Article | 10 Avril 2019

Le condo de luxe Trump: une affaire d'État congolaise

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Comment la famille présidentielle congolaise a acheté un appartement Trump new-yorkais avec de l'argent entaché

La fille du dirigeant kleptocrate du Congo Brazzaville a utilisé des millions de dollars provenant de fonds publics apparemment volés pour acheter un appartement de luxe dans le complexe résidentiel et hôtelier New Yorkais de Trump (Trump International Hotel and Tower), une nouvelle enquête menée par Global Witness dévoile. La Trump Organization a négocié l’achat de l’appartement et en a profité.

Faites connaissance avec la famille Sassou-Nguesso, dirigeants de la République du Congo, l'un des plus anciens régimes autoritaires au monde. Au pouvoir depuis près de quatre décennies, la famille Sassou-Nguesso possède des propriétés valant des millions dans le monde entier et a été accusée de se servir de sa position de pouvoir pour s'enrichir, une accusation également adressée par certains à l'actuelle famille présidentielle des États-Unis.

Mais il ne s'agit pas du seul point commun entre les Trump et les Sassou-Nguesso. La nouvelle enquête de Global Witness révèle que la fille du président du Congo semble avoir pioché presque 20 millions de dollars dans les fonds publics et blanchi une partie via l'achat d'une propriété américaine, qui n'est autre qu'un luxueux appartement Trump de Manhattan, d'une valeur de plus de 7 millions de dollars. Il ne s'agit là que d'autres éléments de preuve indiquant que certains des politiciens et hommes d'affaires les plus notoires au monde planquent leur argent en l’investissant dans des propriétés « Trump ».

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Claudia Sassou-Nguesso (à gauche), responsable de la communication présidentielle et fille du président du Congo, est au cœur du plan supposé de blanchiment d’argent. © GUY GERVAIS KITINA/AFP/Getty Images

Le président américain se vante d'avoir gagné sa fortune grâce à son nom et à une base de clients enthousiastes aux quatre coins du globe. Dans une multitude de pays, « Trump » s'inscrit en lettres gigantesques sur des façades de gratte-ciel. Mais ce qui autrefois fut considéré comme un symbole de luxe bravache attire désormais les manifestations et les investigations comme la foudre.

Néanmoins, les propriétés, les hôtels et les appartements associés au nom Trump sont une source de revenu pour la Trump Organization, et finalement pour Trump lui-même, que ce soit par le biais de ventes, de loyers, de contrats de licence ou de frais de gestion. Une myriade de questions vise la source des larges sommes investies dans des propriétés Trump. Le New Yorker a récemment décrit plusieurs des transactions immobilières de Trump comme présentant des signes « de possibles blanchiments d'argent, fraudes fiscales, violations de sanctions et autres délits financiers ».

L'un des gratte-ciel Trump les plus célèbres est le vertigineux immeuble abritant un hôtel et des appartements et dominant Central Park, à Manhattan : le Trump International Hotel & Tower, situé au 1 Central Park West (Trump International). Trump l'a lui-même décrit comme le « fleuron » de ses hôtels. Depuis la fin des années 1990, plus de 150 appartements privés ont été vendus à des particuliers et la société de Trump a vendu 176 unités louées comme chambres d'hôtel. Même vendus, ces appartements et unités ont continué à rapporter de l'argent aux sociétés dirigées par Trump jusqu'à son élection à la présidence américaine.

Nous allons vous raconter ici l'histoire de l'appartement 32G du Trump International et comment la fille du président du Congo, Claudia Sassou-Nguesso, s'est apparemment servie de fonds publics volés pour l'acheter lors de l'été 2014. Parmi les protagonistes de ce récit, vous rencontrerez un célèbre intermédiaire portugais, un cabinet juridique américain de renommée mondiale, un réseau complexe de mystérieuses entreprises se déployant sur plusieurs juridictions et une banque ayant désormais fait faillite. Notre histoire pose également de sérieuses questions sur le rôle joué par la Trump Organization dans une affaire soupçonnée de blanchiment d’argent ?

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Un appartement de haut standing au cœur de Manhattan

En 2017, Micael Pereira, journaliste portugais, commence à poser des questions sur le propriétaire d'un appartement du Trump International. D'après les informations dont il dispose, l'unité 32G a été achetée en juillet 2014 par José Veiga, homme d'affaires et ancien directeur du Benfica, célèbre club de football. Mais vers le milieu des années 2010, Veiga devient connu pour ses interventions dans les affaires du président congolais.

