Dans ce blog d’invité, Anja
Tolonen, professeure adjointe au Barnard College, Columbia University, évoque les
coûts et les avantages de l’exploitation minière à grande échelle pour les
femmes de toute l’Afrique.
Le continent africain est riche en ressources naturelles, notamment en pétrole, en gaz et en minerais, qui pèsent lourd dans ses exportations et constituent aujourd’hui une source majeure d’investissement. Il est rare que les débats sur l’impact des ressources naturelles insistent sur la question du genre. Les industries extractives affectent-elles les hommes et les femmes de la même manière ?
Dans le cadre d’une série de projets de recherche, j’ai été amenée à étudier l’impact de l’exploitation minière à grande échelle en Afrique sur les moyens de subsistance des femmes, ainsi que les normes de genre dans les régions minières. Les premières hypothèses, qui s’appuient également sur d’autres projets de recherche, sont peu réjouissantes. La « Vision pour l’industrie minière en Afrique » de l’ONU – dédiée à l’intégration durable du secteur minier dans les politiques de développement – fait clairement valoir que, si elles sont mal gérées, les industries extractives risquent de creuser le fossé déjà profond qui existe entre les opportunités économiques s’offrant aux hommes et aux femmes.
Que signifie la présence d’une opération minière pour l’emploi des femmes ? On considère en général que le secteur minier n’a que peu d’effets multiplicateurs au niveau local ; autrement dit, pour chaque emploi créé dans le secteur, très peu d’emplois sont créés dans les secteurs connexes comme ceux des services, de la fabrication ou de la construction. C’est ce que l’on appelle l’hypothèse de l’« enclave » : une mine à grande échelle engendre peu d’opportunités économiques pour les membres des communautés locales.
D’un autre côté, les emplois générés par les activités minières en Afrique se concentrent généralement dans les secteurs des services et de la vente, qui tendent à être dominés par les femmes. Dans le rapport que j’ai récemment publié conjointement avec Andreas Kotsadam, intitulé African Mining, Gender and Local Employment, nous avons enquêté sur l’impact de cette expansion récente et rapide de l’industrie minière à grande échelle sur les perspectives d’emploi des femmes. Nous avons ainsi conjugué de manière inédite plusieurs séries de données se rapportant à 29 pays et à plus de 500 000 femmes pour étudier les conséquences de l’activité minière sur les moyens de subsistance des femmes.
Nous avons découvert que les mines industrielles modifient la structure de l’économie sociale, entraînant une baisse du rôle de l’agriculture de subsistance tant pour les hommes que pour les femmes. Cependant, cet éloignement de l’agriculture affecte différemment les hommes et les femmes : les hommes se tournent vers le travail manuel qualifié, tandis que les femmes s’orientent vers un emploi dans le secteur des services – alimentation, coiffure, transports, etc. Il est surtout important de noter que ces nouveaux emplois présentent des avantages supplémentaires pour les femmes : celles-ci sont plus susceptibles d’être payées en argent liquide pour leur travail, au lieu de ne toucher aucune rémunération ou de recevoir un paiement en nature. En outre, ce type d’emplois n’étant pas saisonnier, les femmes des communautés minières ont davantage de possibilités de travailler tout au long de l’année, et non plus seulement pendant la haute saison agricole.
Cependant, en moyenne, les femmes des communautés minières sont moins nombreuses à travailler que celles qui vivent au sein d’autres communautés, et la baisse de l’emploi au lancement d’une opération minière est plus prononcée chez les femmes que chez les hommes. Ces effets sont très localisés : les individus qui vivent à plus de cinquante kilomètres d’une mine ne sont pas affectés par ces changements au niveau de l’économie.
Pour mieux comprendre ce que signifie cette évolution de l’économie locale pour les femmes et leur bien-être, j’ai ensuite étudié la manière dont l’exploitation aurifère industrielle à grande échelle modifiait les normes de genre locales. À l’aide de données provenant de huit pays d’Afrique dotés de réserves d’or considérables, je me suis intéressée à l’exploitation aurifère industrielle et à son impact sur l’accès des femmes aux soins de santé et aux ressources du ménage ; j’ai aussi cherché à savoir si elle modifiait les convictions locales à l’égard de la violence domestique. Mes recherches suggèrent que les normes de genre évoluent rapidement parallèlement aux changements économiques. Comparé aux femmes d’autres communautés, celles des communautés minières sont moins susceptibles de justifier la violence domestique, et disposent d’un meilleur accès aux soins de santé et aux médias traitant de la question de la planification des naissances. Ces changements se constatent à la fois parmi les migrantes et parmi les femmes nées au sein des communautés minières.
Ces résultats soulignent combien les mines à grande échelle ont un pouvoir transformateur en générant de nouvelles opportunités économiques qui ont des répercussions sur les moyens de subsistance des femmes et des hommes – et combien il est important de reconnaître les impacts propres à chaque genre du secteur minier. Ils indiquent également les défis à relever pour s’assurer que l’industrie génère une croissance économique locale à la fois totalement inclusive et durable pour les femmes comme pour les hommes. Surtout, ils nous rappellent qu’un secteur principalement axé sur le travail masculin est loin d’être neutre pour le bien-être des femmes – et que les politiques doivent être conçues en tenant compte de cet aspect.
Des extraits de cet article ont initialement été publiés sur The World Bank’s Let’s Talk Development Blog.
Auteure : Anja Tolonen est professeure assistante au Barnard College, Columbia University.
Rapports :
African Mining, Gender and Local Employment (Kotsadam and Tolonen, World Development, 2016)
Local Industrial Shocks and Infant Mortality (non publié)
Local Industrial Shocks and Endogenous Gender Norms (non publié)