Le fils du président de la République du Congo Denis Sassou-Nguesso aurait vraisemblablement extorqué plus de 50 millions de dollars au Trésor congolais, en mettant en place une structure d'entreprise complexe et opaque dans plusieurs pays, révèle la nouvelle enquête de Global Witness.
Six pays européens différents, les Îles Vierges Britanniques et l'État américain du Delaware ont été impliqués dans ce qui s'avère être une manœuvre de blanchiment d'argent, montrant une fois de plus les faiblesses des cadres internationaux de lutte contre le blanchiment d'argent qui facilitent la corruption.
Denis Christel Sassou-Nguesso, presque l'homonyme de son père et également connu sous le nom de Kiki, est une figure puissante au Congo, un pays d'Afrique centrale riche en pétrole. En plus d'être le fils du Président, il est également élu membre du Parlement congolais et ancien directeur adjoint de la société pétrolière d'État, Société nationale des pétroles du Congo (SNPC).
Son montage, découvert par Global Witness, opère sur le même modèle et la même structure que celui mis en place simultanément par sa sœur, Claudia Sassou-Nguesso. Fille du Président congolais, elle est également députée et chef de la communication présidentielle.
Comme révélé par Global Witness en avril 2019, Claudia Sassou-Nguesso aurait reçu près de 20 millions de dollars de fonds publics apparemment détournés et utilisés pour l'achat d'un appartement de luxe dans le Trump Hotel & Tower à New York.
Mises bout à bout, nos enquêtes fournissent des preuves convaincantes sur la manière dont la famille présidentielle congolaise semble avoir détourné de l'argent des coffres de l'État à des fins personnelles. Les Sassou-Nguessos sont connus pour avoir des styles de vie luxueux, qui ne sont pas en adéquation avec les salaires relativement modestes des fonctionnaires au Congo.
Le Congo est récemment devenu le troisième plus grand producteur de pétrole d'Afrique subsaharienne, tirant d'énormes revenus du secteur pétrolier. Toutefois, en raison de la corruption et de sa mauvaise gestion, le pays obtient systématiquement de mauvais résultats au niveau des indices de développement, tels que l'Indice de développement humain et l'Indice de perception de la corruption.
Alors que des fonds publics sont apparemment détournés par la famille présidentielle, un tiers de la population congolaise vit en dessous du seuil de pauvreté et les citoyens passent des mois sans salaire, sans aides et sans médicaments.
Pour réaliser cette enquête, Global Witness a parcouru divers relevés bancaires, documents d'entreprise et contrats secrets, et s'est entretenu avec de nombreuses sources dans différents pays. Finalement, cette enquête révèle que de l'argent du Trésor congolais a transité jusqu'au cœur de l'Europe, des États-Unis et des Îles Vierges britanniques.Principales conclusions :
- Le fils du Président congolais, Denis Christel Sassou-Nguesso, semble avoir volé plus de 50 millions de dollars au Trésor congolais.
- L'argent a été détourné à travers ce qui semble être un faux contrat pour des travaux publics avec Asperbras, une société d'infrastructure brésilienne.
- Afin de masquer la provenance des fonds, l'argent a transité via des juridictions opaques, telles que l'État américain du Delaware et les Îles Vierges britanniques, avant d'atteindre les sociétés écrans de Denis Christel Sassou-Nguesso en Europe.
- Denis Christel Sassou-Nguesso était le propriétaire caché d'au moins cinq sociétés écrans basées dans l'Union Européenne : trois à Chypre, une en Estonie et une en Espagne.
- Cet argent fut utilisé pour des paiements réalisés auprès d'entreprises basées en Pologne, au Portugal, en Espagne et en Suisse.
- José Veiga, homme d'affaires visé par une enquête au Portugal pour son implication présumée dans la corruption et le blanchiment d'argent au Congo, a agi en tant que frontman.
- Au total, six pays européens, un État américain et les Îles Vierges Britanniques ont tous été utilisés dans le cadre de ce montage et ont joué un rôle clé dans la facilitation des détournements de fonds des Sassou-Nguesso, mettant en évidence de graves faiblesses dans les systèmes de lutte contre le blanchiment d'argent au niveau mondial.
L'homme de main portugais
José Veiga se trouve au cœur de l'apparente stratégie de blanchiment d'argent des Sassou-Nguesso. Ce célèbre homme d'affaires portugais est connu pour être un homme de main de la famille présidentielle congolaise pour ce qui concerne les entreprises. Il fait l'objet d'une enquête au Portugal pour son implication présumée dans la corruption et le blanchiment d'argent au Congo.José Veiga était également un intermédiaire commercial pour la société brésilienne Asperbras au Congo, société pour laquelle il était responsable de l'obtention de contrats de travaux publics avec le gouvernement congolais. Selon le journal français Le Canard Enchaîné, Asperbras a imposé des frais surévalués pour certains contrats.
