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Par-dessus les grésillements de la ligne téléphonique de son portable, un négociant basé en République centrafricaine (RCA), à moins qu’il ne s’agisse du Cameroun, nous vante ses services dans l’espoir de décrocher une affaire. « Ça fait peur, c’est vrai », dit-il. « Mais bon quand on est dans les affaires, (…) il faut toujours oser. » Ces affaires, ce sont celles des diamants et, comme il nous le rappelle, « [la RCA,] c’est un pays de diamants. »1
Le négociant connaît bien son public. Il s’adresse à un opportuniste. Là où certains ne voient que conflit, instabilité et chaos, cet homme, lui, y voit une opportunité commerciale.
« Si vous venez, vous allez voir des pierres. Peut-être si vous avez de la chance, une pierre qui va vraiment vous lancer », un autre négociant affirme.2 Il ne reste alors plus qu’à trouver un moyen de faire sortir les pierres précieuses de ce pays ravagé par la guerre.
Pour cela, le négociant a besoin d’aide. Heureusement, de nombreuses personnes sont prêtes à proposer leurs services et il est plus facile que jamais de les trouver. Facebook, Messenger, WhatsApp—les outils de l’économie numérique—aident aussi les trafiquants et les intermédiaires à réunir les premiers éléments des chaînes d’approvisionnement mondiales qui continuent d’alimenter les marchés internationaux en diamants de conflits.
Nous faisant passer pour un opportuniste parmi tant d’autres souhaitant gagner rapidement de l’argent dans certains des pays les plus pauvres et les plus instables de la planète, nous nous sommes entretenus avec plusieurs négociants qui ont promis de nous faciliter l’accès aux précieux diamants centrafricains.3 Malgré tous les efforts internationaux, les hommes forts et les groupes armés de la RCA restent prêts à faire des affaires.
« Même là où il y a la guerre, il y a certains acheteurs véreux qui vont même là-bas acheter [des diamants] et qui [les] sortent d’une manière frauduleuse. Ça je vous dis, c’est ça », admet fatalement l’un des nombreux marchands de diamants de la RCA.4
« Les trafiquants », nous dit-il, « vont aller (…) récupérer tous les diamants vers le côté des rebelles là-bas parce que c’est encore beaucoup moins cher (…). On les amène. Souvent il y a un chef rebelle qui est là, qui les reçoit (…). Ils achètent, ils achètent, ils achètent (…). Arrivés à l’aéroport [en RCA ou au Cameroun] ils s’en vont parce qu’il n’y a pas de contrôles [comme] ils voyagent comme de simples voyageurs. »
Aux âmes sensibles, un autre négociant propose une alternative : « Si vous voulez commander des diamants », dit-il, nous « enverrons des gens à moto, par exemple, à Berbérati [en RCA] pour aller chercher les diamants et vous les livrer [au Cameroun]. »5 Et comme le dit un autre marchand, « on a même pas besoin de bouger d’un pouce ! »6
Si la contrebande de diamants requiert une certaine dose de courage, elle nécessite également un bon sens de la logistique.
« Si vous venez, vous allez voir des pierres. Peut-être si vous avez de la chance, une pierre qui va vraiment vous lancer. »
Un négociant de diamants de la République centrafricaine
Une véritable chasse est en train de se dérouler, avec pour gibier l’avenir des diamants centrafricains. Tandis que des groupes armés et des marchands internationaux sans scrupule sont à l’affût de gains personnels rapides ou cherchent à acheter des armes et la loyauté de jeunes gens désespérés, les gouvernements et le secteur diamantifère souhaitent que les diamants centrafricains jouent un rôle dans le processus de consolidation de la paix.
Nous sommes partis à la découverte de cette chasse aux pierres pour en connaître les règles et les gagnants.
Un grand nombre de marchands de diamants de la RCA sont jeunes, ambitieux et mobiles. Tout comme les gens de leur génération à travers le monde, ils laissent leur empreinte sur les réseaux sociaux. C’est en suivant de près les photos et les commentaires à travers lesquels ils décrivent leurs activités et recherchent de nouveaux partenaires commerciaux que nous avons réussi à reconstituer certaines pièces de l’univers des réseaux sociaux dans lequel ils opèrent. Nous avons ensuite nous-mêmes rejoint leur monde.
Nous faisant passer pour un acheteur international opportuniste, nous nous sommes servis des réseaux sociaux pour rejoindre l’univers des trafiquants, des négociants et des intermédiaires qui, ensemble, constituent les marchés du diamant de la RCA.
Cela nous a permis de s’éloigner des théories et autres généralités pour nous plonger dans la réalité, décrite par ceux qui la façonnent. À travers nos échanges sur les réseaux sociaux et nos appels téléphoniques, nous avons plongé au cœur de l’existence de ceux qui opèrent au plus près de ce commerce. Cette immersion a révélé que la réalité est loin de l’image que la communauté internationale et le secteur diamantifère voudraient nous en donner, même si les efforts internationaux ont indéniablement eu un certain degré d’impact.
La RCA est l’un des pays les plus pauvres et les plus fragiles du monde. Le dernier conflit qui a marqué son histoire mouvementée a laissé derrière lui plus de deux millions de personnes—soit près de la moitié de la population— requérant de toute urgence une aide humanitaire, et près d’une personne sur cinq a été déplacée.7 Le résultat est une catastrophe humanitaire. La RCA était classée avant-dernière dans l’Indice du développement humain de l’ONU 2015 — 187ème sur 188 pays.8 Elle occupait la dernière place de l’Indice de la faim dans le monde 2016.9
Pourtant, les cours d’eau et les sols de la RCA recèlent d’or et de diamants. Mais au lieu de participer au développement du pays, ces richesses ont été pillées par les personnes qui occupent le pouvoir ou celles qui souhaitent l’accaparer. Les deux parties au conflit ont financé leurs campagnes de violence grâce à l’exploitation de la richesse en diamants de la RCA.