Discrètement, le Congo s'est élevé au rang de quatrième plus gros producteur de pétrole de l'Afrique subsaharienne, touchant des revenus colossaux grâce à son or noir offshore. Le pays est cependant rongé par la corruption et l'incurie, et figure invariablement en mauvaise position dans les indicateurs de développement malgré ses richesses pétrolières.

Denis Sassou-Nguesso, quatrième leader autoritaire au plus long état de service dans le monde, dirige le Congo. Grâce à la corruption, en général autour d'accords pétroliers mais aussi dans le cadre de projets d'infrastructure et autres passations de marchés, la famille du président Sassou-Nguesso a pu s'adonner à de fastueuses dépenses. Depuis 2010, suite à une plainte pénale déposée par des organisations non gouvernementales françaises (ONG), les procureurs français poursuivent les biens de la famille au motif d'une acquisition par détournement de fonds publics et blanchiment d'argent. L'affaire, dite des « biens mal acquis », est toujours en cours.

Lors des investigations, les enquêteurs français ont découvert que le président Sassou-Nguesso et sa famille ont dépensé 67,6 millions de dollars (60 millions d'euros) en produits de luxe et biens immobiliers en France. Moult anecdotes illustrent ces folles dépenses : selon certaines sources, le président aurait dépensé plus d'un million d'euros en chemises et costumes dans des boutiques de luxe parisiennes. Par ailleurs, le journal français Libération cite un ancien collaborateur du personnel présidentiel déclarant que le fils du président « change de chemise trois ou quatre fois par jour, se vante de ne jamais les laver et de s'en servir comme de Kleenex ».

Dans un rapport de 2017, l'ONG suisse Public Eye a démontré comment, à partir de 2011, Veiga a agi comme un représentant au Congo de l'entreprise brésilienne Asperbras. D'après Public Eye, ce rôle a permis à Veiga de profiter de ses relations étroites avec les Sassou-Nguesso pour conclure des contrats surévalués avec le gouvernement congolais. Au total, Asperbras a bénéficié au Congo de contrats équivalant à environ 1,5 milliards de dollars. L'accord entre Asperbras et Veiga aurait fait bénéficier ce dernier d'une part de 3 % sur la valeur totale des contrats.

Compte tenu de la réputation de corruption du gouvernement congolais, les autorités portugaises se sont interrogées sur les affaires de Veiga dans le pays. Elles l'ont arrêté début 2016, invoquant son apparent implication dans le blanchiment d'argent et la corruption internationale au Congo. Il a été relâché cinq mois plus tard. L'enquête est toujours en cours. Aucune accusation n'a été retenue jusqu'à présent.

Dans ce contexte, les médias portugais ont naturellement montré de l'intérêt lorsque le nom de Veiga s'est retrouvé lié à l'appartement du Trump International. Pereira, le journaliste couvrant l'histoire en 2017, a contacté Veiga afin de recueillir ses commentaires. Veiga n'a pas hésité à dire que l'appartement lui appartenait.

L'appartement en question appartient à une société dont je suis actionnaire. L'acquisition réalisée par cette société a été financée par mes propres moyens, dans une affaire n'impliquant aucune tierce partie, à savoir la famille du président du Congo. - José Veiga répondant au journaliste portugais Micael Pereira en 2017

Ceci est un mensonge.

D'après la nouvelle enquête de Global Witness, une société appartenant à Claudia Sassou-Nguesso, député du parlement congolais, responsable de la communication présidentielle et la fille du président du Congo, Denis Sassou-Nguesso, a utilisé des millions de dollars provenant de fonds publics pour l’achat de l’appartement.

Il est peu probable que les salaires des fonctionnaires au Congo puissent financer l’achat de ce type de propriété de luxe. De solides arguments laissent penser que ces fonds ont été volés au trésor public congolais. Dans ce contrat, Veiga a simplement servi d'homme de paille à Claudia Sassou-Nguesso. 

Une opération de blanchiment d'argent ?

En 2007, le président Lula, ancien chef d’État du Brésil, ainsi que des hommes d'affaires brésiliens ont participé à un séminaire au Congo visant à promouvoir les possibilités d'investissements de chaque pays. À cette occasion, les deux présidents ont passé un accord : la dette du Congo serait annulée en échange de contrats d'infrastructure pour des sociétés brésiliennes.

