En février 2012, alors que de nouveaux combats éclataient dans les Kivus, provinces riches en minerais situées dans l’est de la République démocratique du Congo, le gouvernement congolais a promulgué une loi pour contribuer à éliminer les liens entre le conflit, les atteintes aux droits humains et le commerce de minerais. En vertu de cette loi, toutes les entreprises d’exploitation et de négoce de l’étain, du tantale, du tungstène et de l’or doivent soumettre leurs chaînes d’approvisionnement à des contrôles, démarche appelée « devoir de diligence ». Ces contrôles visent à s’assurer que les minerais dont ces entreprises font le commerce n’ont ni incité des groupes armés à se battre, ni financé de tels combats, ni encore alimenté des atteintes aux droits humains.
Cette loi repose principalement sur l’obligation pour les entreprises de publier un rapport annuel sur les mesures qu’elles prennent pour identifier et atténuer les risques associés à leurs chaînes d’approvisionnement. Dans le cas de chaînes d’approvisionnement à haut risque, comme certaines dans l’est du Congo, les entreprises se doivent de repérer les signaux d’alerte au niveau de leurs chaînes d’approvisionnement et de prendre des mesures en conséquence, pour ensuite les signaler dans leur rapport annuel. Ces rapports fournissent l’assurance au public – mais aussi la preuve aux organismes de réglementation et aux partenaires commerciaux – que l’entreprise assume ses responsabilités.
À ce jour, peu d’entreprises au Congo remplissent les critères minimaux établis par la loi, et le gouvernement ne semble pas faire grand-chose pour y veiller. Prenons l’exemple de la province du Sud-Kivu : nos travaux de recherche indiquent qu’aucune des six maisons de négoce d’or artisanal officielles n’a publié de rapport sur son devoir de diligence pour 2014 ou 2015.
Bien évidemment, c’est au gouvernement congolais qu’il incombe de faire respecter sa loi. Celui-ci a par ailleurs avalisé la norme internationale en matière de devoirs de diligence applicable aux chaînes d’approvisionnement, le Guide OCDE sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque, ce qui lui confère une double responsabilité de s’assurer que les entreprises contrôlent leurs chaînes d’approvisionnement.
Le gouvernement congolais s’est à maintes reprises engagé à recueillir les rapports concernant les chaînes d’approvisionnement des entreprises et à les publier sur le site Internet du ministère des Mines. Une telle démarche constituerait une mesure positive. En effet, la centralisation de ces rapports aiderait les entités qui achètent et font le commerce de minerais en provenance du Congo – y compris les entreprises basées aux États-Unis, en Europe et en Chine – à contrôler leurs chaînes d’approvisionnement. Cela permettrait de repérer les entreprises opérant au Congo qui ont remis leur rapport, et celles qui ne l’ont pas fait. En outre, cela montrerait clairement les inadéquations des rapports en termes qualitatifs. Enfin, la publication de rapports en parallèle permettant de les comparer et les examiner dans le détail inciterait les entreprises basées au Congo qui sont à la traîne à redoubler d’efforts.
Hélas, depuis que la loi a été promulguée il y a quatre ans, sa mise en œuvre n’a que peu progressé. En mai 2012, le gouvernement a suspendu deux négociants en minerais basés au Nord-Kivu, TTT Mining et Huaying Trading Company, pour cause de non devoir de diligence. Depuis, nous n’avons connaissance d’aucune entreprise dont le gouvernement aurait exigé qu’elle rende des comptes, que ce soit pour des insuffisances au niveau de la soumission de leurs rapports ou pour non-respect de la loi.
Plus récemment, et en réponse à notre dernier rapport intitulé La rivière d’or, le ministre national des Mines a demandé publiquement d’« assainir réellement » le secteur minier artisanal – un geste que nous avons salué. Une équipe d’enquête indépendante a ensuite été envoyée dans le territoire de Shabunda, au Sud-Kivu, pour vérifier nos conclusions, après quoi quatre des personnalités nommées dans notre rapport ont été conduites à Kinshasa pour y être interrogées. Nous n’avons pour l’instant pas pu constater si cette initiative avait donné lieu à des sanctions formelles.
Certaines entreprises basées au Congo ne semblent pas avoir connaissance de la loi congolaise relative au devoir de diligence, tandis que d’autres ne la respectent pas de manière délibérée. Dans un cas comme dans l’autre, la situation est inacceptable. Le directeur de la société Cavichi, basée à Bukavu, connue pour avoir acheté de l’or provenant du territoire de Shabunda, nous a affirmé que « toutes les opérations de notre société se font dans le strict respect de la législation congolaise ». Pourtant, Cavichi ne semble soumettre sa chaîne d’approvisionnement à aucune mesure de diligence raisonnable, sans même parler de publier un rapport annuel.
Quoi qu’il en soit, tant que le gouvernement n’appliquera pas sa propre loi sur le devoir de diligence pour des chaines d’approvisionnement responsables, l’impunité régnera en maître – les entreprises continueront d’opérer en dehors du droit, et leurs minerais ne cesseront pas de financer ou d’encourager les conflits violents ou les atteintes aux droits humains.
Global Witness n’est pas la seule organisation préoccupée par le non-respect par certains États de l’obligation de publier des rapports conformément au Guide OCDE. En mai de cette année, 45 groupes de la société civile ont signé une déclaration pour demander aux États de respecter leur engagement à s’assurer que les entreprises opérant sur ou depuis leurs territoires mettent en œuvre le Guide de l’OCDE.
Il est primordial que le gouvernement congolais fasse appliquer sa loi et veille à ce que les entreprises opérant dans son secteur minier assument l’entière responsabilité de leurs chaînes d’approvisionnement, les gèrent conformément aux normes internationales et présentent chaque année des rapports publics à ce sujet. En outre, le gouvernement devrait de toute urgence prendre les mesures nécessaires pour respecter son engagement à publier les rapports sur l’exercice du devoir de diligence des entreprises. Un non-respect ne peut que nuire aux années d’efforts internationaux et congolais consentis pour éliminer les liens entre les minerais, le conflit et les atteintes aux droits humains. La population congolaise est en droit de bénéficier des minerais qui se trouvent sous son sol, plutôt que de souffrir à cause d’eux.