Le gouvernement devrait enquêter sur cette affaire et protéger tous les défenseurs des droits humains soumis à de tels risques
Les autorités congolaises doivent lancer une enquête rapide, impartiale et approfondie sur l’enlèvement d’un défenseur des droits humains et les mauvais traitements qu’il a subis dans la province du Nord-Kivu vers la fin du mois d’août, a déclaré aujourd’hui une coalition de 36 organisations internationales et congolaises de défense des droits humains. Les autorités doivent condamner publiquement cet acte et identifier les personnes responsables en vue de les traduire en justice, a ajouté la coalition.
Sylvestre Bwira Kyahi, président de la société civile dans le territoire de Masisi, a été enlevé le 24 août par des hommes armés vêtus d’uniformes des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) roulant à bord d’une Jeep privée dans le quartier Ndosho de la ville de Goma, dans la province du Nord-Kivu, selon les informations recueillies par les ONG soussignées. Il a été retrouvé le mardi 30 août près de Sake, à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Goma. Présenté au lendemain de sa réapparition par les autorités provinciales de Goma à la presse et à ses collègues, Bwira était visiblement faible, le visage tuméfié, les bras portant des traces de cordes avec lesquelles il a dit avoir été ligoté pendant sa détention.
« Le climat d’impunité en République démocratique du Congo ne fait que favoriser la commission de nouveaux crimes », a déclaré Ilaria Allegrozzi de Protection International. « L’enlèvement de Sylvestre Bwira et les mauvais traitements qui lui ont été infligés ne représentent que la tentative la plus récente visant à intimider des défenseurs congolais des droits humains. »
Au cours des derniers mois, Bwira avait fait l’objet d’actes d’intimidation et de menaces liés à son activité de défenseur des droits humains. Depuis fin juillet, il vivait dans la clandestinité, suite à la rédaction et à la signature d’une lettre ouverte adressée au Président congolais Joseph Kabila, le 30 juillet, sollicitant le retrait du territoire de Masisi de toutes les unités de l’armée et de la police constituées d’anciens membres de groupes armés récemment intégrés dans l’armée et la police congolaises.
Cette lettre ouverte avait également dénoncé les exactions commises récemment par les troupes du Général Bosco Ntaganda, qui est visé par un mandat d’arrêt international émis par la Cour pénale internationale (CPI). Ntaganda, un ex-commandant du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), un groupe rebelle, est actuellement un général dans l’armée congolaise.
Les groupes de défense des droits humains soussignés ont exprimé leur inquiétude quant à la situation des défenseurs des droits humains au Congo qui ne cesse de se détériorer. Plusieurs meurtres de journalistes et de responsables d’associations de défense des droits humains – dont Bruno Koko Cirambiza, Didace Namujimbo, Serge Maheshe et Pascal Kabungulu Kibembi – restent impunis, essentiellement en raison du fait que les procureurs civils et militaires se sont abstenus à ce jour d’ordonner l’ouverture d’enquêtes vigoureuses et impartiales, et du manque évident de volonté politique à ce sujet.
Les groupes soussignés ont demandé aux autorités congolaises d’agir urgemment afin de traduire en justice toute personne responsable de violations des droits humains, et d’assurer la protection de Bwira ainsi que d’autres défenseurs congolais des droits humains.
La coalition des organisations non-gouvernementales a demandé instamment aux autorités congolaises de :
• Condamner publiquement l’enlèvement de Bwira, et réaffirmer leur engagement à lutter contre l’impunité relative aux violations des droits des défenseurs des droits humains ;
• Fournir des soins médicaux appropriés à Bwira, selon sa demande ;
• Diligenter une enquête rapide, impartiale et approfondie afin de déterminer les causes et les circonstances exactes de son enlèvement, et identifier et traduire en justice les responsables conformément au droit congolais et international ;
• Sanctionner et/ou poursuivre tous les officiels qui ont participé à des actes de torture et des mauvais traitements à l’égard de Bwira, ainsi que les supérieurs hiérarchiques qui ont ordonné ou toléré ces actes ;
• S’assurer que les enquêtes sur cette affaire et d’autres enquêtes de ce type sont confiées à la justice civile, conformément aux dispositions de la nouvelle constitution congolaise ;
• Respecter les principes de la liberté d’expression et d’information, et notamment les articles 23, 24 et 27 de la constitution congolaise qui garantissent respectivement le droit à la liberté d’expression, le droit à l’information, et le droit d’adresser aux organes d’État des pétitions, ainsi que les articles 6, 8(2) et 9(3)(a) de la déclaration des Nations Unies sur la protection des défenseurs des droits humains concernant le droit de soumettre aux organes et institutions de l’État des critiques et propositions visant l’amélioration de leur fonctionnement ;
• Respecter la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui interdit le recours à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements ;
• Procéder d’urgence à la définition et à la mise en œuvre d’une politique nationale de protection des défenseurs des droits humains, conformément aux engagements internationaux pris par la République démocratique du Congo ; et
• Procéder à l’exécution du mandat d’arrêt de la CPI à l’égard du Général Bosco Ntaganda.