Des représentants d'Asperbras, société fondée dans une petite ville de la campagne brésilienne, Penápolis, y ont vu une occasion en or de lancer des activités au Congo. Jusque-là, la société s'était spécialisée dans la fabrication de tuyaux et raccords en PVC, destinés à l'irrigation agricole au Brésil. L'accord entre le Brésil et le Congo donnerait à Asperbras l'opportunité d'élargir ses horizons et ses domaines d'expertise, mais la société aurait alors besoin d'un agent local facilitant ses affaires avec le gouvernement congolais. Asperbras s'est donc tournée vers Veiga.

Asperbras a déclaré à Global Witness que Veiga « était la meilleure option disponible » car il parlait couramment le français, avait des contacts dans le pays et disposait des connaissances nécessaires pour développer les activités d’Asperbras au Congo. L’entreprise a dit que ses relations avec Veiga s’agissaient en tant qu'intermédiaire commercial au Congo. Il « n’a jamais été actionnaire, administrateur ou représentant d’Asperbras ».

Grâce à Veiga, Asperbras a remporté en seulement quelques années un large éventail de contrats auprès de l'État congolais : cartographie géologique, construction d'un parc industriel, excavation de 4 000 puits de forage hydrauliques et construction de 12 hôpitaux. Concernant les hôpitaux, la société a déclaré qu'il s'agissait « du plus important projet sanitaire public du continent africain ». 

Le travail accompli par Asperbras améliore la vie de millions de citoyens congolais - Vidéo promotionnelle d'Asperbras

Cependant, Asperbras a facturé au Congo des prix gonflés, d'après l'hebdomadaire français Le Canard Enchaîné. Le journal a découvert que le contrat de l'étude géologique signé entre Asperbras et le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM), un organisme public français, valait dix fois plus qu'un travail similaire déjà exécuté par le BRGM. Le contrat de trous de forage de la société était jusqu'à sept fois plus onéreux que des contrats du même type, le journal a rapporté.

De tels contrats apparemment plus que surévalués passés avec l'État doivent déclencher la sonnette d'alarme, parce qu'ils signalent de la corruption : dans le monde entier, la corruption s'insinue dans les marchés publics, car une passation fixe peut entraîner un partage de fonds publics excessif entre les fonctionnaires corrompus et les entrepreneurs cherchant à conclure l'accord.

En réponse aux questions écrites de Global Witness, Asperbras a déclaré ne pas pouvoir commenter les frais facturés par le BRGM pour ses services parce que les deux sociétés sont indépendantes. Asperbras a dit qu'il n’était pas correct de comparer des projets entre des pays différents car au Congo les travaux étaient d'une plus grande envergure, ayant été effectués dans tout le pays. Asperbras a complètement réfuté toute allégation de contrats gonflés et d'irrégularités dans leurs contrats avec le gouvernement Congolais.

Pour au moins un des contrats d'Asperbras, l'argent s'est écoulé du trésor public congolais vers une filiale d'Asperbras. Ces fonds ont en partie fini par parvenir à la société de Claudia Sassou-Nguesso, puis ont finalement permis d'acheter l'appartement du Trump International.

Des relevés bancaires et des contrats commerciaux examinés par Global Witness montrent en détail le parcours sinueux des fonds entre le Congo et le Delaware, les Îles Vierges britanniques et Chypre. Pour finir, une société écran basée à New York, créée juste avant l'achat, a conclu la transaction immobilière. 

Tout d'abord, Asperbras a reçu le paiement du trésor public congolais. Les documents bancaires d'Asperbras LLC (la filiale Asperbras dans le Delaware) indiquent qu'elle a reçu le 28 novembre 2013 une somme de 675 millions de dollars (491,1 millions d'euros) de la part de Dgt Services Virement Congo Brazzaville. L'expéditeur était un département du Ministère congolais des finances et du budget, chargé de gérer le trésor public. 

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Président de la République du Congo, Denis Sassou-Nguesso, est l'un des plus anciens dirigeants autoritaires au monde. © JEWEL SAMAD/AFP/Getty Images

Le trésor congolais a versé l'argent sur le compte d'Asperbras LLC chez Banco Espírito Santo, une banque ayant aujourd'hui fait faillite après une période « de mauvaise gestion désastreuse » qui concorde avec les dates de ces transactions. Global Witness ne suggère en rien que la banque faisait partie d'un éventuel plan de blanchiment d'argent. D'après certains documents bancaires, Asperbras LLC ne possédait que quelques milliers de dollars sur ce compte, jusqu'à l'arrivée du gros versement en provenance du Congo.