Les mesures prises pour contrôler le flux de diamants centrafricains et les tenir à l’écart des groupes armés prédateurs, qui pillent actuellement l’avenir du pays, ne sont pas suffisantes. Des diamants provenant de toutes les régions de la RCA parviennent à sortir du pays et rejoindre les marchés internationaux. Plusieurs marchands nous ont parlé ouvertement de la facilité avec laquelle les diamants pouvaient être exportés clandestinement, et certains ont même évoqué ouvertement leur collaboration avec des négociants internationaux. Un grand nombre d’entre eux semblaient tout ignorer des restrictions imposées par les autorités. Ceux qui en avaient connaissance nous ont donné l’impression de pouvoir les contourner avec une grande facilité.
La RCA et sa population ont besoin d'un commerce de diamants. Mais elles ont surtout besoin d’un commerce de diamants plus responsable.
Tout a commencé avec un coup.
En mars 2013, une coalition de groupes rebelles, liée par le même sentiment de marginalisation politique et économique et connue sous le nom de « Séléka », s’est emparée de Bangui, la capitale centrafricaine. Signifiant « alliance » en sango, la langue nationale, la Séléka a violemment chassé du pouvoir le Président de l’époque, François Bozizé, et installé son chef, Michel Djotodia, à la place. La brève période pendant laquelle ce dernier régna en maître fut marquée par de multiples exactions à l’encontre de la population civile, y compris des meurtres, des actes de pillage, des viols et des déplacements forcés.10
La RCA n’était étrangère ni aux coups d’État, ni à l’instabilité. En effet, avant la chute de Bozizé—lui-même arrivé au pouvoir à l’issue d’un coup d’État—, près de 60 % du territoire centrafricain n’était pas contrôlé par le gouvernement.11 Le basculement dans un conflit généralisé a été rapide et intense.
Les exactions de la Séléka, groupe majoritairement musulman, ont suscité une réaction violente de la part de groupes d’autodéfense chrétiens et animistes vaguement organisés et connus localement sous le nom d’« anti-balaka », qui signifie « anti-machette » en sango. Opposées au régime de la Séléka, ces milices anti-balaka ont lancé des actes de représailles de grande ampleur contre des civils, visant principalement des musulmans, donnant ainsi une dimension sectaire au conflit.12
Cette longue période de fortes violences a fini par déclencher des pressions internationales et l’arrivée de troupes françaises, forçant Michel Djotodia à renoncer au pouvoir en janvier 2014. Dès son départ, les forces de la Séléka se sont retirées dans le nord-est du pays—leur base traditionnelle— et les milices anti-balaka ont pris le contrôle des zones abandonnées par la Séléka.
Une mission de maintien de la paix de l’Organisation des Nations Unies (ONU), la MINUSCA, a été déployée en septembre 2014 afin de protéger les civils et d’aider la RCA à sortir du conflit. L’élection présidentielle, reportée à maintes reprises à cause de la violence et de l’instabilité, a finalement pu avoir lieu, permettant au Président Faustin-Archange Touadéra de prendre la tête d’un nouveau gouvernement en mars 2016.
Mais au lieu de se terminer, le conflit s’est enlisé.
La Séléka s’est fracturée après sa retraite vers l’Est, mais elle détient encore des territoires, tout en perpétrant régulièrement des actes de violence dans le reste du pays. « Les affrontements violents (…) se sont aggravés et généralisés en septembre et octobre 2016», avertissait le Groupe d’experts de l’ONU sur la RCA en décembre 2016.13 En mai 2017, le Global Centre for the Responsibility to Protect alertait que «les populations de le République centrafricaine risquent toujours de subir des atrocités de masse commises par les ex-Séléka, les milices anti-balaka et d’autres groupes armés. »14
À Bangui, une partie d’un gouvernement fragile est accusée d’actes de corruption graves, alors que celui-ci peine à gouverner les autres territoires aux côtés d’hommes forts et des derniers éléments anti-balaka présents dans l’Ouest.15 Transparency International classe actuellement la RCA 159ème sur 176 pays sur son Indice de perception de la corruption.16
Les causes de ce dernier conflit sont nombreuses, mais son sort ne saurait être dissocié de celui des ressources naturelles de la RCA.
Alors que la communauté internationale – dont le Processus de Kimberley – travaille avec le gouvernement de la RCA et les entreprises du secteur diamantaire dans le but d’établir des chaînes d’approvisionnement légitimes ; contrebandiers et marchands prospèrent dans le marché noir parallèle. C’est par ces voies illicites que, d’une part, les groupes armés violents qui contrôlent encore de vastes zones dans l’est du pays riches en diamants, et, d’autre part, les hommes forts qui restent influents dans certaines parties occidentales peuvent continuer de profiter des diamants qui atteignent facilement les marchés internationaux.
Les bénéfices de ce commerce donnent non seulement aux groupes armés les moyens de poursuivre les combats, mais ils offrent également une raison économique de perpétuer le chaos et l’instabilité plutôt que la paix.
Comme de nombreuses recrues de la Séléka, le « général » Nama connaissait bien le secteur du diamant. Jeune commandant au sein de ce groupe et né en 1982, il a grandi dans l’une des régions diamantifères de la RCA, près de Birao, dans le nord-est du pays—un fief de la Séléka depuis quelques années.
Le pouvoir en RCA a toujours été considéré comme un droit au pillage.17 À son arrivée au pouvoir, la Séléka semble avoir été bien déterminée à perpétuer cette pratique.
Lorsque les forces de la Séléka se sont emparées du pouvoir en 2013, le « général » Nama a été nommé à la tête d’une préfecture du sud-ouest du pays où se trouvent des gisements miniers lucratifs. Mais au lieu de s’installer dans la base militaire régionale, il a choisi de prendre ses quartiers dans l’un des principaux bureaux d’achat de diamants de la capitale locale, Nola. Ce bureau, qui était auparavant dirigé par un négociant libanais local, est rapidement devenu le bureau d’achat personnel de Nama.18
C’est à partir de cette base que Nama, employant des méthodes reproduites dans toutes les zones contrôlées par la Séléka, a commencé à profiter des ressources de la région, conjuguant transactions commerciales extrêmement lucratives et coercition violente. Deux témoins ont décrit deux incidents distincts au cours desquels Nama n’a versé à des producteurs qu’une part infime de la valeur de leurs diamants, qui représentaient plusieurs milliers de dollars. Des vendeurs se sont plaints de leur incapacité à négocier, redoutant une réaction violente.19
Mais les méthodes du jeune « général » allaient aussi plus loin que de simples mesures de coercition. Comme de nombreux commandants Séléka locaux, Nama s’est rapidement mis à gagner de l’argent en délivrant des « permis » à ceux qui souhaitaient exploiter le diamant et l’or dans les zones qu’il contrôlait, près des fleuves Yobe et Sangha. Ces permis étaient accordés moyennant un paiement d’environ 150 000 francs CFA (environ 240 dollars US) par semaine, vraisemblablement pour bénéficier de « services de sécurité ».20 Ce type de systèmes parallèles de taxation et d’attribution de licence a constitué un élément clé de l’exploitation systématique perpétrée par la Séléka pour tirer profit de la richesse en ressources de la RCA.