D’une manière générale, les organisations appellent des autorités congolaises à mettre un terme à l’impunité pour les auteurs des crimes contre les défenseurs des droits humains. Les autorités gouvernementales doivent assumer leur responsabilité de protéger ces derniers, en garantissant leur intégrité physique et psychologique, conformément aux engagements pris par la RD Congo dans le cadre du droit international.
La coalition demande instamment aussi aux membres de l’Union européenne de surveiller les enquêtes concernant ces affaires, en application des orientations pour la protection des défenseurs des droits humains de l’UE de 2004 et de la stratégie locale de mise en œuvre de ces orientations pour la RD Congo, adoptée le 20 mars par les chefs de missions diplomatiques accrédités à Kinshasa.
Signataires :
ONG internationales :
Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (ACAT) – France ; Amnesty International ; Avocats Sans Frontières; Front Line – fondation internationale pour la protection des défenseurs des droits humains; Global Witness ; Human Rights Watch ; Fédération internationale de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la Torture (FIACAT); Protection International ; l'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'Homme, programme conjoint de la Fédération internationale des Ligues des droits de l'Homme et l’Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT).
ONG congolaises :
Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (ACAT) – Nord Kivu ; Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (ACAT) – Sud Kivu ; Action Globale pour la Promotion Sociale et la Paix (AGPSP) ; Action Sociale pour la Paix et le Développement (ASPD) ; Africa Justice Peace and Development (AJPD) ; Association africaine de défense des droits de l’homme (ASADHO) – Beni ; Association des Jeunes Engagés pour le Développement et la Santé (AJDS) ; Bossam GLDDH ; Campagne Pour la Paix (CPP) ; Centre d’Appui pour le Développement Rural Communautaire (CADERCO) ; Centre de Recherche sur l’Environnement, la Démocratie et les Droits de l’Homme (CREDDHO) ; Centre pour la Paix et les Droits de l’Homme – Peace and Human Rights Center (CPDH-PHRC) ; Collectif des Organisations des Jeunes Solidaires du Congo (COJESKI) ; Fondation Kataliko Actions pour l’Afrique (KAF) – Bukavu ; Fondation Point de Vue des Jeunes Africains pour le Développement (FPJAP) ; Forum des Organisations Nationales Humanitaires et de Développement (FONAHD) – Nord Kivu ; Groupe d’Hommes pour la Lutte Contre les Violences (GHOLVI) ; Haki Za Binadamu Maniema ; La Solidarité pour la Promotion sociale et la Paix (SOPROP) ; Le Groupe de Voix des Sans Voix (GVSV) – Uvira ; Ligue pour la Solidité Congolaise (LSC) ; Observatoire Congolais des Prisons (OCP) ; Programme d’Appui à la Lutte contra la Misère (PAMI) ; Promotion de la Démocratie et Protection des Droits Humains (PDH) ; Solidarité Féminine pour la Paix et le Développement Intégral (SOFEPADI) ; Union d’Actions pour les Initiatives de Développement (UAID) ; Vision Solidaire pour la Défense et la Promotion des Droits de l’Homme (VISODEPDH)
Pour tout renseignement complémentaire, veuillez contacter :
À New York, pour Human Rights Watch, Anneke Van Woudenberg (anglais, français) : +44-77-1166-4960 (portable)
À Bukavu, pour Protection International, Evert Kets (anglais, français): +243-81-0696809
À Kinshasa, pour Avocats Sans Frontières, Aurore Decarnières (français, anglais): +243-81-7420559