Le gouvernement devrait tenir son engagement de démilitariser le secteur minier
L’exécution de civils près de la carrière de cassitérite de Bisié à Walikale, Nord-Kivu, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), le 12 août 2009, est un rappel brutal du rôle clé que joue la richesse minérale du Congo dans le conflit violent qui affecte le pays, affirme ce jour l’organisation de campagne Global Witness.
Au moins 16 personnes auraient été tuées et 45 autres blessées lors d’une attaque lancée contre le village de Mpama, près de la carrière de Bisié, dans les premières heures du 12 août. La plupart des victimes étaient des civils ; deux officiers de police ont également été tués. Les auteurs de ces actes ont pillé biens personnels et argent.
Selon les premières informations, l’attaque aurait pu être perpétrée par un groupe Maï-Maï nouvellement constitué. Lors d’une visite dans la région en août 2009, Global Witness avait appris qu’un nouveau groupe armé d’autodéfense, composé en partie d’anciens membres de la 85ème brigade de l’armée congolaise, était en cours de formation à Walikale dans le but de conserver le contrôle de la cassitérite à Bisié. La 85ème brigade contrôlait la mine jusqu’en mars 2009, avant d’être remplacée par la 1ère brigade. D’autres études sont en cours pour connaître les circonstances exactes de l’attaque.
« La tuerie à Mpama démontre que la richesse minérale peut inciter à la violence et que les mines de l’est du pays sont un point focal pour les activités des groupes armés », a déclaré Patrick Alley, directeur de Global Witness. « Cela souligne la nécessité pour les forces de sécurité congolaises et l’ONU d’en faire davantage pour protéger les civils dans les zones minières. »
Cependant, Global Witness a averti que l’attaque ne devrait pas servir de prétexte pour envoyer un plus grand nombre de soldats dans les mines. « Les forces militaires dans l’est de la DRC devraient être là pour protéger les civils et maintenir la paix, non pas pour piller les richesses minérales », a affirmé Patrick Alley.
L’attaque dont Bisié a fait l’objet est survenue quelques jours seulement après que le gouvernement congolais ait lancé un appel à la démilitarisation du secteur minier, dont Global Witness se félicite par ailleurs. Le 7 août 2009, le Premier ministre Adolphe Muzito, accompagné du ministre des Mines et d’autres hauts fonctionnaires, se sont rendus à Walikale et ont transmis les consignes du Président Joseph Kabila selon lesquelles tous les militaires devaient quitter les sites miniers.
Moins de trois semaines avant la visite du Premier ministre, Global Witness avait publié un rapport intitulé « Face à un fusil, que peut-on faire ? ». Ce rapport décrit la participation considérable de groupes armés et de l’armée congolaise au commerce de minerais, ainsi qu’à des pratiques telles que le travail forcé et l’extorsion systématique à l’encontre des civils.
« Le discours du Premier ministre constitue à ce jour la plus forte directive qui soit quant à l’implication illégale des militaires dans le commerce de minerais », a affirmé Patrick Alley. « Cette initiative favorable pourrait représenter la première étape d’une démarche visant à empêcher l’ensemble des parties belligérantes d’accéder à la richesse minérale. Le gouvernement devrait désormais veiller à tenir son engagement sans plus tarder. »
Global Witness a souligné combien il était important de mettre un terme à l’impunité qui protège les membres de l’armée impliqués dans le commerce de minerais. « Non seulement les militaires devraient être retirés de tous les sites miniers, mais les officiers militaires qui ont participé au commerce illicite de minerais ou qui l’ont autorisé devraient être traduits en justice », a ajouté Patrick Alley.
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Le rapport de Global Witness « Face à un fusil, que peut-on faire ? » peut être consulté ici.
Synthèse des conclusions de la visite de Global Witness dans l’est de la RDC, août 2009
Le contrôle militaire de la carrière de Bisié se poursuit depuis le redéploiement de la 85ème brigade
Entre 2006 et mars 2009, la carrière de Bisié, qui représente environ les trois quarts de la production de cassitérite de toute la région, était sous le contrôle de la 85ème brigade de l’armée congolaise dirigée par le colonel Sammy Matumo. La 85ème brigade a été retirée de Bisié en mars 2009. Global Witness estime que le départ de la 85ème brigade aurait pu annoncer un revirement important de la situation à Bisié mais que ceux qui ont pris la relève du contrôle de la région ne font que reproduire bon nombre des mêmes pratiques. Global Witness a appris tout dernièrement que la 1ère brigade, qui a remplacé la 85ème brigade, continue de profiter du commerce de minerais. Des militaires de la 1ère brigade sont physiquement présents dans la carrière et extorquent de la cassitérite et des « taxes » aux mineurs à des barrages routiers situés le long de la route menant à Bisié.
La 1ère brigade se compose en partie d’anciens membres du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), un groupe rebelle qui s’est livré à des batailles acharnées contre l’armée congolaise jusqu’en janvier 2009, moment où il a annoncé qu’il s’alliait au gouvernement. Un processus d’« intégration accélérée » d’anciens combattants du CNDP à l’armée congolaise a conduit au déploiement de brigades dirigées par d’anciens commandants du CNDP dans les régions riches en minerais du Nord et du Sud-Kivu.