Asperbras LLC a alors dû trouver un prétexte pour déplacer ces fonds vers d'autres sociétés. Le 11 décembre 2013, moins de deux semaines après que Asperbras LLC a reçu plus de la moitié d'un milliard de dollars de la part du trésor congolais, une seconde filiale Asperbras basée dans les Îles Vierges britanniques, Energy & Mining Asp. Inc., a sous-traité une société chypriote appelée Sebrit Limited pour exécuter une partie du projet de cartographie géologique. Sebrit avait été constituée seulement deux jours avant la signature du contrat.

Energy & Mining, la seconde filiale Asperbras, a accepté de verser 19,5 millions de dollars à Sebrit : 6,8 millions de dollars après l'exécution d'un « rapport géophysique » et 12,7 millions de dollars afin que Sebrit « recherche de nouveaux contrats pour le client [Energy & Mining] », selon le contrat examiné par Global Witness.

Le 13 décembre 2013, deux jours après la signature du contrat, Asperbras LLC a transféré 31 millions de dollars (22,7 millions d'euros) à Energy & Mining, puis trois semaines plus tard, le 6 janvier 2014, Energy & Mining a versé 19,5 millions de dollars (14,3 millions d'euros) à Sebrit. Selon un rapport de la police portugaise examiné par Global Witness, il s'agissait de la première et unique somme créditée sur le compte de Sebrit.

Sebrit était une société chypriote opaque apparemment sans le capital ni l'expertise nécessaires pour réaliser les travaux publics spécifiés dans le contrat. Elle n'était entrée en activité que deux jours avant l'accord avec Energy & Mining, ne possédait pas de site Web, n'avait aucune présence sur LinkedIn ou des sites similaires, aucun employé identifiable. Apparemment, cette société ne menait pas d'activités réelles et surtout pas une activité liée à la cartographie géologique. En réalité, la société française mentionnée précédemment, BRGM, semble avoir exécuté le projet de cartographie géologique. Compte tenu de son absence évidente de véritable activité, Sebrit n'était  rien d'autre qu'un outil permettant d'extraire et de blanchir les fonds publics congolais. Sebrit a été dissoute en juillet 2018.

Asperbras a expliqué que le BRGM n'avait réalisé qu'une partie du projet de cartographie géologique. L’entreprise n'a pas mentionné la nature de ses transactions avec les sociétés de Veiga, y compris Sebrit. Asperbras a déclaré ne pas pouvoir répondre aux questions concernant ses accords avec le Congo, ceux-ci faisant l'objet d'une enquête au Portugal.

Les secrets de Sebrit

Pendant cette période, Sebrit faisait partie d'une structure regroupant trois sociétés différentes enregistrées à Chypre. L'une de ces sociétés, Voxxi, détenait les actions de Sebrit, tout en appartenant elle-même entièrement à la troisième société chypriote, Leezu.

Ces compagnies n'avaient qu'un administrateur : Veiga, également unique actionnaire de Leezu, la société dominant la structure. On peut donc penser, au premier abord, que Veiga possédait cet ensemble de sociétés, tout au moins selon les documents d'entreprise publics.

Cet élément est peut-être le plus gros signal indiquant une affaire de corruption concernant le contrat de cartographie géologique de Sebrit : dans ce contrat Veiga jouait sur les deux tableaux. Tout d'abord, il représentait la société contractante, Asperbras, au Congo. Ensuite, il semblait également administrer et posséder la société sous-traitante, Sebrit. Il s'agit d'un conflit d'intérêt évident et d'un système courant dans les arrangements contractuels véreux.

Cependant, Veiga n'était pas la seule personne derrière ces sociétés chypriotes. Global Witness a découvert des contrats notariés de Brazzaville, la capitale congolaise, révélant que si Veiga était le directeur de ces sociétés, il servait en fait uniquement de façade.

Un obscur arrangement contractuel dissimulait l'identité de la véritable propriétaire et bénéficiaire du réseau : Claudia Sassou-Nguesso, fille du président de la République du Congo. 