En réponse aux questions rédigées par Global Witness, Asperbras a complètement réfuté toute allégation de contrats surévalués et d'irrégularités dans le processus de passation des marchés publics congolais.
L'un des accords conclus par Asperbras et le gouvernement congolais était de réaliser une étude géologique. La société brésilienne a sous-traité une partie des travaux à une société chypriote appelée Gabox Limited. Gabox n'avait aucune expérience évidente, ni de capital financier ou même d'employés, et avait été mise en place seulement deux jours avant la signature de l'accord avec Asperbras.
Les termes du contrat stipulent que Gabox recevra 25 pour cent du montant payé par le gouvernement congolais à Asperbras. Selon l'ONG suisse Public Eye, le projet était évalué à 200 millions de dollars, ce qui signifie que Gabox recevrait 50 millions de dollars.
Dans sa réponse à Global Witness, Asperbras a affirmé que Gabox avait été engagée exclusivement pour obtenir de nouvelles offres pour Asperbras. Toutefois, les termes du contrat entre Gabox et Asperbras, examinés par Global Witness, indiquent que Gabox avait théoriquement été engagé pour effectuer un levé cartographique géologique au Congo.
À cette époque, Gabox faisait partie d'une structure composée de trois sociétés chypriotes différentes. D'après les documents d'entreprises accessibles au public, Veiga semblait être propriétaire de ce réseau.
Mais cela n'était pas le cas.
José Veiga n'était qu'un représentant (frontman), dont la présence cachait le véritable propriétaire des entreprises chypriotes.
Le fils du Président congolais, le bénéficiaire caché de dizaines de millions de dollars
Selon des documents étudiés par Global Witness, le véritable propriétaire du réseau chypriote d'entreprises qui a reçu les 50 millions de dollars du Trésor congolais était Denis Christel Sassou-Nguesso.
Lorsque Gabox a été incorporé et inclus dans le réseau des entreprises chypriotes sous le nom de José Veiga, l'homme d'affaires portugais avait déjà secrètement transféré la propriété du réseau au fils du Président. Ce transfert de propriété a été effectué en utilisant un ensemble de contrats qui ont été estampillés et officialisés par un notaire à Brazzaville, capitale du Congo.Quoi que puisse mentionner les documents de l'entreprise à Chypre, ces contrats de Brazzaville signifiaient qu'en réalité, lorsque Gabox a été constitué, la société appartenait automatiquement à Denis Christel Sassou-Nguesso.
Le premier dépôt reçu par Gabox, en janvier 2014, s'élevait à 44,5 millions de dollars (33,5 millions d'euros) et provenait d'une filiale d'Asperbras.
Un mois plus tard, Gabox a reçu un deuxième virement bancaire de 1,6 million de dollars (1,2 million d'euros) d'une autre société chypriote appelée Sebrit Limited. Comme Global Witness l'a révélé précédemment, Sebrit était une société écran de Claudia Sassou-Nguesso, la sœur de Denis Christel Sassou-Nguesso. Comme Gabox, elle aurait reçu des fonds volés du Trésor congolais.
Approximativement à la fin de la même année, la société mère de Gabox a de nouveau reçu 4,4 millions de dollars de la filiale Asperbras.
Au total, en 2014, les entreprises appartenant à Denis Christel Sassou-Nguesso ont reçu environ 50,5 millions de dollars, des fonds qui sembleraient avoir été volés au Trésor congolais.
Gabox a ensuite effectué des versements à des sociétés basées en Pologne, au Portugal, en Espagne et en Suisse, selon un rapport de police portugais examiné par Global Witness. L'objet de ces paiements n'est pas clair.
Cependant, ce qui est clair, c'est que la famille Sassou-Nguesso a dépensé d'énormes sommes au cours des dernières années en biens et propriétés de luxe. Compte tenu des salaires relativement bas des agents publics au Congo, il est fort probable que l'argent utilisé pour ces dépenses extravagantes provienne, au moins en partie, de fonds publics pillés.
En réponse aux questions rédigées et envoyées par Global Witness, Asperbras a déclaré ne rien savoir sur les transactions conclues par Veiga ou ses sociétés, et encore moins sur les transactions financières effectuées par José Veiga pour le compte d'une « Personne politiquement exposée » (PPE) au Congo.