La 1ère brigade est dirigée par le colonel Antoine Manzi, ancien commandant de la CNDP. Certaines sources à Walikale ont informé Global Witness du fait que Manzi et d’autres membres de la 1ère brigade, dont le colonel Hassan Bin Mashabi (un autre ancien membre du CNDP), profitaient de l’exploitation de la cassitérite à Bisié.
En outre, des éléments fidèles au colonel Sammy Matumo sont restés dans la région depuis le départ de la 85ème brigade et continueraient de soutirer leur part de la production de cassitérite de Bisié. Certains d’entre eux feraient partie du groupe armé responsable de l’attaque du 12 août.
Poursuite de l’implication de hauts officiers militaires dans le commerce de minerais en 2009
Des officiers militaires haut placés, y compris des commandants de la 8ème région militaire du Nord-Kivu, sont toujours impliqués dans le commerce illégal de minerais. Parmi eux figure le colonel Étienne Bindu, promu en deuxième place dans la chaîne de commandement de la 8ème région militaire en juillet 2009. Global Witness avait déjà dénoncé le rôle de Bindu dans l’exploitation des minerais à Walikale, notamment à Bisié. En août 2009, de nombreuses sources ont confirmé que Bindu continue de profiter directement de ce commerce, même après le départ de la 85ème brigade qu’il avait protégée pendant les trois années durant lesquelles Bisié se trouvait sous le contrôle de la brigade.
Des représentants de Global Witness ont rencontré le colonel Bindu à Goma et lui ont fait part de leurs conclusions. Celui-ci a nié catégoriquement avoir jamais été impliqué dans le commerce de minerais et a affirmé ne jamais avoir mis les pieds à Bisié.
Poursuite de l’implication des militaires dans le secteur minier au Sud-Kivu
Lors de leur dernière visite, les enquêteurs de Global Witness ont également découvert que l’implication des militaires dans le secteur minier reste importante dans de nombreuses régions du Sud-Kivu, par exemple dans les carrières de cassitérite et de wolframite de Mushangi/Lutunkulu à Walungu, et dans différents lieux de Mwenga.
Certains des militaires impliqués dans le secteur minier sont des unités de la 10ème région militaire ; par exemple, des membres de la 10ème région militaire maintiennent le contrôle de la mine d’or de Mukungwe (Walungu) depuis mars 2008. D’autres sont des unités de l’opération Kimia 2, opération militaire soutenue par l’ONU pour lutter contre les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR) – groupe armé essentiellement composé de Hutus rwandais, dont certains membres auraient participé au génocide de 1994 au Rwanda.
Des groupes d’opposition armés soutenus grâce au commerce de minerais
Des groupes d’opposition armés continuent de se maintenir grâce au commerce de minerais dans certaines régions de l’est de la RDC. Les FDLR, ainsi que de plus petits groupes armés tels que les Forces républicaines fédéralistes (FRF) et les Maï-Maï Yakutumba, ont maintenu le contrôle de zones retirées de Fizi, dans le sud du Sud-Kivu, une zone riche en or, en cassitérite et en autres minerais, où l’opération Kimia 2 n’a pas encore été complètement déployée.
Le déploiement de l’opération Kimia 2 semble avoir momentanément perturbé les activités minières des FDLR dans certaines autres zones, mais on ignore encore son effet à plus long terme. Les FDLR ont abandonné certaines mines dans des zones de Mwenga (Sud-Kivu) en prévision du déploiement de l’opération Kimia 2, pour finalement poursuivre leurs activités minières dans des zones adjacentes. Les FDLR sont devenues de plus en plus violentes à l’égard de la population civile depuis le lancement de l’opération Kimia 2.
Dans d’autres cas, par exemple dans certaines zones de Mwenga et de Kalehe, des unités de l’armée congolaise participant à l’opération Kimia 2 ont commencé à s’emparer de sites miniers après en avoir délogé les FDLR.
Un certain progrès de la part des autorités gouvernementales et des commerçants en minerais
Avant le discours tenu par le Premier ministre le 7 août à Walikale, le ministère des Mines avait élaboré un projet visant à remettre de l’ordre dans le secteur minier, reposant notamment sur la création de centres de négoce situés à proximité des sites miniers, afin de permettre une meilleure surveillance des activités commerciales dans les zones affectées par le conflit. Le ministre provincial des Mines du Sud-Kivu a également introduit de nouvelles procédures qui contraignent les commerçants en minerais à fournir des documents précis sur leur chaîne d’approvisionnement. Global Witness note avec satisfaction ces initiatives, mais estime que leur réussite dépendra d’un engagement politique soutenu de la part de tous les acteurs impliqués.
Global Witness a également rencontré des représentants des comptoirs à Goma et à Bukavu qui exportent des minerais vers des entreprises européennes et asiatiques, entre autres. Certains d’entre eux ont affirmé désormais soumettre leur chaîne d’approvisionnement à des contrôles plus stricts et ne plus acheter de minerais provenant de zones contrôlées par des groupes armés.
Global Witness estime que les comptoirs devraient catégoriquement refuser d’acheter des minerais dont on sait qu’ils bénéficient à des groupes armés ou à des unités militaires, tels que ceux qui sont produits à Bisié ou à Mukungwe. De telles mesures permettraient d’exclure ces groupes de la chaîne d’approvisionnement et donc d’améliorer la réputation des comptoirs et de restaurer la confiance du marché international.