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Avant de s’impliquer au Congo, José Veiga (à gauche) était directeur du club de football portugais Benfica. On le voit ici lors de’une conférence de presse du club en 2005.© FRANCISCO LEONG/AFP/Getty Images

Cet arrangement repose sur deux types de contrat essentiels : une cession d’actions et une convention de portage d’actions. Global Witness a étudié deux ensembles de ces contrats pour Leezu et Voxxi. Les documents indiquent qu'ils ont été établis à Brazzaville et notariés par l'« Office Notarial Galiba », un notaire congolais.

Les cessions d'actions assurent 100 % des actions de Voxxi et de Leezu transférées de Veiga à Claudia Sassou-Nguesso. Ces deux contrats datent du 16 juillet 2013. En conséquence, Claudia Sassou-Nguesso est devenue propriétaire des actions et des actifs des sociétés et de leurs filiales, y compris Sebrit.

Les conventions de portage d'actions, enregistrées par le même notaire congolais à la même date, indiquent que Claudia Sassou-Nguesso a autorisé Veiga à gérer Voxxi et Leezu en son nom. Veiga doit lui verser l'intégralité des gains. Les contrats spécifient que Veiga ne recevrait aucune rémunération pour la gestion des sociétés, une concession qui semble anormalement généreuse et un autre indicateur d'un arrangement potentiellement véreux.

Ces contrats signifient que dès juillet 2013, Claudia Sassou-Nguesso possédait secrètement Sebrit, qui a reçu en janvier 2014 presque 20 millions de dollars de fonds publics congolais grâce à, semble-t-il, un simulacre de contrat pour des travaux publics.

Asperbras a déclaré ne pas avoir connaissance d'une transaction financière réalisée par Veiga pour le compte d'une « personne politiquement exposée » (PEP) au Congo. Claudia Sassou-Nguesso serait définie comme une « PEP ».

Global Witness a adressé des questions écrites à Claudia Sassou-Nguesso, à l’avocat de José Veiga, à une adresse électronique du ministère des Travaux publics à Brazzaville et au porte-parole du gouvernement congolais pour leur demander des explications sur les détails et les allégations exposés dans cet article. Aucune réponse de fond aux allégations qui leur ont été adressées dans les délais impartis n'a été reçue de l'une ou l'autre de ces parties.

La grande vie

Les documents et sources consultés par Global Witness indiquent que suite au versement de la filiale d'Asperbras, Energy & Mining, Sebrit (son appartenance à Claudia Sassou-Nguesso dissimulée) a effectué un paiement pour l'appartement 32G du Trump International.

Ce fastueux appartement a coûté 7,1 millions de dollars. Il offre une vue imprenable sur Central Park du haut de l'imposant gratte-ciel lui-même pourvu de « services de concierge et de voiturier, d'une salle de sport, d'un spa et d'une piscine ». Les résidents peuvent également commander à manger auprès d'un restaurant étoilé au Michelin situé dans l'hôtel.

K&L Gates LLP, cabinet juridique américain classé parmi les 20 principaux cabinets juridiques au monde, a été engagé pour permettre l'acquisition de la propriété. Afin de procéder à l'achat, K&L Gates a incorporé une société nommée Ecree LLC, enregistrée à New York le 30 mai 2014, seulement deux mois avant l'acquisition de l'appartement. Les noms de Veiga et de Claudia Sassou-Nguesso ne figurent pas sur les documents d'entreprise d'Ecree obtenus par Global Witness. En revanche, le directeur d'Ecree est un avocat de K&L Gates et son adresse légale est celle du bureau de K&L Gates dans le New Jersey.

Selon l'acte d'achat, Ecree a finalisé l'acquisition de l'appartement auprès d'un vendeur privé le 31 juillet 2014. Les documents examinés par Global Witness indiquent que la Trump International Realty, une société de la Trump Organization, a servi d'intermédiaire lors de la vente.

Global Witness n'a pas eu accès à des documents démontrant avec certitude que Sebrit possédait ou contrôlait Ecree. Cependant, Sebrit a fourni l'argent nécessaire aux divers coûts associés à l'achat. Global Witness a étudié des documents décrivant des transferts, du 6 janvier 2014 au 23 juin 2015, entre Sebrit et K&L Gates, la Trump International Management Corporation et un avocat représentant le vendeur de l'appartement 32G.