Les riches gisements de diamants alluvionnaires constituent l’une des ressources les plus précieuses de la RCA. En 2010, d’après les estimations de l’United States Geological Survey (Institut d'études géologiques des États-Unis en français), il restait encore 39 millions de carats de diamants alluvionnaires à exploiter en RCA.21 Ces réserves, connues et exploitées depuis au moins 1929, sont concentrées dans deux principaux réseaux hydrographiques. L’un se trouve dans le sud-ouest du pays, autour des rivières Mambéré et Lobaye, et l’autre, dans l’est, autour de la rivière Kotto.
Au départ, la Séléka semble avoir recouru à des actes d’extorsion et de pillage, notamment durant sa rapide avancée sur Bangui en 2013.
« Ils nous ont tout pris à la force de leurs armes »,
a raconté un propriétaire de mines dans l’ouest du pays à propos de l’arrivée des forces de la Séléka. Il a également affirmé que des soldats Séléka avaient torturé sa sœur pour qu’elle leur dise où trouver des personnes possédant des diamants et de l’argent.22
Cependant, au fil du temps, les méthodes de la Séléka sont devenues de plus en plus sophistiquées. Dès qu’elle a pu obtenir le contrôle des régions centrafricaines les plus riches en diamants, la Séléka a instauré un système d’administration parallèle pour surveiller et exploiter le secteur minier. À travers cette structure, elle délivrait des permis miniers, percevait des taxes illégales et imposait un racket de protection ciblant les mineurs et les autres acteurs opérant autour des sites miniers.
D’après un homme d’affaires de la ville occidentale de Berbérati, des marchands chrétiens étaient contraints de verser jusqu’à 65 % de leurs recettes sous forme de taxes et de paiements de protection.23
Un document signé par Nourredine Adam—le cerveau des opérations de renseignements de la Séléka—demande au Président de l’époque, Djotodia, d’imposer une taxe fixe aux mineurs pour augmenter les profits issus du commerce de diamants. Ce nouveau flux de revenus était nécessaire, insistait-il, pour se procurer des armes et renforcer les services de renseignements de la Séléka.24
Certains hauts commandants de la Séléka étaient aussi directement impliqués dans le commerce de diamants. À l’instar du jeune « général » Nama, Oumar Younous, alias Oumar « Sodiam », avait un passé dans le secteur du diamant.25
Une fois la Séléka au pouvoir, ses pouvoirs et son accès au secteur semblent avoir été quasi illimités. Une lettre signée par le Président au moment des faits, Djotodia, ordonne l’octroi à Omar « Sodiam » d’un accès illimité aux mines de diamants de la RCA ainsi que le droit de vendre des diamants au Soudan, à Dubaï, au Qatar et en Chine, sans ingérence du Bureau d’évaluation et de contrôle de diamant et d’or (BECDOR), l’organe étatique officiellement chargé de réglementer le commerce de diamants et d’or.26
Rapidement, la Séléka est même allée jusqu’à chercher à profiter des minerais centrafricains en vendant des droits miniers et des concessions.
En commercialisant les droits relatifs à l’exploration des sites et à leur production future, le régime de la Séléka pouvait ainsi dégager des profits bien supérieurs à ceux issus d’opérations minières relativement peu sophistiquées à travers la RCA. Il semblerait que les dirigeants de la Séléka aient réussi à trouver des acheteurs pour ces concessions, notamment des compagnies internationales, et ce malgré la violence avec laquelle leurs soldats se sont emparées du pouvoir, et en dépit des signaux publiques faisant état de l’insécurité et de la corruption qui régnaient dans le pays sous leur joug.
Depuis fin 2012, la société Clima Dubai, basée aux Émirats arabes unis (EAU), détenait une concession aurifère et diamantifère de 500 km2 et d’une durée de trois ans dans la région de Salo.27 À peine quelques semaines après que les combattants de la Séléka se sont violemment emparés du pouvoir en mars 2013, des représentants de Clima Dubai entamaient des négociations avec le gouvernement rebelle dans l’espoir de garantir les futures opérations de l’entreprise dans le pays.28
Un autre document détaille comment la société soudanaise Omburman (RIDA) s’est vu octroyer une concession d’une durée de trois ans et couvrant une superficie de 1 850 km2 près de Sam-Ouandja, moyennant un paiement déclaré de 500 000 francs CFA (environ 815 dollars US) par kilomètre carré et par an.29 Global Witness n’a pas été en mesure de vérifier si ce paiement avait été effectué, ou si Omburman (RIDA) était effectivement active en RCA.
Aucune des deux entreprises n’a répondu aux demandes de commentaires envoyées par Global Witness.
Ce ne sont pas des cas isolés. L’International Peace Information Service (IPIS) a signalé que jusqu’à 34 décrets de ce type ont été promulgués en dehors des procédures normales lorsque la Séléka était au pouvoir.30
Depuis que la Séléka s’est retirée dans le nord-est de la RCA en janvier 2014, l’accès à cette zone du pays est limité. Cependant, certains éléments prouvent indéniablement que l’exploitation du diamant continue dans l’est du pays.
En mars 2015, le responsable du bureau de la MINUSCA à Bria a déclaré31 à une délégation du Conseil de sécurité en déplacement dans la région que
« l’exploitation du diamant, principale activité économique dans la préfecture, est contrôlée par des ex-Séléka et des communautés étrangères ».
