – aussi appelés des « préfinancements pétroliers » – sont coûteux, opaques et, en cas de crise, ils compliquent les tentatives de restructuration de la dette. Gérés correctement, ils permettent aux États riches en pétrole mais pas en argent de tirer parti de leur principal actif. Toutefois, trop souvent, ils deviennent une source de financement douteuse pour des dirigeants corrompus, entraînant une forte hausse de l’endettement du pays et plongeant l’économie dans le chaos.
Partout, les prêts de longue durée adossés au pétrole rendent les pays concernés tributaires de leur pétrole pendant des années, voire décennies. Les tentatives d’une « sortie progressive » (managed decline) de la production d’énergies fossiles en accord avec l’Accord de Paris (que le Congo a ratifié en 2017), et la diversification économique que cela exige, pourraient ainsi être compromises.
Scandales passées
Au Congo, la pratique des prêts adossés au pétrole remonte aux années 1970 et à Elf Aquitaine, la société pétrolière française d’État. Elf encourageait l’endettement public afin de maintenir son contrôle sur le pétrole et la politique du Congo et d’autres anciennes colonies françaises. Aujourd’hui, les négociants en matières premières et d’autres sociétés pétrolières, dont les revenues correspondent à celles de certains États, procèdent aussi de cette manière pour garantir leur accès au pétrole.
Des rapports récents indiquent que le Congo doit aux géants des matières premières Glencore et Trafigura environ $2 milliards, et jusqu’à $580 millions à Orion Oil, société dirigée par Lucien Ebata, fondateur de Forbes Afrique et conseiller en financement extérieur (notamment concernant les négociations avec le FMI) du Président Sassou Nguesso. Les accords de prêts conclus avec Glencore et Trafigura n’ont été révélés par le Congo qu’en août 2017 ; la dette publique par rapport au PIB avait alors fléchi de 33 points de pourcentage.
Les prêts adossés au pétrole ont provoqué toute une série de scandales au Congo. Ainsi, en 2004, nous avons révélé qu’Elf se servait de cette pratique pour enrichir ses « fonds secrets », et assurer au Président Sassou Nguesso une source de revenus considérable et opaque. En 2005, nous avons démontré que ces prêts avaient servi à éviter les réclamations des créanciers du Congo et comme mécanisme de corruption. En 2017, nous avons réaffirmé nos préoccupations quant à la corruption liée à ce type d’accords et demandé à ce que le FMI n’accorde un plan de sauvetage que sous réserve du respect de critères de transparence spécifiques. Toujours en 2019, l’ONG suisse Public Eye révélait que le négociant en matières premières Gunvor avait réalisé des bénéfices considérables sur six « accords de préfinancement » dans le cadre d’une affaire prétendument corrompue dans le but de s’assurer son accès au pétrole congolais.
D’autres dettes « cachées » ?
Dans ce contexte de corruption, la transparence est un facteur clé pour obliger le gouvernement et les entreprises à rendre des comptes.
Ces dernières années – sans doute grâce aux pressions exercées par le FMI – le Congo a pris certaines mesures en faveur de transparence dans son secteur pétrolier. Le pays publie de contrats pétroliers et des rapports d’audit relatifs à sa société pétrolière nationale, la SNPC. En juin 2018, en consultation avec le FMI, il a publié un rapport sur la corruption. Le dernier rapport de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) Congo, publié en février 2019, contient des informations sur les exportations et les ventes de pétrole en 2016. Mais il souligne également de nombreux domaines dans lesquels les données font cruellement défaut.
Les informations sont particulièrement limitées concernant l’endettement actuel du Congo adossé au pétrole, ce qui est contraire à sa Loi de la transparence 2017 et ses engagements du rapport 2018 sur la corruption. Une grande partie de cette dette a été contractée par la SNPC – une boîte noire notoire. Même le gouvernement actuel et les conseillers financiers du Congo, sans parler des citoyens congolais, peinent eux-mêmes à déterminer qui doit combien à qui et selon quelles modalités.
L’annonce récente du FMI arrive dans un contexte d’appels pressants lancés par la société civile congolaise et les dirigeants de l’opposition en faveur d’une plus grande transparence à l’égard de la dette du secteur pétrolier. Elle coïncide aussi avec la découverte progressive d’informations sur la dette que le Congo a contractée auprès de différentes sociétés pétrolières, dressant un tableau encore plus inquiétant de la situation financière du pays.
Le dernier rapport de l’ITIE-Congo, par exemple, explique qu’en 2016, Total avait effectué un prélèvement de 654 674 barils de pétrole, d’une valeur estimée de $26,6 millions, « au titre du remboursement des dettes de l’État ». Aucune autre précision est fournie donc ce n’est pas clair à quoi ces « dettes de l’État » font référence et si une partie reste impayée ou pas. En réponse à des questions de Global Witness, Total a dit qu’elle n’a pas accordé aucun prêt adosse à ces 654 674 barils de pétrole et que le rapport ITIE est erroné a cet égard.
En avril 2019, de nouveaux accords de prêts relatifs à deux centrales électriques ont été cités par Publiez Ce Que Vous Payez-Congo. Aucune information sur ces prêts ne se trouve dans le domaine public, donc ce n’est pas clair s’ils doivent être remboursés en pétrole ou pas. Ceux-ci interviennent alors même que le Congo finit de rembourser à Eni, en pétrole, ses investissements dans la Centrale électrique du Congo (CEC). En 2016, Eni a prélevé au total 3 777 359 barils de pétrole, d’une valeur estimée de $153,6 millions, dans le contexte de ce projet, d’après l’ITIE.
La société Worldwide, basée aux Émirats arabes unis, a accordé au Congo un autre prêt adossé au pétrole de $500 millions en 2014, d’après Africa Energy Intelligence. Mais ce prêt n’est plus mentionné nulle part et ce n’est pas clair s’il a été remboursé ou pas.
Des promesses non tenues
Il y a 18 ans, le Congo a promis au FMI qu’il cesserait de contracter des prêts adossés au pétrole pour la première fois. Il a répété cette promesse en 2003, et de nouveau en 2009, cet engagement étant l’un des critères qui lui permettraient de bénéficier un plan de sauvetage à l’époque. Pourtant, cette pratique semble toujours être d’actualité.
L’existence de tous prêts accordés par de sociétés privées adossés au pétrole et leurs modalités doivent être rendus publics. Au Congo, ces prêts ainsi que d’autres informations clés telles que les statistiques relatives à la production, aux exportations et aux ventes de pétrole, et des accords « pétrole contre infrastructures », doivent être rendus publics avant que le Conseil d’administration du FMI ne signe un quelconque accord. Cette fois-ci, il faut obliger le Congo à appliquer une réelle transparence et à tenir ses engagements en cessant de conclure ce type d’accords opaques et préjudiciables.
C’est article est une traduction de la version originale en anglais. En cas de divergence entre les deux, la version anglaise fait foi.
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