Global Witness n'allègue pas que K&L Gates a enfreint les lois en ce qui concerne son rôle dans l'achat de l'appartement 32G. Aucune exigence légale aux Etats-Unis ne force les cabinets juridiques à faire preuve d'une diligence raisonnable envers leurs clients, alors le cabinet juridique peut prétendre avoir le droit d’assumer cette activité. Cependant, K&L Gates devrait toujours chercher à éviter de permettre des transactions suspectes, et Global Witness estime que le cabinet juridique aurait dû identifier des signes avant-coureurs et donc sérieusement reconsidérer les risques d'une intervention pour Sebrit ou ses propriétaires, ou d'une réception de fonds venant de cette société.

Le fait de ne pas savoir qui possédait Sebrit aurait dû alerter K&L Gates et pousser le cabinet à de plus amples investigations.

Global Witness a demandé à K&L Gates de commenter son rôle dans l’achat de l’appartement, mais le cabinet d’avocats n’a pas répondu aux questions écrites.

Asperbras a déclaré ne rien savoir des accords conclus par Veiga ou de ses sociétés, ni de savoir si Veiga et ses sociétés avaient participé à l'achat d'un appartement chez Trump International.

Que savaient les entreprises Trump?

Dans le cadre de l'enquête pour corruption dans les affaires de Veiga au Congo, les autorités portugaises ont saisi une série de lettres de référence datant de juillet 2014 (quelques semaines avant la finalisation de l'achat de l'appartement) et adressées à des membres du conseil de Trump International. Dans une de ces lettres, Veiga exprime son soutien à une demande d'achat de l'appartement par Lauren Lemboumba, la fille de Claudia Sassou-Nguesso. Malgré l’âge de Lemboumba à l'époque, seulement 17 ans, Veiga a déclaré qu'ils se connaissaient depuis des années et l'a décrite comme une « amie proche ».

Aux questions de Pereira, le journaliste portugais, Veiga a répondu en 2017 qu'il avait d'abord inscrit le nom de Claudia Sassou-Nguesso sur les formulaires, avant de le remplacer par celui de sa fille. Veiga n'a néanmoins pas confirmé que Lemboumba ou Claudia Sassou-Nguesso ont effectué des demandes d'achat. En revanche, il a déclaré que l'appartement appartenait à une société dont il était l'actionnaire. Selon Veiga, l'appartement a été acheté avec ses moyens personnels, dans un contrat totalement indépendant de la famille présidentielle congolaise.

Veiga a déclaré que les lettres de références étaient destinées à donner l’autorisation à Claudia Sassou-Nguesso et sa fille de habiter dans l'appartement . Il a expliqué : « Conformément au règlement de la copropriété, j'ai indiqué qui vivrait dans mon appartement pendant une certaine période. J'ai d'abord donné le nom de la mère, mais comme c'était sa fille qui allait réellement […] habiter mon appartement, j'ai changé le nom. »

Cette déclaration contredit la lettre de référence de Veiga à laquelle Global Witness a eu accès, suggérant clairement que Lemboumba puisse acheter un appartement Trump. Voici ce que Veiga a rédigé dans sa lettre au conseil de Trump International : « Cette lettre vous est adressée au nom de mon amie, Lauren Anne Marie Ikia Lemboumba, ayant déposé une demande d'achat pour un appartement du Trump International Hotel & Tower Condominium. »

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Trump International Hotel & Tower, New York, que Trump a lui-même décrit comme le « fleuron » de ses hôtels. © Michael Nagle/Bloomberg via Getty Images

Le conseil du Trump International Hotel & Tower Condominium aurait dû être extrêmement alarmé par une demande d'achat indiquant le nom de Claudia Sassou-Nguesso ou de sa fille. En tant que haute fonctionnaire et membre de la famille présidentielle du Congo, Claudia Sassou-Nguesso aurait dû être immédiatement identifiée comme une « PPE ».

Même si aux États-Unis aucune disposition obligatoire ne force les cabinets juridiques ou le secteur de l'immobilier à vérifier les antécédents, le fait d'identifier une PPE aurait dû, selon Global Witness, entraîner des vérifications approfondies autour de Claudia Sassou-Nguesso et de sa fille, ainsi que de l'origine des fonds destinés à l'appartement et aux frais d'entretien. L'enquête française sur la famille Sassou-Nguesso aurait tout de suite dû inquiéter les entreprises Trump quant à la possibilité de recevoir des fonds publics volés et donc de faciliter un blanchiment d'argent.