Des images satellitaires prises à la demande du Processus de Kimberley fin 2014 montraient aussi que l’exploitation du diamant s’était poursuivie près de Sam-Ouandja, ville du nord-est du pays.32
Dès 2014, des factions de la Séléka avaient également imposé des systèmes de taxation illégale, notamment aux mineurs et aux collecteurs de diamants, ainsi qu’aux avions qui se posaient dans la région.33 Un document, montré à Global Witness et co-signé par le secrétaire général de l’époque et par le coordinateur de la Séléka, ordonne d’imposer aux collecteurs de diamants et d’or opérant dans la zone de Bria des taxes s’élevant à environ 800 dollars US, et aux bureaux d’achat locaux des taxes d’un montant approximatif de 3 000 dollars US.34
Dans son rapport de décembre 2016, le Groupe d’experts de l’ONU sur la RCA signale que cette tendance a persisté. Des membres de l’ex-Séléka, qualifiés par le Groupe d’experts d’ « hommes en armes », seraient présents près des zones minières aux alentours de la ville de Bria.35 Un groupe d’anciens Séléka aurait « mis en place une administration parallèle qui régit et taxe les activités minières » à Aigbando, ville située à 60 kilomètres au nord-est de Bria.36 Le rapport décrit aussi la contrebande comme étant endémique. Des diamants en provenance de Bria « passe probablement par Bangui, mais une partie serait également acheminée par voie terrestre vers la République démocratique du Congo [RDC] ».37
« des groupes armés sévissent sur plusieurs sites miniers de l’ouest du pays, certains desquels sont à cheval sur la future zone verte [du Processus de Kimberley]. »
En 2014, les groupes anti-balaka réclamaient soi-disant 5 000 francs, environ 8 dollars US, aux marchands des environs de Berbérati.40 Cette même année, un agent du Processus de Kimberley au Cameroun a déclaré à Global Witness que des membres anti-balaka vendaient des diamants centrafricains au Cameroun, de l’autre côté de la frontière.41 Cette affirmation a été corroborée par un représentant d’une agence gouvernementale centrafricaine.42
En outre, certains commandants anti-balaka semblent avoir eux-mêmes intégré le secteur du diamant.43 En 2016, le Groupe d’experts de l’ONU signalait, d’après les informations qu’il avait obtenues, qu’un individu avait eu le droit de renouveler sa licence d’exploitation minière artisanale, tout en restant commandant des forces anti-balaka dans la sous-préfecture d’Amada Gaza.44
Avec un œil sur les diamants de la RCA d ‘une part et l’autre observant une économie de conflit florissante d’autre part, la communauté internationale devait agir.
En mai 2013, soit plusieurs mois après l’arrivée de la Séléka au pouvoir, la RCA était suspendue du Processus de Kimberley, un système international conçu pour limiter les fonds que les groupes armés peuvent dégager du commerce de diamants. En vertu de cette suspension, la RCA ne pouvait plus exporter ses diamants.
Cette interdiction d’exporter avait pour but de limiter la capacité des groupes armés à financer leurs activités par la vente de diamants. Mais si cette suspension a eu un certain impact sur le commerce des diamants en RCA, elle a aussi été bafouée systématiquement. Un marché noir prospère a facilité l’acheminement des diamants vers les pays voisins, comme la RDC et le Cameroun.45
Au même moment, des bureaux d’achat nationaux maintenaient le marché domestique des diamants en vie à travers l’achat de pierres—y compris dans des zones contrôlées par des groupes armés—et en constituant des stocks en attendant la levée de l’interdiction sur l’export de diamants.
Leur patience fut récompensée au cours de l’été 2016. Constatant que des milliers de personnes—ainsi que les recettes fiscales du gouvernement—dépendaient du commerce de diamants centrafricains, des officiels et des sociétés réclamaient la levée de la suspension.46 Cependant, l’ex-Séléka restant présente dans l’est du pays, une levée totale était hors de question.
En réponse, le Processus de Kimberley a voulu trouver le juste en milieu en proposant une solution innovante : une levée partielle de la suspension générale autorisant désormais les exportations de certaines régions du pays, des « zones conformes », tandis que la suspension, du moins en théorie, reste en vigueur dans le reste du pays.47
Cette démarche, plus souple et plus nuancée qu’une interdiction totale, vise à relancer le commerce officiel de diamants dans les zones de l’ouest du pays, sur la voie de la stabilité, tout en maintenant l’interdiction d’exporter dans le centre et l’est du pays, où les revenus des diamants risquent de tomber dans de mauvaises mains. À ce jour, des zones conformes ont été déclarées à Berbérati, Nola, Carnot, et dans certaines sous-préfectures de Boda.48
Bien qu’innovante, cette interdiction partielle comporte de nombreux risques. Si elle n’est pas correctement appliquée et étroitement surveillée, la relance du commerce des diamants centrafricains entraînera une baisse de la vigilance qui profitera aux marchands, qu’ils soient licites ou illicites. Si les diamants centrafricains offrent un moyen de financer la consolidation de la paix en RCA, ils constituent aussi un gagne-pain essentiel pour des individus bien déterminés à ne pas la respecter.
Prises d'écran d'une conversation Messenger avec un négociant de diamants
« Ils
nous ont envoyé loin loin de notre pays Maintenant, nous pouvons choisir le nouveau
nom a notre diamant et changer la nationalite ».
Dans l’univers du diamant, les apparences sont parfois trompeuses.
Personne n’ignore qu’il est facile de trafiquer des diamants. La valeur élevée de ces petites pierres signifie que des biens représentant des milliers de dollars peuvent facilement être transportés et cachés. Des marchands ont évoqué avec nous toutes sortes de moyens de transport, d’avions privés à des voitures et des motos, pour expliquer comment faire passer des diamants de l’autre côté des frontières poreuses de la RCA. Mais sortir les pierres de la RCA n’est que la première étape. Avant de pouvoir être vendues sur les marchés internationaux, les pierres orphelines ont besoin d’une nouvelle famille.
Plusieurs marchands ont qualifié ce processus de « naturalisation » des diamants. Une fois que les pierres se retrouvent en dehors de la RCA, les acheteurs déclarent qu’elles viennent d’ailleurs. Ils les mélangent à d’autres pierres, se procurent les bons documents et les expédient ; dissimulant ainsi le passé mouvementé de ces passagers clandestins.
