Des hauts fonctionnaires impliqués dans le scandale de la vente du pétrole congolais
Un haut fonctionnaire de la République du Congo s’est livré secrètement à des ventes de pétrole à prix réduit à des sociétés privées dont il est lui-même le propriétaire, souligne une nouvelle communication de Global Witness.1 Le scandale qui entoure Denis Gokana, responsable de la compagnie pétrolière d’État (la Société nationale des pétroles du Congo ou SNPC), soulève des questions inquiétantes sur la sincérité des promesses du gouvernement quant à une réforme du secteur pétrolier corrompu et mal géré, alors même que ce pays africain pauvre réclame à la communauté internationale un allègement de sa dette.
Le document « L’énigme du Sphynx : qu’est-il advenu de l’argent du pétrole congolais ? »2 décrit la manière dont, depuis 2002, des sociétés appartenant à Gokana ont acheté du pétrole à la SNPC pour un montant au moins égal à 472 millions de dollars US à des prix considérablement inférieurs au prix du marché, pour ensuite le revendre à profit à des négociateurs indépendants.
Selon la décision récente d’un tribunal britannique,3 Sphynx UK, Sphynx Bermuda et l’Africa Oil and Gas Corporation (AOGC) ont été établis par Gokana en 2002 et en 2003 alors que celui-ci occupait le poste de conseiller spécial du Président congolais, Denis Sassou Nguesso.4 Ces sociétés ont continué d’acheter du pétrole à la SNPC jusqu’en 2005, après la promotion de Gokana au poste de responsable de la compagnie, contrairement aux propres statuts de la SNPC. Denis Christel Sassou Nguesso, le fils du Président congolais, a également supervisé les transactions en sa qualité de responsable de la branche commerciale de la SNPC.
Global Witness calcule que la perte de revenus potentiels subie par le trésor congolais en raison des ventes effectuées à Sphynx à des prix inférieurs au prix du marché représente environ 20 millions de dollars US pour l’exercice 2003. Par ailleurs, sur une seule vente effectuée en 2005, une autre société de Gokana a gagné plus de 3 millions de dollars. Les bénéfices ont été virés dans les comptes de l’AOGC, une société enregistrée en République du Congo, dont les relevés bancaires n’ont jamais été divulgués. Les tribunaux britanniques ont jugé que ce « voile corporatif » servait principalement à cacher les actifs aux créanciers du Congo, mais rien ne permet de penser que ces bénéfices aient été transférés par la suite dans les caisses du trésor congolais.
Il y a quelques mois, l’AOGC s’est également vu octroyer une participation de 10 % dans une concession pétrolière congolaise, Marine XI, dans le cadre d’un processus d’appel d’offres supervisé par la SNPC et dirigé par Gokana. Il est prévu que le bloc sera exploité par SOCO International, une société enregistrée au Royaume-Uni, mais le contrat est contesté par une autre société, Energem, qui a signé un contrat relatif à l’exploitation du bloc avant l’arrivée de Gokana à son poste à la SNPC.
Le République du Congo illustre clairement combien une mauvaise gestion des revenus pétroliers, en plus d’empêcher les pays de s’enrichir, peut instaurer un environnement où règnent corruption et instabilité. Bien que les recettes du pétrole aient rapporté un milliard de dollars en 2004, la République du Congo reste un des pays les plus pauvres et les plus endettés du monde. Tout le problème repose sur la gestion opaque des revenus pétroliers, qui représentent plus de 70 % du budget du Congo.5 Le gouvernement a promis aux bailleurs de fonds d’introduire des réformes propices à la transparence financière en échange d’un allègement de la dette, et il a publié une grande quantité de données sur les revenus pétroliers.6
Cependant, ce dernier scandale révèle que le gouvernement congolais n’a pas mis en œuvre les recommandations des auditeurs indépendants selon lesquelles la compagnie pétrolière d’État doit davantage rendre compte de la gestion de la Société nationale des pétroles du Congo (SNPC). Le gouvernement se doit désormais de mener une enquête publique sur ce conflit d’intérêts flagrant et lancer un audit indépendant de toutes les opérations commerciales offshore.
Les bailleurs de fonds internationaux ne devraient accorder aucun allègement de la dette à la République du Congo tant que les résultats de cette enquête ne seront pas connus. En tant que plus gros créancier bilatéral du pays et qu’auteur de la déclaration du G8 « Lutter contre la corruption et améliorer la transparence », la France devrait montrer la voie à suivre pour promouvoir la transparence afin de veiller à ce que la richesse pétrolière du Congo profite à toute sa population.
Pour tout renseignement complémentaire, veuillez contacter Sarah Wykes (+44 207 561 6362 ou +44 7971 06 44 33) ou Gavin Hayman (+44 207 562 6361 ou +44 784 305 8756).
Notes de bas de page
1. Global Witness enquête sur les liens existant entre l’exploitation des ressources naturelles et le financement du conflit et de la corruption. L’organisation adopte une démarche non partisane dans tous les pays dans lesquels elle exerce ses activités. Global Witness a été retenu comme candidat au prix Nobel de la Paix 2003 pour son travail de grande importance sur les « diamants du conflit » et a remporté en mai 2005 le prix de la Fondation Gleitsman pour son activisme international.
2. Global Witness, 13 décembre 2005, « L’énigme du Sphynx : qu’est-il advenu de l’argent du pétrole congolais ? ». Voir www.globalwitness.org
3. Voir le jugement approuvé par le Juge Cooke entre Kensington International et la République du Congo, le 28 novembre 2005, High Court of Justice, Queens Bench Division, Commercial Court, Royal Court of Justice, Strand, Londres, le 28 novembre 2005. Numéro de dossier FOLIO 2002 NOS 1088, 1281, 1282 et 1357.
4. Le CV de Denis Gokana peut être consulté sur le site Web de la SNPC à l’adresse www.snpc-group.com
5. Pour obtenir des informations de fond sur la République du Congo, consulter le rapport de l’article IV du FMI sur la République du Congo, 10 janvier 2005 ; http://www.imf.org/external/pubs/cat/longres.cfm?sk=18515.0
6. La SNPC, qui a été tenue de présenter différents niveaux d’information financière, publie désormais des informations financières et transactionnelles à l’adresse http://www.mefb-cg.org/actualites/page16.htm. Cependant, les informations publiées font apparaître des écarts préoccupants. Les certifications trimestrielles des revenus pétroliers réalisées par un cabinet d’audit indépendant (KPMG) semblent souligner qu’en réalité, les revenus pétroliers représentent un montant s’élevant à environ 300 millions de dollars de plus que ce que ne déclare le ministère des Finances pour l’exercice 2004. En résumé, environ un tiers du pétrole congolais ne serait pas pris en compte dans le budget. Voir Global Witness « Réformes sur la transparence en République du Congo: quels critères d’évaluation par le FMI ? » et « Bilan des réformes de transparence dans la République du Congo », 15 août 2005, disponibles sur http://www.globalwitness.org/press_releases/display2.php?id=303http://www.globalwitness.org/press_releases/display2.php?id=303
Communiqué de presse / 13 Décembre 2005