Selon un ancien partenaire d’Ernst & Young, le cabinet international d’experts-comptables a décidé de fermer les yeux lorsqu’un rapport d’audit mettant en évidence d’importantes carences à la plus grande affinerie d’or de Dubaï n’a pas été publié. Un rapport de Global Witness publié aujourd’hui, City of Gold, en examine les implications.
Les documents parcourus par Global Witness semblent indiquer que le régulateur local dans le secteur des métaux, le Dubai Multi Commodities Centre (DMCC), a modifié ses lignes directrices en matière d’audit après avoir pris connaissance des conclusions négatives apparaissant dans le rapport d’Ernst & Young, ce qui a eu pour effet que les résultats désastreux n’ont pas été publiés.
Dubaï est un marché clé – où s’échange plus de 20% de l’or mondial, pour une valeur de 70 milliards de dollars en 2012 – et les recherches de Global Witness indiquent qu’il s’agit de la principale destination de l’or du conflit congolais.
Ernst & Young effectuait l’audit de Kaloti Jewellery International en fonction des normes internationales conçues pour empêcher l’or de financer les conflits et les violations des droits de l’homme dans des pays tels que le Congo et le Soudan. Amjad Rihan, le partenaire en charge du projet, qui a aujourd’hui quitté le cabinet comptable, prétend qu’Ernst & Young était au courant des actes posés par le DMCC mais ne s’est pas désengagé de l’audit.
L’audit d’Ernst & Young a établi qu’en 2012, la firme Kaloti Jewellery International :
- S’est mise en défaut de signaler des transactions en espèces potentiellement suspectes pour une valeur de plus de 5,2 milliards de dollars américains ;
- A sciemment accepté des tonnes de lingots d’or peints en argent et importés du Maroc par des fournisseurs qui avaient eu recours à des documents falsifiés ;
- S’est mise en défaut d’effectuer des contrôles suffisants de l’or acheté à des fournisseurs à haut risque.
Ces carences ont mis en évidence un risque accru d’entrée d’argent blanchi et d’or sale en provenance de la République démocratique du Congo et d’autres zones de conflit dans la chaîne d’approvisionnement de l’affinerie, au cours de l’année 2012.
Annie Dunnebacke, Directrice adjointe de campagne à Global Witness a déclaré : « Le commerce non réglementé de l’or alimente les guerres et les brutales atteintes aux droits de l’homme dans des régions telles que l’est du Congo. Les actions d’Ernst & Young et du régulateur de Dubaï, bien que parfaitement légales, sapent la confiance dont jouit l’industrie au moment critique où de nouvelles lois progressistes visant à s’attaquer aux minerais des conflits sont entrées en vigueur. C’est pourquoi il était important que cette histoire soit exposée au grand jour. »
Global Witness estime qu’Ernst & Young aurait dû refuser les changements apportés par le DMCC à ses lignes directrices et aurait dû se retirer de la mission d’audit que le cabinet comptable réalisait pour son client. À nos yeux, le cabinet aurait également dû communiquer ses conclusions d’audit les plus graves à la London Bullion Market Association.
« Il nous semble que le régulateur de Dubaï ne serait pas parvenu à obtenir des résultats d’audit sans réserve d’un acteur important du secteur de l’or si Ernst & Young n’avait pas été disposé à fermer les yeux. Les réviseurs d’entreprises tels qu’Ernst & Young jouent un rôle d’intérêt public en nous garantissant que les sociétés répondent à des normes importantes. Si nous ne pouvons pas compter sur les réviseurs pour placer les principes éthiques au-dessus des intérêts commerciaux, les progrès opérés sur la voie d’un assainissement du commerce mondial des minerais pourraient être mis en péril », a fait remarquer Annie Dunnebacke.
Global Witness appelle Kaloti Jewellery International à rendre immédiatement public son rapport d’audit non publié. Le Gouvernement de Dubaï devrait ouvrir une enquête sur tout manquement au code de conduite acceptable décelé dans les actes posés par le DMCC et il devrait se pencher sur le conflit d’intérêts entre le rôle de régulateur du DMCC et son rôle de promoteur commercial.
Annie Dunnebacke : « La divulgation au public est un élément clé incitant à améliorer la pratique commerciale. Ce cas précis fait ressortir le besoin de lignes directrices plus strictes pour les audits relatifs aux minerais des conflits afin de veiller à ce que tous les résultats – en particulier les conclusions critiques – soient mis au jour. Il pourrait aussi s’avérer nécessaire d’envisager de nouvelles règles pour les réviseurs d’entreprises visant à réduire le conflit inhérent entre la sauvegarde de l’intérêt public et la promotion d’un client ou des préoccupations commerciales. »
Global Witness a invité les parties impliquées dans cette affaire à émettre leurs observations. Kaloti Jewellery International a démenti toute allégation de non-conformité et a souligné que jamais Ernst & Young n’avait établi que la firme s’approvisionnait en minerais provenant de zones de conflit. Le DMCC a rejeté toute allusion à l’étouffement d’une quelconque affaire ou à un acte incorrect. Le régulateur a affirmé que ses procédures étaient conformes aux meilleures pratiques internationales et que ses lignes directrices avaient été révisées afin de s’aligner sur les normes internationales. Ernst & Young a démenti avoir fermé les yeux sur la suppression des résultats d’audit ou avoir agi d’une manière non conforme au Code de conduite du cabinet. Le cabinet a déclaré que les constatations de non-conformité avaient été pleinement rapportées au client et au DMCC, dont il a appliqué les normes réglementaires en toute indépendance et à tous moments.
Contact:
Annie Dunnebacke au +44 7912 517 127 ; [email protected]
Amy Barry au +44 7980 664 397 ; [email protected]
Notes aux équipes de rédaction :
- Le rapport de Global Witness City of Gold peut être téléchargé ici.
- Amjad Rihan était partenaire et responsable régional de Cleantech & Sustainability Services à Ernst & Young au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Il a rejoint Ernst & Young en août 2008 et a démissionné en janvier 2014. Il était chargé de l’audit à Dubaï. Lorsque M. Rihan a commencé à s’inquiéter des actes posés par le DMCC, il a fait part de ses préoccupations à la direction internationale d’EY. Celle-ci n’ayant pas réagi de manière à dissiper ses inquiétudes, M. Rihan a décidé de quitter la firme. Il a communiqué son histoire, preuves documentaires à l’appui, à Al Jazeera, à la BBC, à Global Witness et au Guardian.
- Des millions de personnes ont perdu la vie à cause du conflit, largement alimenté par l’or, dont l’est de la RDC est le théâtre depuis près de 15 ans. Les FDLR, l’un des groupes armés les plus notoires de l’est de la RDC, connues pour leurs brutalités à l’encontre des civils, dépendent fortement de l’or pour financer leur lutte. Elles contrôlent des sites miniers, parfois en creusant elles-mêmes et en extorquant de l’argent aux mineurs locaux. L’or du conflit provenant de l’est de la RDC arrive au Burundi et en Ouganda en passant par une chaîne d’intermédiaires. La plus grande partie de cet or est ensuite exportée à Dubaï.