Parmi les marchands avec lesquels nous nous sommes entretenus, c’est un secret de polichinelle. Tout le monde le sait. Nous avons ainsi appris qu’au Cameroun, des négociants en diamants « naturalisent la marchandise, [en lui] donnant la nationalité camerounaise ».50 « La majorité des diamants (…) et tous les collecteurs que nous sommes, évincés de là-bas [RCA] pour venir ici [au Cameroun], c’est nous [les négociants en diamants de RCA] qui finançons les travaux là-bas et ces diamants traversent pour vernir ici [au Cameroun] (…) ou sont exportés au Congo. »
Ce processus nous est décrit en des termes simples : « Pour éviter que vos diamants soient des diamants peut-être suspects, arrivés au niveau du Cameroun, les gars font leurs papiers d’une manière officielle et ils paient leur petite taxe à l’export au niveau du Cameroun. »51 Tout est question de relations. « J’ai un ami (…). Il peut te faire tous les papiers », révèle un autre négociant.52 Une fois ce processus terminé, les diamants de la RCA peuvent être commercialisés comme s’ils avaient été minés ou achetés au Cameroun.
« Quand tu arranges tout, et bien il n’y a rien. »
Sader, un intermédiaire libanais
Sader (pas son vrai nom) est négociant en diamants et vit au Liban. Au cours d’un appel sur WhatsApp, il évoque un réseau international de contrebande qui, selon lui, achemine des diamants depuis la RCA jusqu’à des centres de négoce à travers le monde. « Ce sont (…) les affaires », nous dit-il.53 « Avec Kimberley ou sans Kimberley, on amène les produits où on veut. »54
Sader a des contacts dans de nombreux endroits où les diamants sont exploités ou négociés. Ensembles, ces connaissances forment la chaîne d’approvisionnement qu’il emploie pour acheminer des diamants depuis la RCA vers les marchés internationaux. Il nous dit détenir un bureau d’achat en Sierra Leone avec un associé italien.55 Il affirme avoir des liens avec des sociétés diamantaires à Anvers.56 « Tu sais (…), on crée une sorte de famille de travail, un collectif. Il y a des gens qui sont dans les mines, il y a des gens qui sont en Europe, il y a des gens qui sont dans les bureaux (…). Ces gens-là font partis d’une chaîne qu’on travaille avec eux. »
Il utilise au moins deux transporteurs de confiance pour transporter les pierres. « Ils sont sérieux, ils sont sérieux », nous assure-t-il.57 « On a déjà fait beaucoup de transactions. »
« Quand tu arranges tout, et bien il n’y a rien. »
Ce modèle n’est pas unique. En avril 2015, les autorités camerounaises ont arrêté le négociant indien Chetan Balar avec son associé. Ils transportaient 160 carats de diamants provenant vraisemblablement de la RCA, de l’autre côté de la frontière.58 Le profil Facebook de Chetan Balar contient aussi des photos prises à Bangui en 2014.59 Balar nous a confié qu’il continuait de travailler avec des sociétés en RCA qui avaient les papiers requis pour l’exportation des diamants, et a évoqué son projet de retourner en RCA en mars de cette année.60
En tout, nous nous sommes entretenus avec sept négociants en diamants, dont cinq ressortissants centrafricains.
Cinq d’entre eux ont parlé ouvertement d’activités de contrebande à travers des frontières internationales. Ces diamants provenant du trafic illégal auraient été destinés à des acheteurs en Belgique, au Brésil, en France, en Chine, en Israël, au Liban, en Afrique du Sud, en Sierra Leone et au Liberia. Le plus gros colis évoqué dépassait les 900 carats. Seuls deux négociants, tous deux ressortissants centrafricains, ont affirmé ne pas trafiquer de diamants et respecter le Processus de Kimberley dans son intégralité.
En mai 2014, les autorités fédérales belges ont saisi trois colis de diamants bruts de 6 634 carats au total.61 Ces trois colis avaient été expédiés via les EAU accompagnés de certificats du Processus de Kimberley indiquant que le pays d’origine de cette marchandise était la RDC. Toutefois, le Groupe d’experts de l’ONU « pense que les diamants provenant de Bria et de Sam-Ouandja, zones placées sous le contrôle de l’ex-Séléka, qui étaient achetés illégalement par Badica ou pour son compte, ont atterri dans le lot saisi à Anvers.»62 Peu d’autres saisies de grande ampleur ont été signalées, ce qui suggère que la majeure partie des diamants exportés via des méthodes de contrebande accèdent relativement facilement aux marchés internationaux.
Outre le Cameroun et la RDC, des individus proches de l’ex-Séléka, ou en faisant partie, ont aussi confirmé l’existence de liens de contrebande avec le Soudan, le Tchad, le Qatar et Dubaï.63 L’un d’eux a affirmé que sous le régime Séléka, il avait souvent vu des avions atterrir directement à Sam-Ouandja et Bria, en provenance du Soudan et d’autres régions de la RCA, pour récupérer des diamants.64 Un autre a déclaré que Nourredine Adam et Oumar Younous se rendaient souvent au Moyen-Orient via le Soudan pour vendre des diamants à leurs contacts au Qatar et à Dubaï.65
Un grand nombre de marchands de diamants de la RCA sont jeunes, ambitieux et mobiles. Tout comme les gens de leur génération à travers le monde, ils laissent leur empreinte sur les réseaux sociaux. C’est en suivant de près les photos et les commentaires à travers lesquels ils décrivent leurs activités et recherchent de nouveaux partenaires commerciaux que nous avons réussi à reconstituer certaines pièces de l’univers des réseaux sociaux dans lequel ils opèrent.
« Où il y a la guerre, tout est possible. »
Un négociant de diamants de la RCA
Les frontières internationales de la RCA sont poreuses ; et ses frontières internes le sont encore plus.
