Cette année, mon travail m’a valu de faire l’objet de menaces. Ce n’était pas la première fois, mais je n’avais jamais été intimidée à ce point.
Certains de ceux qui avaient eu vent de cette menace m’en ont fait part. Elle émanait d’un haut-fonctionnaire congolais et disait grosso modo : "Si elle revient ici [en RDC], je la fais arrêter."
La raison de cette menace est que, l’année dernière, Global Witness a publié un rapport. Ce rapport indiquait qu’en 2015, une entreprise privée chinoise avait donné des AK47 à des insurgés opérant dans l’est du Congo moyennant un accès à l’or. Cette entreprise a ensuite vendu l’or sur les marchés internationaux, notamment à des sociétés basées à Dubaï.
Des actionnaires de cette entreprise chinoise ont assisté au Forum de l’OCDE sur les chaînes d’approvisionnement responsables en minerais. La onzième édition de ce Forum ouvre ses portes à Paris le 2 mai.
Certains membres des autorités minières congolaises étaient au courant des opérations de l’entreprise chinoise. Ils ont eux aussi assisté au Forum et ils continueront certainement de le faire.
Le rapport de Global Witness a été publié en juillet dernier. Or, depuis, personne n’a eu à répondre de ses actes.
En revanche, la société civile, elle, fait l’objet de menaces pour avoir exposé la vérité. Pour avoir mis en évidence une problématique que le gouverneur de la province du Sud-Kivu – lieu d’une véritable ruée vers l’or – et les autorités minières devraient s’empresser de résoudre.
Au lieu de cela, certains membres des autorités ont pris la défense de l’entreprise en question.
C’est la sixième année que j’assiste au Forum de l’OCDE sur les chaînes d’approvisionnement en minerais. Je l’ai vu évoluer, et j’ai pu constater une meilleure prise de conscience du Guide de l’OCDE sur le devoir de diligence et des nouvelles manières de faire des affaires, désormais acceptés par un groupe important d’entreprises et certains représentants de gouvernements.
J’ai été encouragée par les efforts conjoints consentis tout au long de ce parcours. Mais il ne fait aucun doute que le travail est loin d’être terminé.
En recevant ces menaces, j’ai rejoint les confrères de la société civile congolaise qui font depuis de nombreuses années l’objet de menaces du même ordre – et bien plus graves. Eux aussi sont menacés à cause du travail qu’ils accomplissent pour mettre au grand jour les injustices et les atteintes aux droits humains associées à la mauvaise gestion des ressources naturelles considérables de la RDC.
Malheureusement, les menaces de ce type visant la société civile sont de plus en plus nombreuses, et pas uniquement au Congo.
Cette année, Global Witness a signalé que depuis 2010, plus de 120 personnes avaient été tuées au Honduras pour avoir tenté de s’opposer aux entreprises qui accaparent les terres ou détruisent l’environnement.
La mise en pratique de la diligence raisonnable applicable aux chaînes d’approvisionnement implique les entreprises, les gouvernements et la société civile, chacun de ces acteurs ayant différents rôles et fonctions à assumer. Le suivi et la surveillance indépendante assurés par la société civile sont des éléments clés pour instaurer un commerce de minerais responsable et transparent.
Les menaces à l’encontre de la société civile qui surveille et commente la gestion des ressources naturelles n’ont pas leur place dans ce travail – leur impact est bel et bien néfaste. La clôture de l’espace dont dispose la société civile met en danger lesprincipes mêmes sur lesquels s’appuient le Guide OCDE et l’engagement de ses différentes parties prenantes.
La conférence de cette semaine réunit des membres de la société civile du monde entier : depuis la Colombie jusqu’à la Norvège ; depuis le Congo jusqu’à la Birmanie ; depuis la Grande-Bretagne jusqu’à l’Afghanistan. Nous présentons des témoignages directs de la situation concrète le long des chaînes d’approvisionnement dans les régions où nous vivons ou travaillons.
J’espère qu’à l’occasion de ce 11ème Forum, les délégués seront à l’écoute de nos observations et rapports et seront incités à mieux faire. Qu’ils salueront et prendront en compte l’examen minutieux que fournit la société civile en communiquant des informations et en surveillant la situation, et qu’ils s’en serviront pour mieux faire, pour aller de l’avant.
J’espère qu’ils reconnaîtront que lorsque l’on réduit l’espace dont dispose la société civile pour opérer de manière indépendante et en toute sécurité, nous y perdons tous.
Les organisations de la société civile n’ont pas de chiffre d’affaires à protéger ou d’actionnaires à amadouer. Nous sommes présents à ce Forum dans l’espoir qu’ensemble, nous puissions collaborer avec les entreprises et les États afin de transformer le schéma d’approvisionnement actuellement en vigueur à travers le monde au profit d’un modèle équitable et sécurisé pour toutes les parties impliquées, tout au long des chaînes d’approvisionnement en minerais.
Notre vision est la suivante : des chaînes d’approvisionnement plus justes, plus sûres; et c’est pour contribuer à concrétiser cette vision que nous sommes présents au Forum. Nous espérons que les délégués de tous les secteurs la soutiendront.