Briefing | 29 Mai 2018

Pas à vendre: La forêt du Congo doit être protégée du secteur des énergies fossiles

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La plus vaste forêt humide tropicale protégée d’Afrique, le parc national de la Salonga, risque de faire l’objet d’une exploration pétrolière suite à un accord conclu dans le secret avec une entreprise opaque.

Comme nous l’avons révélé précédemment, le gouvernement de la République démocratique du Congo tente actuellement de reclasser certaines parties de deux sites classés au patrimoine mondial de l’UNESCO, à savoir les parcs nationaux de la Salonga et des Virunga, afin que des travaux d’exploration pétrolière puissent y être menés. Notre nouvelle enquête met en évidence les accords conclus dans le secret par une société et sa structure de propriété opaque. Cette société, la COMICO, qui pourrait ainsi bénéficier des tentatives déployées par le gouvernement pour ouvrir la zone à des activités pétrolières, s’est vu attribuer un bloc pétrolier empiétant en partie sur le parc national de la Salonga.

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Nous y montrons que parmi les acteurs impliqués dans le contrat d’achat d’origine de ces droits pétroliers controversés figurent un individu jouissant de relations dans le monde politique, un ex-condamné pour fraude, un homme d’affaires mêlé au scandale « Lavage-Express » au Brésil et de mystérieuses sociétés-écrans.

En outre, les détails du contrat restent inconnus, ce qui est contraire à la loi congolaise sur les hydrocarbures. L’opacité qui caractérise à la fois la compagnie et les modalités de l’accord est jugée très préoccupante.

La perspective d’activités pétrolières dans la Salonga fait peser un danger imminent sur son écosystème fragile et critique, et le manque de transparence est d’autant plus inquiétant que le pays est en proie à une crise politique.

La deuxième plus vaste forêt tropicale au monde menacée

L’un des trois blocs attribués par le gouvernement à la COMICO empiète sur le parc national de la Salonga, la plus vaste forêt humide tropicale du monde, classée depuis 1984 au patrimoine mondial de l’UNESCO. Ce parc abrite jusqu’à 40 % de la population mondiale de bonobos et de nombreuses autres espèces rares et menacées telles que l’éléphant d’Afrique, le paon du Congo, l’hippopotame et le pangolin géant.

Bonobo with child

Le parc national de la Salonga abrite jusqu’à 40 % de la population mondiale de bonobos. © Alamy  

Situé en plein cœur du Bassin du Congo, le parc national de la Salonga s’étend sur plus de 36 000 kilomètres carrés, soit plus que la taille de la Belgique. De par sa superficie, il joue un rôle fondamental dans l’atténuation du changement climatique et la séquestration du carbone.

Le Comité du patrimoine mondial de l’UNESCO indique sans équivoque que toute forme d’exploration ou d’exploitation minière, pétrolière et gazière est incompatible avec le statut de site du patrimoine mondial. Or, si même le statut de site classé au patrimoine mondial ne parvient pas à mettre un écosystème fragile à l’abri d’activités pétrolières, on comprend que le secteur des énergies fossiles puisse avoir l’impression que la planète entière est à vendre, avec des répercussions potentiellement catastrophiques sur l’environnement.

Oil Blocks over Salonga French

Un accord qui relève du plus grand secret

Outre les risques environnementaux associés à cet accord, il est alarmant que nous ne sachions pas exactement qui se trouve derrière la COMICO ni quelles sont les modalités du contrat.

À sa création en 2006, deux hommes contrôlaient la COMICO : Montfort Konzi, ancien homme politique et d’affaires congolais, et ancien membre du cabinet du parti politique de Jean-Pierre Bemba, le Mouvement de Libération du Congo, et Idalécio de Oliveira, homme d’affaires portugais controversé lié au scandale « Lavage-Express » au Brésil.

Différentes sociétés enregistrées dans des juridictions opaques semblent avoir obtenu des participations dans la COMICO juste au moment où celle-ci était en train d’acquérir des permis pétroliers en RDC. Nous avons réussi à mettre en évidence des liens entre deux de ces entreprises et Norman Leighton, ancien associé d’Oliveira, qui par le passé a été condamné pour avoir pris part à un montage financier frauduleux.

Malgré toutes nos tentatives, nous n’avons pas réussi à identifier la propriété de l’une de ces sociétés offshore, qui détenait 1,5 % des parts de la COMICO en 2007. Le registre du commerce mauricien indique que Shumba a désormais cessé ses activités.

Cette modification ainsi apportée à la structure de la COMICO, à savoir l’acquisition d’actions par des sociétés offshore opaques au moment où la COMICO obtenait son contrat, suscite de sérieuses préoccupations, de même que la présence d’un ancien politicien congolais, Konzi, parmi ses anciens propriétaires.

Faute d’une publication exhaustive des propriétaires de ces sociétés offshore, il nous est difficile de savoir qui bénéficie ou a bénéficié de cette compagnie qui détient désormais des droits d’exploration pétrolière controversés dans le parc national de la Salonga. Contactée par Global Witness, l’équipe juridique des actionnaires de la COMICO que nous avons pu identifier a déclaré que la propriété de la COMICO était tenue confidentielle pour « des raisons commerciales légitimes n’ayant aucun rapport avec des pots-de-vin, des actes de corruption ou tout autre délit financier », ajoutant qu’« aucun des propriétaires réels n’a été condamné pour pots-de-vin, corruption, fraude ou un autre délit financier ».