Les documents d'achat de l'appartement incluent un formulaire signé par Veiga en qualité de représentant d'une autre société écran de Claudia Sassou-Nguesso. Il autorise la Trump Corporation, dont Trump est le propriétaire, à vérifier les antécédents de l'acheteur. Le conseil gérant les appartements du Trump International, auquel siège Donald Jr., avait également l'autorisation d'effectuer ces vérifications. Il est difficile d'établir si une diligence raisonnable a été exercée ou de juger de son efficacité.

Quoi qu'il en soit, l'achat a été effectué. Global Witness ne possède pas d'éléments prouvant l'identité du propriétaire d'Ecree, la société ayant acheté l'appartement. Mais une société appartenant à Claudia Sassou-Nguesso a payé cet appartement et le contrat a été conclu par son associé, Veiga, représentant une autre société en sa possession. Il semble donc que Claudia Sassou-Nguesso possède l'appartement Trump, payé avec des fonds publics soupçonnés volés.

En février 2016, une période pendant laquelle les sociétés Trump ont reçu des versements mensuels pour des « charges communes » (frais d'entretien) concernant l'unité 32G, Veiga est arrêté pour  corruption et blanchiment d'argent soupçonnés au Congo. Bien que la loi n'exige pas de contrôle des antécédents, Global Witness croît que cela aurait dû alerter la Trump Organization et entraîner un examen de la diligence raisonnable préalable.

Ces faits mettent en doute la qualité des vérifications d'antécédents menées par les sociétés Trump et des décisions prises en conséquence. En principe, un agent ou un gestionnaire immobilier doit s'inquiéter si un client achetant une luxueuse propriété de plusieurs millions de dollars est identifié comme une PPE d'un gouvernement connu pour sa corruption ou, dans le cas de Veiga, ensuite arrêté pour corruption.

Reste maintenant à savoir si les vérifications d'antécédents n'ont pas alerté ou si les sociétés Trump ont préféré fermer les yeux.

Bénéfices tirés par les sociétés Trump en semblant ignorer les signaux d'alerte

Dans le cadre du contrat d'achat, Ecree doit payer des frais d'entretien mensuels pour l'unité 32G. Le contrat, nommant à la fois la Trump International Management Corporation et le Trump International Hotel & Tower Condominium, prévoit des versements mensuels de 2 832,14 dollars. Ces charges ont probablement augmenté depuis, mais si le montant de 2 832,14 dollars mensuels sert de référence, Ecree LLC doit maintenant avoir versé au moins 164 264,12 dollars en frais d'entretien. Trump a dirigé ces sociétés jusqu'à son élection à la présidence des États-Unis, en janvier 2017.

D'après Pereira, Sebrit a payé des frais mensuels de l'unité 32G à la Trump International Management Corporation : 16 000 dollars ont été versés le 10 septembre 2014, puis 35 000 dollars supplémentaires le 15 mai 2015. Il n'a pas été établi si Sebrit a continué à payer les frais d'entretien pour le 32G après mai 2015. Cependant, l'appartement n'a pas été vendu depuis 2014, année de son achat par Sebrit, la société de Claudia Sassou-Nguesso.

En tout, au moins cinq sociétés possédées ou dirigées par Trump ont été impliquées dans la vente de l'unité 32G. Trois sociétés de la Trump Organization, appartenant à Trump, ont joué des rôles cruciaux : une propriétaire du 1 Central Park West, une intermédiaire lors de la vente et une figurant parmi les sociétés chargées de vérifier les antécédents de l'acquéreur de l'appartement. Trump en est toujours propriétaire de ces sociétés, bien qu'elles fassent actuellement partie du portefeuille d'intérêts détenu en fiducie par ses fils. Mais même si ses fils contrôlent les opérations quotidiennes des sociétés via le fidéicommis qu'il a créé, Trump peut encore en percevoir les revenus. À tout moment, il peut révoquer l’autorité de ses fils et reprendre les actifs du fidéicommis. 

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Donald Trump à l’ouverture du Trump International Hotel & Tower à New York, 1997. © James Hughes/NY Daily News via Getty Images

Vient ensuite la question des deux sociétés recevant les frais d'entretien de l'unité 32G. D'après les déclarations financières de Trump, il ne possède pas ces sociétés. Il a donc, en théorie, rompu ses liens avec elles lorsqu'il a démissionné de ses postes avant de devenir le président des États-Unis. Mais les divers revenus de Trump restent obscurs, comme l'a expliqué Investopedia en octobre 2018 : « Étant donné que Trump n'a pas dévoilé ses déclarations de revenus au public, de nombreux aspects de ses finances restent troubles pour les personnes extérieures à la Trump Organization. » D'ailleurs, en 2018 deux procureurs généraux ont assigné à comparaître la Trump Organization pour tenter de comprendre si et comment Trump a profité de la présidence, en partie via ses biens immobiliers. De nouvelles déclarations sont nécessaires pour établir clairement si Trump a bénéficié ou non de l'unité 32G du 1 Central Park West depuis son élection en tant que président des États-Unis.