En théorie, les diamants provenant de régions qui ne font pas partie des quatre zones conformes ne devraient pas se retrouver dans les chaînes d’approvisionnement licites et nouvellement créées pour les besoins des zones conformes. Les bureaux d’achat doivent disposer d’une présence locale dans une zone conforme et fournir toute une série de documents permettant de suivre la trajectoire des diamants depuis la mine jusqu’à l’exportation. Une équipe de surveillance est chargée de contrôler les colis à l’exportation au moyen de techniques scientifiques qui devraient leur permettre de faire la distinction entre les diamants exploités dans l’ouest et ceux sortant des mines de l’est du pays.
Mais comme le dit un négociant, la RCA « est un pays où il y a la guerre », et quand un pays est en guerre, nous rappelle-t-il, « tout est possible. »66
Le Groupe d’experts de l’ONU a mis en garde dans son rapport de décembre 2016 contre le fait que des diamants provenant des zones conformes de la RCA risquent d’être liés aux groupes armés, ainsi qu’à des violations des droits de l’homme. Ces dernières comprennent notamment des restrictions imposées sur la liberté de mouvement des marchands musulmans qui reviennent s’installer dans l’ouest de la RCA.67
Si, pour l’instant, seul un petit nombre de colis a été exporté par les voies rouvertes par le Processus de Kimberley, certains négociants locaux et internationaux y voient clairement une opportunité. Certains ont déclaré leur indifférence concernant les démarcations des zones conformes. L’un d’entre eux a ainsi affirmé : « Tu peux acheter [des diamants] à Bria [ville de l’est de la RCA], que tu amènes sur Bangui et que tu exportes. »68 D’autres semblaient penser que l’interdiction avait été levée pour tout le pays. « Maintenant avec l’embargo qui est levé, bon le pays est pacifié », a tenté d’expliquer un négociant.69
Alors que les diamants centrafricains continuent d’être acheminés vers les pays voisins, de nouvelles voies de contrebande internes risquent de nuire aux efforts du Processus de Kimberley, des pierres en provenance d’autres régions du pays entrant dans les zones conformes. Les diamants des régions non conformes de l’ouest du pays, en particulier, risquent de passer discrètement dans les zones conformes par l’intermédiaire de marchands indifférents ou opportunistes. Il est peu probable que ces diamants soient détectés par les contrôles scientifiques secondaires, instaurés pour intercepter les pierres de l’est du pays qui pourraient passées à travers les mailles du filet.
Outre les pierres extraites dans des zones non conformes, l’intégrité du nouveau système est également menacée par les séquelles du conflit centrafricain et la suspension.
Quelque part à Bangui, des dizaines de milliers de carats de diamants attendent.
La suspension de la RCA du Processus de Kimberley a interdit l’exportation de diamants, mais pas leur achat. Plusieurs des grands bureaux d’achat de la RCA ont continué d’acheter des diamants pendant la période de suspension, constituant des stocks considérables. Des diamants ont été achetés dans différentes régions du pays, y compris dans des zones contrôlées par les groupes armés, ébranlant ainsi l’efficacité de l’interdiction. Dans le pire des cas, l’initiative prise pour réduire le flux de diamants du conflit ne posa qu’un banal problème de trésorerie aux bureaux d’achat fortunés.
Badica (Bureau d’Achat de Diamant en Centrafrique) est l’un de ces bureaux qui a poursuivi ses achats. En juillet 2014, le Groupe d’experts de l’ONU signalait que Badica avait acheté 2 896 carats de diamants, dont la plupart provenaient de Bria et Sam-Ouandja, où les forces de la Séléka affichaient une présence permanente.70 Le Groupe d’experts a conclu que « les achats légaux et illégaux de Badica dans ces zones fournissaient une source de revenus durable à l’ex-Séléka, en violation du régime des sanctions imposé par l’Organisation des Nations Unies. »71
Badica a nié toutes ces allégations, tant dans ses communications avec Global Witness qu’avec le Groupe d’experts de l’ONU. Kardiam a refusé de rencontrer les chercheurs de Global Witness, et n’a pas répondu à la demande de commentaires qu’ils lui ont adressée.
La Sodiam (Société Centrafricaine du Diamant) est l’un des plus importants bureaux d’achat de la RCA. L’entreprise a, elle aussi, continué d’acheter des diamants pendant la période de suspension de la RCA. La société a confirmé à Global Witness qu’elle achète environ 30 000 carats par an, essentiellement dans l’ouest de la RCA.74 Des informations citées dans un rapport d’audit d’une tierce partie, disponible sur le site Internet de la société, concordent avec cette estimation.
En juin 2015, des avocats représentant la Sodiam ont déclaré à Global Witness que les achats de la société étaient « concentrés dans l’ouest de la RCA », ajoutant que « l’Est a reçu le statut de ‘zone rouge’ et est donc inaccessible au Gouvernement de la RCA puisqu’il est contrôlé par les forces de la Séléka ».75
En décembre 2015, le Groupe d’experts signalait que les stocks de la Sodiam s’évaluaient à 70 845 carats au 5 septembre 2015.76 D’après un audit interne de la Sodiam, ces stocks contenaient environ 6 400 carats achetés dans l’est du pays de mai 2013 à juillet 2015.77 Une source a confirmé à Global Witness que la Sodiam achetait des diamants à Berbérati, Yaloke et Bria sous le régime de la Séléka.78
En 2014, le Groupe d’experts de l’ONU s’est entretenu avec plusieurs collecteurs de diamants dans l’ouest de la RCA. Ceux-ci ont déclaré au Groupe, qu’en raison de la présence significative d’unités anti-balaka à l’intérieur et autour des mines de diamants, ils n’étaient pas en mesure de garantir à leurs clients que leurs diamants n’avaient pas financé des groupes armés. Plusieurs de ces négociants ont déclaré avoir vendu des diamants à la Sodiam. Le Groupe d’experts en a donc conclu qu’il pensait « que les achats de la Sodiam ont indirectement financé des anti-Balaka ».79
Le Groupe d’experts a toutefois clairement indiqué qu’il estimait que la Sodiam avait pris des mesures positives pour réduire ce risque, et que la Sodiam avait effectivement pour objectif d’exclure les achats effectués auprès de militaires et de membres de groupes armés.