L’opacité des propriétaires de la compagnie va de pair avec le manque de transparence qui caractérise le contrat de la COMICO. 

Financial centre and motor boats in marina, St Peter Port, Guernsey.

40 % des parts de COMICO sont détenues par une entité immatriculée à Guernesey, Centrale Oil & Gas. © Alamy  

Bien que les Contrats de partage de la production (CPP) de la COMICO, autrement dit son contrat, aient été signés il y a plus de dix ans, la compagnie a dû attendre la signature d’une ordonnance par le Président congolais Joseph Kabila en février de cette année pour pouvoir démarrer ses travaux d’exploration.

La loi congolaise sur les hydrocarbures de 2015 stipule que les nouveaux contrats devraient être publiés dans les 60 jours suivant leur approbation. Cependant, 60 jours après la signature par le Président Kabila de l’ordonnance approuvant le contrat de la COMICO, rien n’indiquait que ce contrat avait été rendu public – et cela restait le cas au 29 mai 2018.

Les avocats de la COMICO ont affirmé à Global Witness qu’une prime de signature de 3 millions de dollars US avait été versée en 2007, mais qu’« aucun autre paiement, direct ou indirect, n’a été adressé au gouvernement de la RDC ou à ses agents ou représentants ». Cependant, le contrat n’ayant pas été publié, il est impossible d’en évaluer les modalités, de déterminer s’il bénéficie à la population congolaise, et de savoir si des paiements potentiellement conséquents ont été versés dans les caisses du gouvernement, tels que des primes de signature (paiement initial qu’une entreprise adresse à un gouvernement à la signature d’un contrat).

Une transparence des plus urgentes

L’histoire du Congo a maintes fois été marquée par la présence d’entreprises et d’élites politiques désireuses de profiter d’une crise pour exploiter les ressources naturelles du pays à huis clos, aux dépens de la population et de l’habitat naturel. Il est aujourd’hui crucial de garantir la transparence des contrats conclus dans le secteur des ressources naturelles de la RDC.

La République démocratique du Congo reste l’un des pays les plus pauvres de la planète, se classant 176ème sur 187 pays d’après le dernier Indice de développement humain calculé par l’ONU. L’année dernière, on y a enregistré le nombre le plus élevé de personnes déplacées internes d’Afrique, près de 2,2 millions de personnes ayant été forcées de quitter leur domicile. En outre, le pays est actuellement en proie à une épidémie d’Ébola et le risque de famine et de conflit est imminent.

Dans un contexte aussi difficile, et l’économie du pays étant quasiment tributaire du secteur des ressources naturelles en termes de revenus d’exportation, il est crucial que les contrats conclus dans ce secteur soient transparents et que les bénéfices qui en sont retirés profitent à la population congolaise.

Par ailleurs, le climat politique en RDC est actuellement très tendu, l’élection présidentielle prévue pour novembre 2016 ayant été retardée à plusieurs reprises, provoquant un mouvement de contestation généralisé. Des conflits ont de nouveau éclaté à travers le pays, et d’autres sont même apparus dans une région jusque-là pacifique. Le Président Kabila s’est maintenu au pouvoir au-delà des deux mandats autorisés par la constitution congolaise, qu’il n’a d’ailleurs pas exclu de réviser afin de supprimer la limitation du nombre de mandats et, ainsi, de pouvoir se présenter une troisième fois.

La crise politique qui sévit en RDC est susceptible d’empirer à l’approche de la nouvelle échéance électorale fixée au mois de décembre 2018. Dans un tel climat, l’ouverture du parc national de la Salonga National à l’exploration pétrolière suggère que le régime de Kabila pourrait chercher à extraire des revenus supplémentaires à partir des ressources naturelles du pays en ces temps d’instabilité – peut-être afin d’amasser un trésor de guerre financier à l’approche des élections.

Nos principales recommandations

À la lumière de notre enquête [hyperlink to download], nous appelons les acteurs pertinents à prendre les mesures suivantes :

  • La COMICO devrait s’engager à rester en dehors du parc national de la Salonga et à divulguer la liste complète de ses propriétaires réels, à savoir l’identité de tous ses propriétaires actuels et depuis 2006.
  • Le gouvernement congolais devrait publier le contrat qu’il a conclu avec la COMICO, conformément à la loi sur les hydrocarbures, ainsi que tous les paiements que la compagnie a adressés au gouvernement congolais.
  • Les gouvernements d’autres États devraient cesser d’attribuer des contrats relatifs à l’exploitation des ressources naturelles dans des écosystèmes fragiles, et l’intégrité des sites classés au patrimoine mondial de l’UNESCO devrait être respectée et préservée.
  • La RDC devrait annuler tous les blocs pétroliers qui empiètent sur ou sont adjacents à des zones protégées et des parcs nationaux.

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