Global Witness a adressé des questions écrites à La Trump Organization, demandant des observations sur les détails et les allégations exposés dans cet article. Aucune réponse aux allégations formulées pour commentaires n'a été reçue dans les délais impartis. Cependant, lors de la publication de cet article, le New York Times a cité un porte-parole de La Trump Organization qui a déclaré que l'appartement 32G avait été acheté à un tiers et que les frais de copropriété payés pour l'appartement étaient destinés à l'entretien "non à Trump."

Situation d'ensemble

De l'utilisation de comptes offshore et de juridictions opaques à l'habilitation de sociétés anonymes et d'avocats, l'achat de l'appartement 32G du Trump International prouve qu'il devient urgent de se pencher sur la façon dont des sociétés opaques parviennent à déplacer facilement des fonds dans le monde entier, sans avoir à répondre à de réelles questions sur leur provenance ou leur légitimité.

Chaque pays devrait exiger des avocats effectuant des transactions pour leurs clients et du secteur immobilier qu'ils connaissent leurs clients, ainsi que l'origine de leurs fonds. Cette précaution permettrait de s'assurer que des fonds suspects entaché ne sont pas blanchis sur le marché immobilier.

Depuis 2001, les agents immobiliers américains doivent en fait réaliser des contrôles concernant le blanchiment d'argent, mais le département du Trésor n'a pas réussi à faire appliquer cette directive. Cela doit cesser et le Trésor devrait immédiatement exiger des sociétés qu'elles révèlent leur véritable propriétaire lors de l'achat d'un bien immobilier américain.

Global Witness demande également aux responsables de l'application de la loiaméricaines, françaises et portugaises d'enquêter sur les signes de blanchiment d'argent lors de l'achat de l'appartement et le vraisemblable détournement de fonds publics par la famille présidentielle congolaise, rendu possible par Veiga. Le cas échéant, les responsables de l'application de la loi doivent tenir la Trump Organization et Donald Trump pour responsables de leurs actes. De même, les comités du Congrès se penchant sur de telles questions doivent enquêter sur ces allégations et demander des comptes à tout auteur d'infraction.

Cette affaire pose aussi de sérieuses questions auxquelles doivent répondre les sociétés Trump associées à l'accord, K&L Gates, le cabinet juridique représentant le vendeur du 32G, ainsi que les autres banques et agents immobiliers impliqués. Ils doivent expliquer pourquoi ils ont effectué ces transactions malgré les risques apparents de blanchiment d'argent et de corruption. Ils doivent au moins, maintenant que l'origine des fonds a été révélée, cesser toute activité avec les entreprises liées à Claudia Sassou-Nguesso et à Veiga.

La Trump International Management Corporation et le Trump International Hotel & Tower Condominium doivent clarifier l'origine des versements pour les frais d'entretien de copropriété de l'appartement 32G depuis mai 2015, ainsi que le rôle de Donald Trump dans ces sociétés. Ces informations présentent un intérêt public particulier car il existe un risque que ces sociétés permettent actuellement de blanchir de l'argent issu de fonds publics détournés par la fille du président congolais, et profitent de ces fonds illicites.

Claudia Sassou-Nguesso et Veiga ont employé une large diversité d'outils du système financier mondial pour détourner, dissimuler et potentiellement blanchir des millions de dollars qui auraient dû être investis pour améliorer le futur des citoyens de la République du Congo.

De telles transactions peuvent avoir des répercussions dévastatrices, le plus souvent pour les personnes luttant contre la pauvreté et les gouvernements corrompus dans des pays comme le Congo, où les dirigeants attribuent des contrats publics aux investisseurs les moins scrupuleux et aux criminels les plus opportunistes. Les États-Unis et l'Europe ont l'obligation de remédier aux lacunes de leurs systèmes respectifs facilitant la corruption et le blanchiment d'argent, permettant ainsi à des élites politiques notoires telles que les Sassou-Nguesso de jouir à l'étranger de profits somptueux issus de biens visiblement mal acquis. 

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