La Sodiam a nié ces allégations lors de ses communications avec Global Witness. Des représentants de la société ont également contesté les conclusions du Groupe d’experts de l’ONU et déclaré que la Sodiam n’avait jamais « acheté quoi que ce soit qui puisse raisonnablement être décrit comme un diamant de conflit ».80
La Sodiam insiste également sur le fait qu’elle a soumis tous ses achats de diamants en RCA à un « devoir de diligence». Des représentants de la Sodiam ont prié Global Witness de se reporter à un document sur son site Web intitulé « Sodiam Procedures Manual » qui énumère les procédures de devoir de diligence de la société.81
Le site Internet et le document de 800 mots en question semblent tous les deux avoir été créés en juin 2015, soit peu de temps après que Global Witness ait pris contact avec la Sodiam pour lui demander des renseignements sur ses pratiques de devoir de diligence.
La Sodiam fut l’un des acteurs les plus véhéments à avoir réclamé la levée de la suspension du Processus de Kimberley imposée à la RCA. Dans un courrier daté du 28 mai 2015, le ministre des Mines et de la Géologie du gouvernement de transition remercie la Sodiam pour son assistance lors de la mission d’examen du Processus de Kimberley en mai 2015. Cette lettre fait ensuite part du souhait que la « patience » de la société soit « récompensée » lorsque la suspension aura été levée.82
Si les bureaux d’achat ont le droit d’exporter la totalité, ou la majeure partie, des stocks qu’ils ont réussi à constituer, il ne fait aucun doute que leur patience sera récompensée.
Le Processus de Kimberley a récemment proposé un audit scientifique pour tenter d’établir une distinction entre les stocks constitués dans l’est et ceux qui ont été achetés dans l’ouest du pays.83 Cela suggère que les officiels pourraient envisager d’autoriser l’exportation de certaines parties des stocks dans le cadre du Processus de Kimberley rétabli. Cela s’appliquerait fort certainement à des pierres dont on pense qu’elles ont été exploitées dans les régions qui forment maintenant les zones conformes occidentales.
Cela ne représenterait ni plus ni moins qu’un tour de passe-passe profitant uniquement aux bureaux d’achat centrafricains.
Qu’ils aient été achetés dans l’est ou dans l’ouest du pays, les diamants stockés risquent d’avoir financé des groupes armés. Quelle que soit la situation actuelle dans les zones conformes en question, ces pierres ont été achetées à une époque où une présence anti-balaka à l’intérieur et autour des mines occidentales était bien établie, à l’instar de la présence de la Séléka à l’Est.
Faute de preuves détaillées d’un devoir de diligence solide exercée au moment de leur acquisition, aucune pierre achetée pendant la période où la RCA était suspendue du Processus de Kimberley ne peut être adéquatement qualifiée de « conflict free », littéralement « libre de conflit » en français. Aucune société ne devrait être récompensée pour un approvisionnement irresponsable lors d’un conflit violent. Tel est le risque auquel le Processus de Kimberley s’expose s’il décide de fermer les yeux et d’ignorer le passé mouvementé des stocks de la RCA.
Pendant des décennies, la communauté internationale a été témoin de la fortune des pays fragiles, déstabilisés et sombrant dans le conflit à cause de leur propre richesse en ressources. D’importants enseignements doivent être tirés de pays comme le Liberia, la Sierra Leone, l’Angola et la Côte d’Ivoire. L’histoire de la RCA, rongée par des cycles de régimes prédateurs et de violents coups d’État, est aussi source de leçons. L’un de ces enseignements est qu’une reprise trop rapide du commerce des ressources naturelles, surtout en l’absence de contrôles et de gouvernance efficaces dans le secteur, pourrait être préjudiciable à long terme.
La voie que la RCA va désormais emprunter définira la phase suivante de son développement économique et politique. Si ses ressources sont de nouveau perçues comme une cible légitime, même en l’absence d’une bonne gouvernance transparente, cela pourrait consacrer durablement la corruption et le pillage qui ont gangrené le secteur par le passé. La RCA mérite le soutien entier de la communauté internationale, y compris de ses entreprises. Le croisement auquel la RCA se trouve à présent est l’occasion de prendre un nouveau départ, et non une nouvelle opportunité commerciale. La Centrafrique ne doit pas devenir à nouveau un centre à fric.
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Chercher en priorité à étendre un contrôle gouvernemental efficace à l’ensemble du territoire centrafricain, en tenant plus particulièrement compte des régions riches en minerais, des principales voies de transport et des postes frontaliers. Cette démarche devrait être accompagnée par un engagement envers le rétablissement de la légitimité de la gouvernance locale, qui s’obtiendra en luttant contre la corruption et en promouvant la transparence.
Collaborer avec les agents du Processus de Kimberley afin de développer des systèmes de traçabilité fiables pour assurer l’intégrité des activités commerciales d’exportation dès leur reprise, et publier toutes les données fournies à l’Équipe de suivi du Processus de Kimberley, ainsi que des renseignements détaillés sur l’ensemble de la production, des exportations et des recettes collectées par le gouvernement.
Confisquer tous les stocks de diamants constitués par les bureaux d’achat alors que la RCA était suspendue du Processus de Kimberley, sauf si les entreprises sont en mesure de prouver—par exemple en démontrant l’existence de rapports et de procédures solides en matière de devoir d diligence—qu’au moment de leur achat, les diamants n’ont pas financé de groupes armés dans aucune région du pays, directement ou indirectement. Le produit de la vente des stocks saisis devrait être annoncé publiquement et géré de manière transparente, cette somme devant dans son intégralité servir l’intérêt public, y compris les victimes du conflit qui continue de sévir en RCA. Les entreprises qui achètent des diamants provenant de stocks saisis devraient rendre compte de cette démarche publiquement et intégralement, y compris des risques qu’elles ont identifiés et atténués, conformément au Guide de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque.
Le Tribunal pénal spécial devrait enquêter sur les principaux acteurs, y compris sur les entreprises, soupçonnés d’avoir commis des actes de pillage, lesquels constituent un crime de guerre. L’article 6 du Code minier de la RCA de 2009 indique clairement que les ressources naturelles de la RCA sont la propriété de l’État. Des éléments indiquent que, tout au long du conflit, des groupes armés et des individus se sont appropriés et ont profité de ces ressources, dans le contexte d’un conflit armé et sans l’accord d’un gouvernement légitime.