Denis Christel Sassou-Nguesso étant le fils du Président congolais et un député élu, il serait qualifié de PPE. Les réglementations de lutte contre le blanchiment d'argent exigent des banques et des entreprises qu'elles exercent une vigilance renforcée sur les transactions ou opérations impliquant des PPE, car elles présentent un risque de corruption : Les PPE peuvent potentiellement utiliser leur pouvoir politique et leurs connexions pour leur profit personnel.
Asperbras a refusé de commenter plus en détail l'enquête portugaise en cours sur José Veiga et sur son implication dans des accords au Congo. La société a souligné qu'aucun de ses employés n'avait été inculpé à ce jour dans le cadre de cette enquête.Le style de vie fastueux de la famille présidentielle congolaise
Quasiment au pouvoir depuis les quatre dernières décennies, la famille Sassou-Nguesso possède des propriétés d'une valeur de plusieurs millions de dollars dans le monde entier. Les membres de la famille ont été accusés d'utiliser leurs positions de pouvoir pour s'enrichir.
Global Witness a récemment révélé comment Claudia Sassou-Nguesso a utilisé les 7 millions de dollars des fonds publics qu'elle aurait détournés pour acheter un appartement de luxe à Trump International Hotel & Tower à New York.
Nous avons également découvert comment Denis Christel Sassou-Nguesso aurait dépensé 35 000 millions de dollars provenant des ventes de pétrole d'État dans des achats de luxe à Paris, Marbella et Dubaï.
D'autres histoires de dépenses faramineuses abondent : Le président congolais aurait dépensé plus d'un million de dollars en chemises et costumes dans des boutiques parisiennes de luxe. Le journal français Libération citait alors un ancien assistant du personnel présidentiel disant que Denis Christel Sassou-Nguesso « change de chemise trois ou quatre fois par jour et se vante de ne jamais les laver et de les utiliser comme mouchoir ».
Depuis 2010, suite à une plainte pénale déposée par des ONG françaises, les autorités françaises enquêtent sur les biens de la famille présidentielle congolaise, au motif qu'ils ont été acquis par détournement de fonds publics et blanchiment d'argent. L'affaire est connue sous le nom de l'Affaire des Biens Mal Acquis et se poursuit actuellement.
Dans le cadre de cette enquête, les enquêteurs français ont constaté que la famille présidentielle congolaise avait dépensé 67,6 millions de dollars (60 millions d'euros) en biens de luxe et en biens immobiliers en France. Il ne s'agit probablement que de la partie émergée de l'iceberg.
Global Witness a rédigé et envoyé des questions à Denis Christel Sassou-Nguesso, à l'avocat de José Veiga et au porte-parole du gouvernement congolais, leur demandant de commenter les informations et les allégations exposées dans cet article. Aucune des parties n'a répondu quant aux allégations qui leur ont été soumises pour observation dans le délai imparti.
La facilitation de la corruption par les failles du système financier international
Les kleptocrates peuvent détourner l'argent public et avoir des trains de vie fastueux aux dépens des citoyens ordinaires, en partie grâce aux failles de la réglementation du système financier international contre le blanchiment d'argent.
Dans le cas de Denis Christel Sassou-Nguesso et de ses sociétés chypriotes, des documents notariés à Brazzaville indiquent comment la propriété a apparemment été secrètement transférée, sans aucune indication de changement à Chypre, son pays de constitution.
Ainsi, quiconque tenterait d'identifier le propriétaire de la société à Chypre serait induit en erreur en pensant que le propriétaire était José Veiga, plutôt que le fils du Président congolais.
L'absence des transferts de propriété dans les pays tiers dans les informations sur les bénéficiaires effectifs est une lacune qui doit être comblée par les autorités européennes. Sinon, hommes d'affaires et politiciens corrompus pourront continuer à cacher et à maquiller leur possession d'entreprises opaques et douteuses.
Outre le réseau de sociétés chypriotes, Global Witness a examiné des documents montrant que José Veiga était un frontman de Denis Christel Sassou-Nguesso dans deux autres sociétés écrans européennes, l'une constituée en Espagne et l'autre en Estonie.
Cette manœuvre exemplifie que les lacunes majeures dans la mise en œuvre des mesures de lutte contre la corruption dans différents pays européens continuent à permettre le pillage des fonds publics et contribuent ainsi à maintenir dans la pauvreté les citoyens ordinaires d'États kleptocratiques comme le Congo.
Pour remédier à cette situation, les pays européens devraient appliquer l'obligation faite à toutes les sociétés constituées en Europe de divulguer publiquement qui les détient et les contrôle. Depuis près d'une décennie Global Witness réclame des registres publics des bénéficiaires effectifs dans les juridictions dites secrètes, telles que les Îles Vierges Britanniques, où il est difficile de savoir qui possède réellement des entreprises.