Soutenir les efforts destinés à encourager un approvisionnement responsable en diamants, en or et en autres minerais provenant de la RCA en facilitant la mise en œuvre de cadres internationaux de devoir de diligence tels que ceux qui sont préconisés dans d’autres zones riches en minerais affectées par un conflit, et comme cela est encouragé par d’importantes initiatives internationales réunissant plusieurs parties prenantes, notamment le Groupe d’action financière (GAFI) et le Guide sur le devoir de diligence de l’OCDE pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque.
Soutenir les organisations de la société civile locale afin de promouvoir une surveillance et un suivi, à long terme, efficaces de l’extraction et du commerce des ressources naturelles de la RCA ainsi qu’une large participation au processus de réforme—y compris aux processus associés à la reprise des exportations de diamants.
Les régimes de sanctions actuellement en vigueur devraient être pleinement appliqués et étendus afin de couvrir les autres individus et entreprises dont il s’avère qu’ils contribuent à l’économie du conflit. Cela peut inclure d’autres personnalités politiques de premier plan et, si des preuves suffisantes sont disponibles, le Comité des sanctions de l’ONU devrait aussi envisager de sanctionner d’autres entreprises et entités économiques, qu’elles soient basées en RCA ou dans n’importe quel autre pays du monde.
La Cour pénale internationale (CPI) devrait apporter son appui aux enquêtes et aux traductions en justice du Tribunal pénal spécial nouvellement établi en RCA, y compris aux enquêtes sur le crime de pillage. Si nécessaire, la CPI devrait rechercher les responsables des crimes commis en RCA qui relèvent de sa compétence, y compris du crime de pillage, ce dernier constituant un crime de guerre.
Les zones conformes doivent être soigneusement définies et faire l’objet d’un suivi régulier. Une zone conforme est une zone qui affiche un « contrôle suffisant de la part du gouvernement centrafricain » et ne donne lieu à aucune activité « systématique de rebelles ou de groupes armés ». Ces conditions doivent être définies de manière précise et contrôlées régulièrement afin d’assurer leur crédibilité. Aucune zone ne devrait être qualifiée de « conforme » en vertu du cadre opérationnel proposé pour le Processus de Kimberley tant que cela ne sera pas le cas. Il est essentiel que cette validation se fasse au niveau du site minier et non des préfectures ou autres unités administratives sous-nationales équivalentes. Il convient également de prêter attention à l’intégralité des moyens par lesquels les groupes armés peuvent profiter de ce commerce, directement et indirectement. Un suivi statistique des échanges commerciaux ne pourra à lui seul garantir que les diamants de conflit sont tenus à l’écart des chaînes d’approvisionnement légitimes.
Des représentants de la société civile locale devraient être inclus à chaque étape du processus, comme le prévoit le Cadre opérationnel, et avoir la possibilité de se faire entendre clairement.
Les diamants stockés par les entreprises sans preuve de diligence raisonnable solide ne devraient pas être autorisés à gagner les chaînes d’approvisionnement rétablies, à quelque niveau que ce soit. Cette question est d’autant plus préoccupante que le Cadre opérationnel ne dissuade pas les entreprises d’acheter et de stocker des diamants en dehors des zones conformes. Le Cadre exige uniquement des entreprises qu’elles « séparent » ces achats de ceux qui ont été effectués dans les zones conformes et qu’elles fassent inspecter leurs stocks. Tout stock saisi qui aura été vendu devra être accompagné d’une déclaration claire et transparente retraçant son historique.
Les pays voisins, et les centres de négoce, doivent accroître leur vigilance et renforcer la sécurité aux frontières pour limiter la contrebande de diamants provenant de la RCA, surtout dans les États membres du Processus de Kimberley, en RDC, au Cameroun, aux EAU et en Belgique (Anvers), ainsi qu’au Tchad et au Soudan.
Toute entreprise qui prend part à la reprise de l’activité commerciale devra impérativement s’engager à soumettre sa chaîne d’approvisionnement à un exercice de devoir de diligence basé sur les risques et à présenter des informations, conformément à la norme de l’OCDE.
Toute reprise du commerce de diamants devra veiller à ne pas récompenser la violence de manière fortuite et à ne pas pérenniser la ségrégation et les déplacements. Le conflit centrafricain a eu des répercussions graves sur la situation démographique de la RCA, ayant entraîné le déplacement d’un habitant sur cinq—y compris jusqu’à 80 % de la population musulmane. La création d’une chaîne d’approvisionnement en diamants dans ces régions du pays risque sérieusement de faire lieu d’approbation tacite de ces déplacements forcés et de pérenniser encore davantage cette ségrégation, empêchant le retour des populations déplacées. Elle risque également de récompenser ceux qui cherchent à profiter de la reprise de ce commerce pour le rôle qu’ils ont pu jouer dans la violence à l’origine de ces déplacements. Une reprise du commerce de diamants devrait tenir compte de ces paramètres pour éviter de telles conséquences. Dans un premier temps, toute proposition devrait s’accompagner d’une étude minutieuse de l’impact qu’a eu le conflit sur le secteur pertinent du commerce de diamants, en mettant plus particulièrement l’accent sur les « zones conformes ».
Les entreprises qui s’approvisionnent directement ou indirectement en minerais provenant de la RCA, y compris en or et en diamants, devraient soumettre leurs chaînes d’approvisionnement à un exercice de devoir de diligence basé sur les risques et en rendre compte publiquement. Le Processus de Kimberley ne peut à lui seul entraîner une baisse des flux illicites de diamants centrafricains. Ses limites montrent qu’il est impératif d’instaurer une démarche complémentaire engageant les entreprises de la chaîne d’approvisionnement en diamants et les encourageant à tenir compte des risques en matière de droits humains et des impacts de leurs opérations. Les entreprises qui s’approvisionnent en minerais provenant de RCA devraient soumettre leurs chaînes d’approvisionnement à une diligence raisonnable conforme aux normes de l’OCDE et rendre compte publiquement des efforts qu’elles déploient à cet effet. Toute entreprise qui participe à la reprise du commerce de marchandises provenant des zones conformes devrait obligatoirement se livrer à un exercice de diligence raisonnable conforme à la norme de l’OCDE.