Les États membres de l'UE sont tenus de mettre en place des registres publics de propriété des entreprises d'ici janvier 2020, alors que le gouvernement britannique a demandé à ses territoires d'outre-mer de mettre en place des registres publics d'ici 2023, et les Crown Dependencies du Royaume-Uni ont récemment annoncé leur intention de prendre des mesures similaires. Les États-Unis sont à la traîne, mais la législation bipartite a une réelle chance cette année de passer par les deux chambres du Congrès. Il est essentiel que les législateurs et les fonctionnaires de ces territoires fassent pression pour la mise en œuvre et l'application de ces lois, ainsi que d'autres lois pertinentes sur la transparence.
Chronologie : comment 50 millions de dollars ont été versés par le Trésor congolais aux entreprises de Denis Christel Sassou-Nguesso.
- Le 28 novembre 2013, un service congolais chargé de la gestion de la trésorerie a transféré environ 675 millions de dollars (491,1 millions d'euros) à une filiale d'Asperbras basée dans l'état du Delaware, Asperbras LLC, apparemment pour des contrats de travaux publics. Les documents bancaires examinés par Global Witness montrent qu'avant ce transfert, Asperbras LLC ne détenait que deux mille dollars sur ce compte.
- Le 9 décembre 2013, Veiga a créé la société Gabox Limited à Chypre.
- Le 11 décembre 2013, Gabox a signé un contrat avec une filiale d'Asperbras LLC, la société Energy & Mining. Gabox a apparemment été sous-traitant pour réaliser une partie d'un projet de cartographie géologique congolais, en dépit d'un manque d'expérience évident, de capital financier inexistant et d'absence d'employés, et que l'entreprise n'ait été mise en place que deux jours auparavant.
- Selon les termes du contrat examiné par Global Witness, Energy & Mining verserait à Gabox l'équivalent de 25 % du montant reçu par le gouvernement congolais. L'ONG suisse Public Eye a indiqué que le projet était évalué à 200 millions de dollars, ce qui signifie que Gabox aurait reçu 50 millions de dollars.
- Divers comptes appartenant au groupe Asperbras (y compris Asperbras LLC, qui a reçu le paiement massif du gouvernement congolais) au Banco Espirito Santo (BES), aujourd'hui décédé, ont acheminé des fonds vers le compte bancaire d'Energy & Mining à BES au Cap-Vert. Ces fonds ont ensuite été distribués à des sociétés obscures dirigées par Veiga à Chypre et au Congo.
- 62,5 millions de dollars ont été versés sur le compte en dollars d'Energy & Mining à BES Cap-Vert et 37 millions d'euros supplémentaires ont été reçus sur son compte en euros à la même succursale bancaire, entre janvier 2013 et novembre 2014. Les fonds proviennent de divers comptes BES qui semblent avoir été contrôlés par des sociétés du groupe Asperbras.
- L'une des sociétés opaques recevant des fonds d'Energy & Mining était Gabox. Le premier dépôt reçu par Gabox s'élevait à 44,5 millions de dollars (33,5 millions d'euros) en janvier 2014.
- En février 2014, Gabox a reçu un deuxième virement bancaire de 1,6 million de dollars (1,2 million d'euros) d'une autre société chypriote appelée Sebrit. Comme Global Witness l'arévélé précédemment, Sebrit était une société écran de Claudia Sassou-Nguesso, la sœur de Denis Christel Sassou-Nguesso. Comme Gabox, elle aurait reçu des fonds volés du Trésor congolais.
- La société mère de Gabox était la société chypriote Manzapo. En novembre 2014, Energy & Mining a reçu d'autres paiements d'Asperbras LLC et a transmis 4,4 millions de dollars à Manzapo. La société mère de Manzapo était une autre société chypriote appelée Alicero. Les documents d'entreprise obtenus à Chypre et les contrats notariés de Brazzaville montrent que Denis Christel Sassou-Nguesso possédait Alicero et Manzapo, et contrôlait donc toute la structure des entreprises chypriotes impliquées ici.
- Au total, en 2014, les entreprises détenues par Denis Christel Sassou-Nguesso ont reçu près de 50,5 millions de dollars qui auraient été détournés des comptes du Trésor congolais.
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Denis Christel Sassou-Nguesso, fils du président kleptocrate de la République du Congo, semble avoir détourné plus de 50 millions de dollars de fonds publics pour financer son train de vie luxueux.